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& fait l’endroit de l’ouvrage ; la chair est à l’envers. C’est le contraire pour les peaux de mouton.

On effleure les peaux, pour que celui qui les employe puisse facilement les mettre en couleur. La peau effleurée prend plus facilement la couleur, que la peau qui ne l’est pas.

Les Chamoiseurs & les Mégissiers doivent prendre garde dans l’emplette des peaux, que celles de mouton ne soient point coutelées, c’est-à-dire, qu’au lieu d’avoir été enlevées de dessus l’animal avec la main, elles n’ayent pas été dépouillées avec le couteau. On ne coutele les peaux qu’à leur détriment, & la durée en est moindre.

Quand l’opération de la foule n’a pas été bien faite, le Chamoiseur est quelquefois obligé de broyer ces peaux à la claie. Voyez l’article Corroyeur.

On paye au foulon quatre francs par coupe de vingt douzaines.

Toutes les opérations du Chamoiseur & du Mégissier se font ordinairement dans des tanneries, où ils ont des eaux de citerne ou de puits, au défaut d’eau de riviere.

Il y a des Chamoiseurs qui ne se donnent pas la peine de préparer les peaux ; ils les achetent des Tanneurs en cuirets, & se contentent d’achever le travail : ils sont même presque dans la nécessité de céder ce profit aux Tanneurs, qui exercent ici une espece de petite tyrannie sur le Boucher. Celui-ci craignant de ne pas vendre bien ses peaux de bœufs & de veaux, s’il les séparoit de celles de mouton, est obligé de les vendre toutes ensemble au Tanneur ; ce qui gêne & vexe le Chamoiseur, sur-tout en province. Il seroit à souhaiter qu’on remédiât à cet inconvénient. Il ne doit pas être plus permis au Tanneur d’empiéter sur le travail du Chamoiseur & du Mégissier, qu’à ceux-ci d’empiéter sur le sien.

On apprête aussi en huile des peaux de castor ; mais cela n’est pas ordinaire. Ce travail est le même que celui des peaux de boucs & de chevres. Lorsque ces dernieres sont teintes en différentes couleurs, on les appelle castors, surtout employées en gants d’hommes & de femmes. Voyez l’article Castor.

On est à présent dans l’usage de passer en huile des peaux de veaux ; on en peut aussi réduire le travail à celui des peaux de boucs & de chevres.

On employe les nappes ou peaux de chamois, cerfs, biches, & bufles pour la cavalerie. On y destine même quelquefois des cuirs de bœufs qu’on passe alors en huile. On fait des culotes avec les peaux de biches, quand elles sont minces : on en fait aussi avec les peaux de mouton, quand elles sont fortes. C’est par cette raison, qu’on aura soin dans l’un & l’autre cas de séparer les peaux selon leurs différentes qualités. Les peaux de mouton foibles se mettront en doublures de culotes, bas, chaussettes à étrier, &c.

Plusieurs Fabriquans font tort au public, lorsqu’ils s’avisent en appareillant leurs peaux pour les vendre, d’en mettre une forte avec une foible : il seroit mieux, même peut-être pour leur intérêt, de mettre les excellentes avec les excellentes, les bonnes avec les bonnes, les médiocres avec les médiocres, & de vendre les unes & les autres ce qu’elles valent. Par ce moyen, l’acheteur useroit sa marchandise en entier, & le marchand n’auroit pas moins gagné.

Les rebuts qui ne manquent jamais de se trouver dans un foulage de peaux de différentes qualités, se vendent ordinairement aux Gantiers.

Les peaux de chamois, cerfs, biches, & daims qu’on passe en huile, ne demandent pas une autre main-d’œuvre que celle que nous avons expliquée ; il n’y a de différence que dans les doses, les délais, les nourritures, &c. Il est à propos, autant qu’on peut, de ne mettre qu’une sorte de peaux dans un

même foulage ; sans quoi les unes seront trop foulées, les autres ne le seront pas assez. Les Chamoiseurs ne s’assujettissent peut-être pas assez à cette regle.

