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tête du bras jusqu’au bout de la queue. Pour tordre, l’ouvrier a une perche fixée horisontalement dans deux murs, ou autrement, comme on voit Plan. du Chamoiseur, fig. 2. on prend cinq à six peaux ; on les jette sur cette perche ; on les saisit de la main gauche par les bouts qui pendent ; on place entre ces bouts la queue AB de la bille : on prend de la main droite le manche D ; l’excédent des peaux depuis la perche jusqu’à la main gauche se range le long de la queue, & entre dans le coude BCF : on fait tourner la bille à l’aide de ce manche, le plus fortement qu’on peut ; ou bien on se contente, après avoir saisi les bouts des peaux, de passer entre elles & au-dessous de la perche un bâton qu’on tourne, & qui sait la même fonction que la bille.

A mesure qu’on tord, la lessive sort, & emporte la graisse. Le mêlange d’huile & de lessive s’appelle dégras, & l’opération, dégraisser. Quand un premier dégraissage a réussi, il ne faut plus qu’un lavage pour conditionner la peau : ce lavage se fait dans l’eau claire, chaude, & sans cendres. Mais il en faut venir quelquefois jusqu’à trois dégraissages, quand les cendres sont foibles : les ouvriers prétendent qu’il faut alors écarter les femmes de l’attelier, & qu’il y a dans le mois un tems où leur présence fait tourner la lessive. On lave après ces dégraissages : après ce lavage, on tord un peu : cette derniere opération se fait aussi sur la perche, & avec la bille.

Quand les peaux ont été suffisamment torses, on les secoue bien, on les détire, on les manie, on les étend sur des cordes, ou on les suspend à des clous dans les greniers, & on les laisse sécher : il ne faut quelquefois qu’un jour ou deux pour cela.

Quand elles sont seches, on les ouvre sur un instrument appellé palisson : c’est ce que fait l’ouvrier de la Pl. du Chamoiseur, fig. 3. Le palisson simple est un instrument formé de deux planches, dont l’une est perpendiculaire à l’autre : la perpendiculaire porte à son extrémité un fer tranchant, un peu mousse, courbé, dont la corde de la courbure peut avoir six pouces, & la courbure est peu considérable. On passe la peau sur ce fer d’un côté seulement : cette opération n’emporte rien du tout ; elle sert seulement à amollir la peau, & à la rendre souple. On passe au palisson jusqu’à quinze douzaines de peaux par jour : l’opération du palisson se fait du côté de la fleur.

Lorsque les peaux ont été passées au palisson, on les pare à la lunette : c’est ce que fait l’ouvrier, Pl. du Chamoiseur, fig. 4. L’instrument qu’on voit, même fig. même Pl. qui consiste en deux montans verticaux, sur lesquels sont assemblées deux pieces de bois horisontales, dont l’inférieure est fixe sur les montans, & la supérieure peut s’écarter de l’inférieure, & entre lesquelles on peut passer la peau & l’y arrêter par le moyen d’une clé ou morceau de bois en talud qui traverse un des montans immédiatement au-dessus de la piece de bois supérieure ; cet instrument, dis-je, s’appelle un paroir. Il y a encore un autre paroir qu’on peut voir même Pl. fig. 7. ce sont pareillement deux montans avec lesquels est emmortoisée une seule piece de bois : il y a perpendiculairement à cette piece de bois, mais parallélement à l’horison, deux especes de pitons fixés à la même hauteur, & & à-peu-près à la distance de la largeur de la plus grande peau : ces pitons reçoivent un rouleau de bois dans leurs anneaux : on jette la peau sur ce rouleau, & on l’y fixe par le moyen de trois especes de valets : ces valets sont composés d’une espece de crochets de bois qui peuvent embrasser la peau & le rouleau ; on en met un à chaque extrémité de la peau ; & un troisieme sur le milieu des poids attachés au bout de ces valets, les empêche de lâcher la peau qu’ils tiennent serrée contre le rouleau de toute la pesanteur du poids. Voyez fig. 7. eg, les montans ;

M la traverse ; o, o, les pitons ; n, n, le rouleau ; Pq, Pq, Pq, les valets ; p, p, p, les crochets ; q, q, q, les poids ; m la peau.

L’operation de parer se fait du côté de la chair. La lunette enleve ce qui peut être resté de chair. La lunette est une espece de couteau rond comme un disque, percé dans le milieu, & tranchant sur toute sa circonférence, tel qu’on le voit Pl. du Mégiss. fig. p. La circonférence de l’ouverture intérieure est bordée de peau : l’ouvrier passe sa main dans cette ouverture pour saisir la lunette & la manier. La lunette a cela de commode, que quand elle cesse de couper du côté où l’on s’en sert, le plus léger mouvement du poignet & des doigts la fait tourner, & la présente à la peau par un endroit qui coupe mieux. Il y a des ouvriers qui parent jusqu’à six douzaines de peaux par jour.

Quand les peaux sont parées, on les vend aux Gantiers & à d’autres ouvriers. Il est bon de savoir que s’il reste de l’eau dans les peaux quand on les met en échauffe, si elles sont mal passées, c’est autant de gâté ; elles se brûlent, & deviennent noires & dures. C’est à l’échauffe qu’elles se colorent en chamois. Un ouvrier prudent n’épargnera pas les remuages.

On ne perd pas le dégras ; on le met dans une chaudiere ; on le fait bouillir ; l’eau s’évapore ; & il reste une huile épaisse, qu’on vend aux Corroyeurs.

On mettoit jadis de l’ocre au dernier lavage ; pour rendre la peau plus jaune : mais il n’y a plus que les paysans qui les veulent de cette couleur ; on prétend d’ailleurs qu’elle altere la peau, & la rend moins moëlleuse. Pour employer l’ocre, on le détrempoit dans de l’eau ; & au dernier lavage, après le dégraissage, on passoit les peaux dans cette eau.

S’il se trouve quelques chevres & quelques boucs dans un habillage (c’est le nom qu’on donne à la quantité de toutes les peaux qu’on a travaillées, depuis le moment où l’on a commencé jusqu’au sortir du foulon ; s’il s’y trouve même des chamois, des biches, & des cerfs, le travail sera tel qu’on l’a décrit : mais quand les peaux de boucs, de chevres, de chamois, de biches, de cerfs, &c. sont revenues du foulon, & qu’elles ont souffert l’échauffe, le travail a quelque différence : on les met tremper dans le dégras jusqu’au lendemain, & ensuite on les ramaille.

Le ramaillage est l’opération la plus difficile du Chamoiseur ; elle consiste à remettre les peaux auxquelles cette manœuvre est destinée, sur le chevalet ; à y passer le fer à écharner ; à enlever l’arriere-fleur ; & à faire par ce moyen cotonner la peau du côté de la fleur. Si le fer n’a pas passé & pris partout, il y aura des endroits où l’arriere-fleur sera restée : ces endroits ne seront point cotonnés, & ne prendront point couleur. Ramailler est un travail dur ; il faut être bon ouvrier pour ramailler par jour, soit une douzaine & demie de boucs, soit deux douzaines de chevres, ou dix peaux de cerfs.

S’il fait soleil, on expose à l’air les peaux immédiatement après les avoir ramaillées, sinon on les dégraisse tout de suite.

Quand il s’agit de donner les vents, lors de la foule, il faut les donner d’autant plus forts que les peaux sont plus fortes. Selon la force des peaux, il faut même & plus de vents & plus de foule ; les cerfs reçoivent alternativement jusqu’à douze vents & douze foules.

Quand on employe en ouvrages les peaux de chevres, de boucs, de cerfs, &c. la fleur est en-dehors