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Mais dès que, l’ouverture étant pratiquée, on sera convaincu par l’inspection de la matiere de la certitude de l’encloüeure, on nettoyera exactement la plaie, & l’on aura recours aux remedes capables de s’opposer aux progrès du mal. Ces remedes sont les liqueurs spiritueuses, telles que l’esprit-de-vin, l’essence de terebenthine, la teinture de myrrhe & d’aloès, &c. & non des remedes graisseux, qui ne sauroient convenir dans les plaies des parties tendineuses & aponévrotiques. On vuidera sur la partie suppurante une quantité proportionnée des unes ou des autres de ces liqueurs ; on les couvrira d’un plumaceau que l’on en baignera aussi, & l’on garnira le dessous du pié avec les étoupes & avec les éclisses, comme dans le premier cas. Il est plusieurs attentions à faire dans ces pansemens, qui doivent avoir lieu tous les jours.

1°. On tiendra la plaie toûjours nette ; 2°. on la garantira des impressions de l’air ; 3°. on comprimera soigneusement le plumaceau à l’effet de prévenir une regénération trop abondante, c’est-à-dire, pour me servir des expressions des Maréchaux, afin d’éviter des cerises, & d’empêcher que la chair ne surmonte ; cette compression ne sera pas néanmoins telle qu’elle puisse attirer une nouvelle inflammation & de nouvelles douleurs ; elle sera conséquemment moderée, & ne donnera pas lieu à tous ces inconvéniens qui obligent d’employer les consomptifs, & qui étonnent & allarment l’ouvrier qui les a occasionnés par son ignorance.

Le cheval peut encore être piqué & serré en conséquence d’une retraite (voyez Retraite, voyez Ferrer) : on ne peut en espérer la guérison, que l’on n’ait fait l’extraction de ce corps étranger ; extraction quelquefois difficile, & souvent funeste, si elle est tentée par un ouvrier qui n’ait aucune lumiere sur le tissu & sur le genre des parties, qu’il ne peut s’empêcher de détruire en opérant. Lorsque cette retraite a été chassée dans le vif, il y a plaie compliquée. Souvent aussi la matiere suppurée entraîne ce corps dans son cours ; c’est ainsi que la nature trouve en elle-même des ressources & des moyens par lesquels elle supplée à notre impuissance. (e)

Clou de rue, c’est une espece d’encloüeure, qui fait tantôt une piquûre simple, tantôt une plaie compliquée, ou souvent une plaie contuse, selon la nature & la configuration du corps qui a fait cette lésion. Quoique ce ne soit point le lieu de parler du clou de rue, néanmoins comme cette blessure & l’encloüeure ont beaucoup d’analogie, & qu’il n’est rien de plus fréquent que cet accident, ni rien de plus rare que la guérison parfaite, lorsqu’il est grave, le peu qu’on en a dit en son article nous engage à en donner succinctement la description, ainsi que les moyens que nous employons pour parvenir plus sûrement & plus promptement à une cure radicale ; moyens d’autant plus avantageux, qu’ils nous font éviter la dessolure, opération douloureuse, abusive, & le plus souvent pernicieuse pour le traitement du clou de rue, comme l’expérience journaliere ne le prouve que trop bien.

Pour nous, quelque grave que soit la plaie du clou de rue, nous ne dessolons jamais ; nous retirons de cette pratique des avantages qui concourent promptement & efficacement à la guérison de cet accident. 1°. En ne dessolant point, la sole nous sert de point d’appui pour contenir les chairs & l’appareil. 2°. Nous avons la liberté de panser la plaie aussi-tôt & si souvent que le cas l’exige, sans craindre ni hémorrhagie, ni que la sole surmonte, ni qu’il s’y forme des inégalités. 3°. Nous épargnons de grandes souffrances à l’animal, tant du côté des nouvelles irritations que la dessolure causeroit à la partie affectée,

que du côté des secousses violentes que le cheval se donne dans le travail ; espece de torture qui lui cause ordinairement la fievre, & qui par conséquent met obstacle à la formation des liqueurs balsamiques, propres à une loüable suppuration. Quoique notre opinion soit fondée sur les succès constans & multipliés d’une pratique de plus de vingt ans, que nous avons suivie, tant à l’armée qu’ailleurs, sans qu’aucune de ces expériences que nous avons faites ait trompé notre attente, nous ne doutons pas que cette méthode n’éprouve des contradictions, puisqu’elle a le préjugé le plus général à combattre, & la plus longue habitude à vaincre. On peut nous objecter que beaucoup de chevaux guérissent par le moyen de la dessolure : nous répondons 1°. que s’il en guérit beaucoup, beaucoup en sont estropiés, & qu’en ne dessolant pas, la méthode que nous pratiquons les sauve tous : 2°. que ceux qu’on guérit avec la dessolure, ne sont le plus souvent que legerement piqués, & qu’il en échappe très-peu de ceux qui sont blessés dans les parties susceptibles d’irritation, au lieu que les uns & les autres sont conservés par notre méthode : 3°. que ceux qui sont traités par la dessolure, sont quelquefois six mois, quelquefois des années entieres abandonnés dans un pré, ou envoyés au labourage, d’où ils reviennent comme ils y ont été, boiteux & hors d’état de servir ; au lieu que les plaies les plus dangereuses & les cures les plus lentes dans ce genre, ne nous ont jamais coûté plus de six semaines : 4°. que les accidens qui suivent la dessolure, demandent souvent que l’on repete la même opération ; au lieu que les chevaux traités selon notre méthode, sont guéris sans aucun retour.

Si l’on est surpris de la différence que nous mettons entre ces deux pratiques ; si l’on révoque en doute notre expérience, notre témoignage, & la notoriété publique, qui en est garant, on se rendra du moins à la force de l’évidence, & nous croyons pouvoir nommer ainsi la preuve qui résulte de la seule comparaison des deux traitemens.

Nous supposons, pour abreger, que l’on connoît la composition anatomique du pié du cheval, & nous renvoyons pour cela à l’excellent traité d’hippiatrique de M. Bourgelat : nous rappellerons seulement que le pié du cheval est composé de chair, de vaisseaux sanguins, lymphatiques, & nerveux, de tendons, de ligamens, de cartilages, & d’os, de l’aponévrose, du périoste, & de la corne qui renferme toutes ces parties, la plûpart susceptibles d’irritation, de corruption, & de douleur à la moindre atteinte qu’elles reçoivent de quelque corps étranger ; combien à plus forte raison doivent-elles être affectées par le clou de rue, quand le cas est grave, & combien plus par la dessolure ? c’est bien alors qu’on peut dire que le remede est pire que le mal.

Voici le contraste qui résulte de la dessolure appliquée au clou de rue, & la démonstration que nous avons promise du danger de cette méthode : après la dessolure, les regles de l’art nous prescrivent six jours au moins avant de lever l’appareil, pour donner le tems à la nature de faire la regénération de la sole unie & bien conformée ; les mêmes regles de l’art nous prescrivent de lever tous les jours l’appareil du clou de rue, pour procurer l’évacuation du pus, & prévenir la corruption des parties saines & affectées. Si l’on suit les regles de l’art à l’égard de la dessolure, la plaie du clou de rue est négligée, la matiere par son séjour ne manque point de s’enflammer, & de produire des engorgemens, & quelquefois des abcès qui corrodent, tantôt les tendons, tantôt l’aponévrose, tantôt le périoste, quelquefois l’os & la capsule qui laisse échapper la synovie, quelquefois même enfin elle se fraye des routes vers la