Les peaux de daim sont aujourd’hui les plus recherchées pour les culotes.

La différence seule qu’il y ait entre le Chamoiseur & le Mégissier ; c’est que le Chamoiseur passe en huile, & le Mégissier ne passe qu’en blanc. Cette différence se sentira mieux par ce que nous allons dire de ce dernier.

La manœuvre du Mégissier est la même que celle du Chamoiseur jusqu’aux plains. Quand les peaux sont dépelées, on les jette en plain : on les y laisse trois mois ; & pendant tout ce tems, on les leve de huit en huit jours. Au bout de ces trois mois, on les tire tout-à-fait ; on les met à l’eau, c’est-à-dire qu’on les porte dans l’eau fraîche pour les travailler ; on les écharne sur le chevalet, & on les rogne, c’est-à-dire qu’on en coupe les bouts des pattes & de la tête, & toutes les extrémités dures. Quand elles sont rognées, on les met boire, & on les jette dans l’eau ; puis on les épierre : épierrer, c’est avec une pierre de grais ou à éguiser, montée sur un morceau de bouis ou manche, un peu tranchante, & servant de fer ou de couteau au Mégissier, travailler la peau du côté de la fleur, ce qui s’appelle tenir. Quand les peaux ont été tenues, on les jette dans de l’eau claire ; on les foule & bat bien dans cette eau ; on les en tire pour les travailler du côté de la chair, ce qui s’appelle donner un travers de chair : cette manœuvre se fait avec le couteau à écharner. On dit donner un travers ; parce que dans cette façon la peau ne se travaille pas en long, ou de la tête à la queue, mais en large.

Quand on a donné le travers aux peaux, on les met dans de la nouvelle eau, & on les foule ; ce qui se fait à bras, avec des pilons ou marteaux de bois, emmanchés & sans dents. La foule dure à chaque fois un quart-d’heure ; puis on rince. Après avoir rincé, on fait reboire dans de nouvelle eau ; on donne ensuite un bon travers de fleur : ces travers n’enlevent rien ; ils font seulement sortir la chaux. On remet encore à l’eau nouvelle ; on foule, on rince, on remet boire ; puis on donne une glissade de fleur avec le couteau rond : donner une glissade, c’est travailler légerement en long, ou de la tête à la queue. On remet dans l’eau, on foule, on rince, on donne une seconde glissade de fleur, après laquelle on recoule de chair : recouler, c’est passer légerement le couteau à écharner. En général, le couteau rond sert toûjours pour la fleur, & le couteau à écharner pour la chair.

Lorsque les peaux sont recoulées, on prépare un confit avec de l’eau claire & du son de froment. Pour dix douzaines de peaux, il faut une carte de son, ou un demi-boisseau comble ; on met le mêlange d’eau & de son dans un muid ; on y jette aussitôt les peaux ; on les y remue bien, ensorte qu’elles soient couvertes par-tout de son & de confit ; on les y laisse jusqu’à ce qu’elles levent comme la pâte : quand elles sont levées, on les renfonce, ce qui se fait d’un jour à l’autre ; il ne faut pas plus de tems aux peaux pour lever, sur-tout dans les jours chauds. On ne les tire du confit, que quand elles ne levent plus : mais il leur arrive ordinairement de lever & d’être renfoncées jusqu’à sept à huit fois. Quand elles ne levent plus, on les recoule pour en ôter le son : mais cette opération se fait seulement du côté de la chair. On les met ensuite en presse. Pour cet effet, on les enveloppe dans un drap ; on les couvre d’une claie : on charge cette claie de pierres ; elles ne restent en presse que du jour au lendemain.

Le lendemain, on les secoue & on les passe. Voici la manœuvre importante du Mégissier à cet effet. Pour dix douzaines de moutons passables & assez beaux,