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regle, lorsque par rapport à l’exposition & à la diversité des aspects d’un bâtiment, il paroît nécessaire de placer à droite les appartemens de société pour joüir d’un point de vûe, qui très-souvent dans une maison de plaisance ne se rencontre que de ce côté ; autrement on ne peut trop insister, soit préjugé, soit habitude, sur la nécessité de placer les escaliers comme nous le recommandons, & de les situer de maniere qu’ils s’annoncent dès l’entrée du vestibule. Voyez Vestibule.

De la grandeur des escaliers. La grandeur des escaliers en général dépend de l’étendue du bâtiment, & du diametre des pieces. Rien n’est plus contraire à la convenance, que de pratiquer un escalier principal trop petit pour monter à des appartemens spatieux, ou d’en ériger un trop grand dans une maison particuliere. Par la grandeur d’un escalier, on doit entendre l’espace qu’occupe sa cage, la longueur de ses marches, & le vuide que l’on observe entre ses murs d’échiffre ; car il est bon de savoir que dans tous les genres d’escalier destinés à l’usage des maîtres, la hauteur des marches, leur giron, & celle des appuis des balustrades, des rampes, doivent par-tout être les mêmes. L’on entend encore par la grandeur d’un escalier, non-seulement la surface qu’il occupe, mais aussi son élévation qui n’est jamais moins que de deux étages, & souvent beaucoup plus, ce qu’il faut éviter néanmoins ; il est mieux de pratiquer un escalier particulier pour monter aux étages supérieurs, aux combles, aux terrasses, &c. à moins qu’il ne s’agisse d’une maison économique, ou à loyer.

De la différente forme des escaliers. La forme des escaliers est aussi diverse que celle des bâtimens. Les anciens les faisoient presque tous circulaires ; ensuite on les a fait quadrangulaires ; aujourd’hui on les fait indistinctement de formes variées, selon que la distribution des appartemens, l’inégalité du terrein ou la sujétion des issues semblent l’exiger : il est cependant certain que dans les bâtimens de quelque importance, les formes régulieres doivent avoir la préférence, ces escaliers étant du nombre de ces choses où la simplicité des formes doit prévaloir sur le génie & l’invention ; considération pour laquelle, sans avoir égard aux exemples de nos modernes à ce sujet, on ne peut trop recommander de retenue & de vraissemblance dans la forme & la disposition d’un escalier ; & si quelquefois on se trouve contraint de faire les côtés opposés des murs de cage dissemblables, il faut que cette licence annonce visiblement une nécessité indispensable d’avoir voulu concilier ensemble la distribution des appartemens, la décoration des façades, & en particulier la symmétrie de cette sorte de pieces.

De la maniere la plus convenable d’éclairer les escaliers. Quoiqu’il semble qu’on fasse usage des escaliers autant de nuit que de jour, il n’en est pas moins vrai qu’on doit être attentif à répandre une lumiere égale sur la surface de leur rampe & de leurs paliers ; ce qui n’arrive pas lorsqu’on les éclaire seulement sur l’une de leur face, parce que les rampes qui sont opposées à la lumiere, sont presque toûjours obscures : défaut que l’on remarque dans le plus grand nombre de ceux de nos hôtels à Paris. Pour éviter cet inconvénient, ne conviendroit-il pas de les éclairer en lanterne ? alors la lumiere plongeroit sur chaque rampe, ce qui rendroit leur usage plus facile, principalement, comme nous l’avons déjà remarqué, lorsque les marches, les paliers, & les rampes, se terminent au premier étage. On a vû pendant longtems le succès de cette lumiere pratiquée ainsi à l’escalier des ambassadeurs à Versailles, qui vient d’être démoli ; & cet exemple devroit servir d’autorité pour tous ceux qui demandent quelque : considération : d’ailleurs, il est possible de masquer les lanternes que

nous proposons par la hauteur des balustrades extérieures, lorsqu’on ne voudroit pas rendre leur élévation apparente dans les dehors.

De la décoration des escaliers. La convenance ici, comme par-tout ailleurs, doit présider dans la décoration d’un escalier, relativement à la matiere dont il est construit ; on doit user de retenue pour la multiplicité des membres d’architecture, & la prodigalité des ornemens : en général la simplicité doit être de leur ressort, la douceur des rampes, la longueur des marches, la grandeur de leur cage, le rapport de leur dimension, la symmétrie, & l’appareil de la construction, semblent devoir faire tous les frais de leur décoration, afin qu’il se rencontre une progression sensible de richesses entre la magnificence de ces genres de pieces & celle des appartemens, qui chacune séparément doit être décorée selon son usage & sa destination. Les escaliers des bâtimens de Paris qui paroissent décorés le plus convenablement, sont ceux des hôtels de Toulouse, d’Auvergne, de Tiers : ceux des hôtels de Soubise, de Luynes, de Tunis, &c. qu’on s’est apperçû après coup être trop simples, & où l’on a, par un excès opposé, répandu trop de richesse, montrent assez qu’il ne s’agit pas d’avoir pour objet d’imaginer un beau tableau. La vraissemblance doit avoir le pas sur tout ce que le génie le plus fertile peut produire d’élégant ; considération pour laquelle il est essentiel que l’architecte préside à tout ce qui se fait dans un bâtiment, en supposant qu’il ait acquis une connoissance de tous les arts relatifs à l’art de bâtir.

Plus il est nécessaire d’admettre de la magnificence dans un escalier, plus il est essentiel d’éviter que les paliers du premier étage mettent à couvert la premiere rampe du rez-de-chaussée. Rien n’est mieux, en mettant le pié sur la premiere marche, que de découvrir la partie supérieure de la cage & toute la lanterne qui doit l’éclairer ; mais en supposant qu’on ne fasse pas usage de ces lanternes, au moins faut-il éviter les sujets coloriés dans le plafond, ou les calotes qui les terminent. Cet ouvrage de peinture tranche trop sur le revêtissement des murs de cage, qui ordinairement sont tenus de pierre, de plâtre, ou de stuc, ainsi qu’on le remarque à l’escalier de la bibliotheque du roi, & dans plusieurs de nos maisons royales. La sculpture y paroît plus convenable, ou au défaut de celle-ci on doit y peindre des grisailles qui expriment les arcs doubleaux, les nervures, & les compartimens qu’on auroit mis en œuvre, si cette partie supérieure avoit été voûtée. Et si enfin un sujet colorié peut entrer pour quelque chose dans la décoration d’un escalier, ce ne doit être qu’en supposant que les revêtissemens seront de marbre de couleurs variées, tel qu’étoit celui des ambassadeurs à Versailles, un des beaux ouvrages qui ayent été faits dans ce genre.

De la construction des escaliers. La construction est la partie la plus essentielle d’un escalier : elle consiste dans l’art du trait ; & la beauté de l’appareil ne suffisant pas pour donner aux voûtes une forme trop élégante, la magie de l’art doit être mesurée à l’usage des pieces où on le met en œuvre. Il faut que ceux qui les fréquentent trouvent une sorte de sûreté à les monter & à les descendre, sans pour cela qu’on soit dispensé de donner de la grace aux courbes qui en composent les voûtes. De toutes les pieces d’un appartement, celle dont il est question exige le plus la réunion de la théorie avec la pratique, afin de joindre une solidité réelle & apparente à tout ce qui peut contribuer à rendre son ordonnance agréable. Ici l’art & le métier doivent être un ; l’appareilleur, l’architecte, le décorateur, doivent se montrer partout : en un mot rien de si satisfaisant qu’un bel escalier dans un édifice d’importance ; rien qui montre