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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/1038

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ESTILLE, s. f. (Manuf. en laine.) c’est la même chose que métier. Ce terme est usité dans les sayetteries d’Amiens.

ESTIMATEUR, s. m. (Gram.) celui qui est choisi ou nommé pour faire une estimation. Voyez Estimation.

Les huissiers sont jurés-priseurs, vendeurs, & estimateurs des biens meubles.

ESTIMATIF, (Jurisp.) se dit de ce qui contient l’estimation de quelque chose, comme un procès-verbal ou rapport d’experts, un devis estimatif d’ouvrages. (A)

ESTIMATION, (Jurisp.) signifie quelquefois la prisée ou évaluation d’une chose ; quelquefois on entend par le terme d’estimation, la somme même qui représente la valeur de la chose.

Toute estimation doit être faite en conscience & en la maniere usitée. Les estimations frauduleuses & à vil prix ne sont jamais autorisées ; cependant on ne fait pas toûjours l’estimation à juste valeur, par exemple, dans les pays où la crue des meubles a lieu on les estime à bas prix, parce que cette estimation ou prisée n’est que préparatoire, & que l’on sai que les meubles seront portés plus haut à la chaleur des encheres, ou que si on les prend suivant l’estimation, on y ajoûtera la crue.

Dans les licitations des immeubles appartenans à des mineurs, l’estimation doit en être préalablement faite par autorité de justice, & le juge ne peut adjuger les biens au-dessous de l’estimation qui en a été faite par les experts.

Il y a des cas où l’estimation d’une chose équivaut à une vente, c’est-à-dire qu’on en est quitte en rendant l’estimation ; c’est ainsi que dans quelques parlemens de droit écrit l’on tient pour maxime que æstimatio rei dotalis facit venditionem, c’est-à-dire que quand un bien dotal est estimé, le mari en peut disposer pourvû qu’il rende l’estimation. (A)

ESTIME, s. f. (Droit natur.) degré de considération que chacun a dans la vie commune, en vertu duquel il peut être comparé, égalé, préféré, &c. à d’autres. On divise l’estime en estime simple, & en estime de distinction.

L’estime simple est ainsi nommée, parce qu’on est tenu généralement de regarder pour d’honnêtes gens tous ceux, qui, par leur conduite, ne se sont point rendus indignes de cette opinion favorable. Hobbes pense différemment sur cet article ; il prétend qu’il faudroit présumer la méchanceté des hommes jusqu’à ce qu’ils eussent prouvé le contraire. Il est vrai, suivant la remarque de la Bruyere, qu’il seroit imprudent de juger des hommes comme d’un tableau ou d’une figure, sur une premiere vûe ; il y a un intérieur en eux qu’il faut approfondir : le voile de la modestie couvre le mérite, & le masque de l’hypocrisie cache la malignité. Il n’y a qu’un très petit nombre de gens qui discernent, & qui soient en droit de prononcer définitivement. Ce n’est que peu-à-peu, & forcés même par le tems & les occasions, que la vertu parfaite & le vice consommé, viennent à se déclarer. Je conviens encore que les hommes peuvent avoir la volonté de se faire du mal les uns aux autres ; mais j’en conclurois seulement, qu’en estimant gens de bien tous ceux qui n’ont point donné atteinte à leur probité, il est sage & sensé de ne pas se confier à eux sans réserve.

Enfin je crois qu’il faut distinguer ici entre le jugement intérieur & les marques extérieures de ce jugement. Le premier, tant qu’il ne se manifeste point au-dehors par des signes de mépris, ne nuit à personne, soit qu’on se trompe ou qu’on ne se trompe point. Le second est legitime, lorsque par des actions marquées de méchanceté ou d’infamie on nous a dispensés des égards & des ménagemens. Ainsi na-

turellement chacun doit être réputé homme de bien,

tant qu’il n’a pas prouvé le contraire : soit qu’on prenne cette proposition dans un sens positif, soit plutôt qu’on l’entende dans un sens négatif, qui se réduit à celui-ci ; un tel n’est pas méchant homme : puisqu’il y a des degrés de véritable probité, il s’en trouve aussi plusieurs de cette probité qu’on peut appeller imparfaite, & qui est si commune.

Le fondement de l’estime simple, parmi ceux qui vivent dans l’état de nature, consiste principalement en ce qu’une personne se conduit de telle maniere, qu’on a lieu de la croire disposée à pratiquer envers autrui, autant qu’il lui est possible, les devoirs de la loi naturelle.

L’estime simple peut être considérée dans l’état de nature, ou comme intacte, ou comme ayant reçu quelque atteinte, ou comme entierement perdue.

Elle demeure intacte, tant qu’on n’a point violé envers les autres, de propos délibéré, les maximes de la loi naturelle par quelqu’action odieuse ou quelque crime énorme.

Une action odieuse, par laquelle on viole envers autrui le droit naturel, porte un si grand coup à l’estime, qu’il n’est plus sûr desormais de contracter avec un tel homme sans de bonnes cautions : je ne sai cependant s’il est permis de juger des hommes par une faute qui seroit unique ; & si un besoin extrème, une violente passion, un premier mouvement, tirent à conséquence. Quoi qu’il en soit, cette tache doit être effacée par la réparation du dommage & par des marques sinceres de repentir.

Mais on perd entierement l’estime simple par une profession ou un genre de vie qui tend directement à insulter tout le monde & à s’enrichir par des injustices manifestes. Tels sont les voleurs, les brigands, les corsaires, les assassins, &c. Cependant si ces sortes de gens, & même des sociétés entieres de pirates, renoncent à leur indigne métier, réparent de leur mieux les torts qu’ils ont faits, & viennent à mener une bonne vie, ils doivent alors recouvrer l’estime qu’ils avoient perdue.

Dans une société civile, l’estime simple consiste à être réputé membre sain de l’état, ensorte que, selon les lois & les coûtumes du pays, on tienne rang de citoyen, & que l’on n’ait pas été déclaré infame.

L’estime simple naturelle a aussi lieu dans les sociétés civiles où chaque particulier peur l’exiger, tant qu’il n’a rien fait qui le rende indigne de la réputation d’homme de probité. Mais il faut observer que comme elle se confond avec l’estime civile, qui n’est pas toûjours conforme aux idées de l’équité naturelle, on n’en est pas moins réputé civilement honnête homme, quoiqu’on fasse des choses qui, dans l’indépendance de l’état de nature, diminueroient ou détruiroient l’estime simple, comme étant opposées à la justice : au contraire on peut perdre l’estime civile pour des choses qui ne sont mauvaises que parce qu’elles se trouvent défendues par les lois.

On est privé de cette estime civile, ou simplement à cause d’une certaine profession qu’on exerce, ou en conséquence de quelque crime. Toute profession dont le but & le caractere renferment quelque chose de deshonnête, ou qui du moins passe pour tel dans l’esprit des citoyens, prive de l’estime civile : tel est le métier d’exécuteur de la haute justice, parce qu’on suppose qu’il n’y a que des ames de bouë qui puissent le prendre, quoique ce métier soit nécessaire dans la société.

L’on est sur-tout privé de l’estime civile par des crimes qui intéressent la société : un seul de ces crimes peut faire perdre entierement l’estime civile, lors, par exemple, que l’on est noté d’infamie pour quelque action honteuse contraire aux lois, ou qu’on est banni de l’état d’une façon ignominieuse, ou qu’on