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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/489

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priété ; que le verre, les pierres prétieuses, la soie, la laine, le crin, & presque tous les poils des animaux, avoient la même vertu ; qu’il suffit de bien sécher chacun de ces corps, & de les froter un peu, pour voir voler vers eux tous les corps legers qu’on leur présente. Sur ces exemples on a depuis chauffé un peu plus vivement, & froté avec plus de patience une infinité d’autres corps, & on leur a trouvé aussi la même propriété ; ensorte qu’en poussant plus loin cet examen, on s’est assûré que tous les corps de la nature peuvent devenir électriques, pourvû qu’ils soient auparavant parfaitement séchés & frotés.

Néanmoins les métaux se sont constamment soustraits à cette épreuve ; rougis, frotés, battus, limés, ils n’ont jamais donné le moindre signe d’attraction électrique ; ensorte qu’ils font une exception à la regle générale, ainsi que l’eau & toutes les liqueurs qu’il est impossible de soûmettre au frotement.

En examinant à quel degré tous les corps de la nature deviennent électriques par l’effet du frotement, on voit que l’on peut descendre par une infinité de nuances de ceux qui s’électrisent beaucoup & facilement, à ceux dont la vertu se rend à peine sensible, jusqu’à ce qu’on arrive aux métaux sur lesquels, comme on vient de le dire, le frotement n’a aucun effet ; c’est pourquoi on a partagé en deux classes générales tous les corps de la nature, suivant qu’ils sont plus ou moins susceptibles d’électricité.

On a compris dans la premiere classe, ceux qui s’électrisent très-facilement après avoir été un peu chauffés & frotés, & on les appelle simplement corps électriques : tels sont,

1° Les diamans blancs & colorés de toutes especes, le rubis, le saphir, le péridore, l’émeraude, l’opale, l’amethyste, la topase, le beril, les grenats, enfin le crystal de roche, & tous ceux qu’on appelle cailloux du Rhin, de Médoc, &c.

2° Le verre & tous les corps vitrifiés ; savoir les émaux de toute couleur, la porcelaine, le verre d’antimoine, de plomb, &c.

3° Les baumes, larmes & résines de toutes especes, telles que la poix noire, la poix-résine, la terebenthine cuite, la colophone, le baume du Pérou, le mastic, la gomme-copal, la gomme-lacque, & la cire, &c.

4° Les bitumes, le soufre, le succin, le jayet, l’asphalte, &c.

5° Certains produits des animaux, tels que la soie, les plumes, le crin, la laine, les cheveux, & tous les poils des animaux morts ou vivans.

La seconde classe contient les corps qui ne s’électrisent pas du tout par le frotement, ou du moins très-peu, & que l’on nomme pour cet effet non électriques ; savoir,

1° L’eau & toutes les liqueurs aqueuses & spiritueuses, qui sont incapables de s’épaissir & d’être frotées.

2° Tous les métaux parfaits & imparfaits, & la plûpart des minéraux ; savoir l’aimant, l’antimoine, le zinc, le bismuth, l’agathe, le jaspe, le marbre, le grais, l’ardoise, la pierre de taille, &c.

3° Tous les animaux vivans, à l’exception de leurs poils. On peut y joindre aussi la plûpart de leurs produits ; savoir le cuir, le parchemin, les os, l’ivoire, la corne, les dents, l’écaille, la baleine, les coquilles, &c.

4° Enfin les arbres & toutes les plantes vivantes, & la plûpart des choses qui en dépendent, telles que le fil, la corde, la toile, le papier, &c.

Ce n’est pas que ces corps ne puissent jamais devenir électriques par d’autres moyens que par la chaleur & le frotement, mais parce que ces deux préparations leur sont ordinairement insuffisantes. En effet, quoique les métaux & les liqueurs ne puis-

sent pas devenir électriques par la voie du frotement,

ils le deviennent très-bien, comme nous le verrons dans la suite, dans la simple approche d’un autre corps électrisé. Il est vrai que ces corps ne peuvent manifester la vertu qu’ils reçoivent, que dans de certaines circonstances, & qu’ils la perdent avec la même facilité qu’ils la reçoivent, si on ne prend pas quelque précaution pour la leur conserver, & la fixer, pour ainsi dire, dans leur étendue. Cette précaution, pour le dire d’avance, consiste à les poser sur des corps électriques un peu élevés, & à les éloigner suffisamment de ceux qui pourroient leur enlever les courans de matiere électrique, à mesure qu’on les répandroit sur eux.

Ainsi une barre de fer deviendra électrique par l’approche d’un tube de verre froté, si elle est soûtenue horisontalement par deux autres tuyaux de verre bien secs, ou suspendue par des cordons de soie, ou enfin posée sur un pain de résine de quelques pouces d’épaisseur ; & on électrisera de même l’eau & les autres métaux, ainsi que tous les autres corps qui ne pouvant être électrisés que très-peu par le frotement, sont rangés dans la classe des non-électriques. Ceux-ci acquéreront même beaucoup plus d’électricité par le moyen que nous venons d’indiquer, qu’on ne leur en pourroit jamais exciter en les frotant.

Le frotement a paru nécessaire en général pour exciter les mouvemens de la matiere électrique, & rendre apparens ses effets d’attraction & de répulsion, & il y a même très-peu de corps qui puissent devenir électriques sans cette préparation ; cependant il suffit que quelques-uns le soient devenus sans ce secours, ni celui de la communication, pour qu’on puisse conclure que le frotement n’est pas absolument essentiel à la production des effets de l’électricité. En effet, un gros morceau de succin ou de jayet, dont la surface est large & bien polie, un cone de soufre fondu dans un verre à boire bien sec, &c. conserve de la vertu électrique pendant des années entieres & sans le secours d’aucun frotement, foible à la vérité, mais qui n’est pas moins bien caractérisée par l’attraction & la répulsion d’un cheveu. On peut joindre à ces exemples celui d’une pierre plate & orbiculaire que l’on trouve dans quelques-unes des rivieres de Ceylan, & qui attire & repousse successivement des paillettes, sans qu’il soit jamais besoin de la froter pour exciter sa vertu.

Mais si le frotement ne paroît pas absolument nécessaire pour produire de l’électricité, on ne sauroit nier qu’il n’y contribue infiniment ; car sans parler du plus grand nombre des corps qui n’ont jamais de vertu électrique qu’à force de frotement, il est constant, par des expériences réitérées, que ceux même qui ont cette vertu sans ce secours, produisent des effets électriques d’autant plus considérables qu’ils sont plus vivement frotés.

Il est également nécessaire que les corps que l’on veut électriser par le frotement, soient exemts de toute humidité : celle qu’ils contiendroient dans leurs pores, & qui paroît d’ailleurs se répandre sur eux, paroît un obstacle bien décidé à ce qu’ils deviennent électriques. On a beau froter un corps humide, il n’a jamais qu’une vertu foible & languissante ; au lieu que lorsqu’il est bien sec, le moindre frotement suffit pour exciter la matiere en abondance, & lui faire produire les effets les plus sensibles. De même la vertu électrique n’est jamais plus apparente dans un corps que lorsque l’air est bien sec & bien serein, sur-tout s’il souffle un vent frais du nord ou du nord-est : au contraire lorsque le vent est du sud ou de l’oüest, & que l’air se trouve chargé de vapeurs humides, les effets de l’électricité sont à peine sensibles ; en sorte que les corps qui ne montrent qu’une