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fait d’exécutions de justice, tend à la cruauté. Qu’on exerce la rigueur sur le corps des criminels après leur trépas, à la bonne-heure : mais avant ce terme, je serois avare de leurs souffrances ; je respecte encore l’humanité dans les scélérats qui l’ont violée ; je la respecte envers les bêtes ; je n’en prends guere en vie à qui je ne donne la liberté, comme faisoit Montagne ; & je n’ai point oublié que Pythagore les achetoit des oiseleurs dans cette intention. Mais la plûpart des hommes ont des idées si différentes de cette vertu qu’on présente ici, que je commence à craindre que la nature n’ait mis dans l’homme quelque pente à l’inhumanité. Le principe que ce prétendu roi de l’univers a établi, que tout est fait pour lui, & l’abus de quelques passages de l’Ecriture, ne contribueroient-ils point à fortifier son penchant ?

Cependant « la religion même nous ordonne de l’affection pour les bêtes ; nous devons grace aux créatures qui nous ont rendu service, ou qui ne nous causent aucun dommage ; il y a quelque commerce entre elles & nous, & quelqu’obligation mutuelle ». J’aime à trouver dans Montagne ces sentimens & ces expressions, que j’adopte également. Nous devons aux hommes la justice & la bonté ; nous devons aux malheurs de nos ennemis des marques de compassion, quand ce ne seroit que par les sentimens de notre bonheur, & de la vicissitude des choses d’ici-bas. Cette compassion est une espece de souci tendre, une généreuse sympathie, qui unit tous les hommes ensemble & les confond dans le même sort. Voyez Compassion.

Tirons le rideau sur les monstres sanguinaires nés pour inspirer de l’horreur, & jettons les yeux sur les êtres faits pour honorer la nature humaine & représenter la divine. Quand après avoir lû les traits de cruauté de Tibere & de Caligula, on tombe sur les marques de bonté de Trajan & de Marc-Aurele, on commence à avoir meilleure opinion de soi-même, parce qu’on reprend une meilleure opinion des hommes : on adore un Périclès qui s’estimoit heureux de n’avoir fait porter le deuil à aucun citoyen ; un Epaminondas, cette ame de si riche complexion, si je puis parler ainsi, qui allioit à toutes ses vertus celle de l’humanité dans un degré éminent, & de l’humanité la plus délicate ; il la tenoit de naissance, sans apprentissage, & l’avoit toûjours nourrie par l’exercice des préceptes de la Philosophie. Enfin on sent le prix de la bonté, de la compassion, on en est rempli, quand on en a soi-même été digne : au contraire on déteste la cruauté, & par bon naturel & par principes, non-seulement parce qu’elle ne s’associe avec aucune bonne qualité, mais parce qu’elle est l’extrème de tous les vices ; je me flate que mes lecteurs en sont bien convaincus. Art. de M. le Chev. de Jaucourt.

CRUCHE, s. f. (Œcon. domest.) vaisseau de terre ou de grais large par le bas, & retréci par le haut, qui sert à puiser de l’eau ou d’autres liquides. Il a une anse. Une pleine cruche s’appelle une cruchée ; une petite cruche, un cruchon.

CRUCIFIEMENT, s. m. (Hist. anc. & mod.) supplice en usage chez les anciens pour faire mourir les criminels condamnés par la justice à ce genre de mort, & qui est encore usité dans quelques contrées de l’Asie.

Les anciens Latins nommoient la croix gabalus ; les Romains l’ont appellée patibulum, & les Grecs σταυρός. Elle n’a pas eu la même forme chez toutes les nations : d’abord ce n’étoit qu’un pal ou poteau de bois tout droit sur lequel on attachoit le criminel, ou avec des cordes par les bras & par les jambes, ou avec des clous qu’on lui enfonçoit dans les mains & dans les piés, & souvent pour cette exécution on se servoit d’un arbre. Mais ordinairement les croix

étoient composés de deux pieces de bois qu’on assembloit en trois différentes manieres : 1°. en les croisant & formant la figure d’un X, ce que nous appellons encore aujourd’hui croix de S. André : 2°. en plantant une de ces pieces de bois droite, & mettant l’autre en-travers au bout de celle-là, ce qui ressembloit à notre lettre T : 3°. en attachant la piece qui étoit en-travers un peu au-dessous du bout de la piece droite, & c’est de cette derniere figure qu’étoit la croix où Jesus-Christ fut attaché, comme on l’infere de l’inscription que Pilate fit mettre au-dessus, & du concert de tous les Historiens.

On trouve, tant dans les livres saints que dans les auteurs profanes, une foule de passages qui prouvent que les Egyptiens, les Hébreux, les Perses, les Grecs, les Romains, ont puni les criminels par le supplice de la croix ; ce qu’on ne peut pas entendre d’un gibet ou d’une potence où l’on les étranglât, mais d’un genre de mort plus lent & plus cruel, puisqu’il est dit, entre autres dans Josephe, hist. liv. XIII. qu’Hircan ayant fait mettre en croix jusqu’à huit cents de ses sujets rébelles, fit égorger à leurs yeux leurs femmes & leurs enfans, pour augmenter leurs tourmens par ce spectacle tragique. Les Perses y condamnoient les grands, les Carthaginois leurs propres généraux, les Romains ceux qui s’étoient révoltés, & quelquefois les femmes, mais communément les esclaves ; les Juifs, ceux qu’ils regardoient comme d’insignes scélérats.

Les auteurs se sont contentés de nous transmettre les termes de crucifier, d’attacher, ou de suspendre en croix, sans nous détailler les particularités de ce supplice. On conjecture, avec vraissemblance, qu’à l’égard de ceux qu’on y attachoit avec des clous, on les couchoit sur la croix étendue par terre, & que les bourreaux les y cloüoient par les piés & par les mains ; ensuite de quoi l’on élevoit la croix avec des cordes & des leviers, & on la plantoit en en affermissant le pié avec des coins. A l’égard de ceux qu’on y attachoit simplement avec des cordes, on pouvoit au moyen de quelques échelles les garroter sur la croix déjà plantée. On est plus instruit sur les autres circonstances de ce supplice, & sur ses différences chez les Juifs & chez les autres nations. Les Grecs, par exemple, & les Romains y laissoient mourir les condamnés, & n’en détachoient jamais les corps, qu’on laissoit tomber de pourriture. Les Juifs au contraire avoient coûtume d’ôter les corps de la croix & de les enterrer, après avoir comme épuisé sur eux plusieurs rafinemens de cruauté. Ils les détachoient à la vérité à la fin du jour, mais après leur avoir brisé les os des cuisses s’ils n’étoient pas encore morts ; ce qui étoit un surcroît effroyable de douleur : & afin de ne la leur pas épargner, avant que de les mettre en croix ils leur faisoient boire du vin excellent mixtionné de drogues qui fortifioient & donnoient de la vigueur, & qu’on appelloit vinum myrrhatum, parce qu’on le présentoit à ces malheureux dans des vases de myrrhe. D’ailleurs ils avoient coûtume de leur appliquer de tems en tems pendant le supplice du vinaigre où l’on avoit fait infuser de l’hyssope, & dont ils remplissoient une éponge ; trois choses propres à étancher le sang, selon Pline & Dioscoride ; de sorte qu’en arrêtant par-là le sang du patient, ils lui prolongeoient s’ils pouvoient la vie jusqu’au soir, & ajoûtoient à cette continuité de tourmens celui de lui rompre les os des cuisses. L’éponge dont ils se servirent au crucifiement de N. S. J. C. & qu’on conserve avec grande vénération dans l’église de S. Jean de Latran à Rome, au rapport de ceux qui l’ont vûe, paroît rougeâtre, comme ayant été imbibée de sang & ensuite pressée. Les Juifs & les Gentils regardoient aussi les plus hautes croix comme les plus infâmes, & ce supplice comme le