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cependant dire en général, qu’on lui donne principalement deux significations. Quelquefois il se prend pour l’opération particuliere, par laquelle on expose les corps à une chaleur plus ou moins forte, pour les priver en tout ou en partie de leur humidité. On lui donne cette signification dans ces manieres de parler : L’évaporation des dissolutions des sels doit être conduite lentement, si l’on veut obtenir de beaux crystaux. L’évaporation se fait par le moyen du feu. L’évaporation, considérée dans ce sens, appartient à la Chimie.

Le même mot se prend souvent pour le passage ou l’élévation de certains corps dans l’atmosphere. Dans ce sens on peut dire, l’évaporation de l’eau a lieu dans les gelées les plus fortes. C’est sous ce point de vûe que nous devons considérer l’évaporation dans cet article. Commençons par en donner une idée aussi claire qu’il nous sera possible.

Presque tous les corps liquides & la plûpart des solides exposés à l’air, par l’action de ce fluide seule, ou aidée d’une chaleur modérée, s’élevent peu-à-peu dans l’atmosphere, les uns totalement, d’autres seulement en partie : ce passage, ou cette élévation totale ou partiale des corps dans l’atmosphere, les Physiciens l’appellent évaporation. Les corps élevés dans l’air par l’évaporation, s’y soûtiennent dans un tel état, qu’ils sont absolument invisibles, jusqu’à ce que par quelque changement arrivé dans l’atmosphere, leurs particules se réunissent en de petites masses qui troublent sensiblement la transparence de l’air : par exemple, l’air est (comme nous le ferons voir dans la suite) en tout tems plein d’eau qui s’y est élevée par évaporation, & y demeure invisible jusqu’à ce que de nouvelles circonstances réunissent ses molécules dispersées, en de petites masses qui troublent sensiblement sa transparence. C’est ce qui distingue l’évaporation de l’élevation dans l’atmosphere de certains corps petits & legers, tels que la poussiere, qui ne s’y élevent & ne s’y soûtiennent que par l’impulsion méchanique de l’air agité, qui conservent dans l’air leur même volume, leur opacité, & retombent dès que l’air cesse d’être agité.

L’élevation de certains corps dans l’atmosphere, produite par un degré de chaleur suffisant pour les décomposer, ou par l’ustion même, a un plus grand rapport avec l’évaporation. Les particules élevées par ces moyens dans l’air, sont de la même nature que celles qui s’y élevent par l’évaporation ; elles s’y soûtiennent aussi dans un tel état de division, qu’elles sont parfaitement invisibles. Par exemple, le soufre en brûlant se décompose ; l’acide vitriolique & le principe inflammable dont il étoit composé (voy. Soufre), dégagés l’un de l’autre, s’élevent dans l’atmosphere & y deviennent invisibles. Par la calcination, les métaux imparfaits se décomposent ; leur principe inflammable s’éleve dans l’atmosphere. Les matieres animales ou végétales, privées de leurs parties volatiles libres & de l’eau surabondante, exposées au degré de feu nécessaire pour les analyser, se décomposent ; & par cette décomposition, il se dégage des principes volatiles, propres à s’élever & se soûtenir dans l’atmosphere. Par ces exemples il est clair que l’évaporation ne differe point essentiellement de l’élevation des particules volatiles dégagées par l’application d’une chaleur suffisante, pour décomposer les corps, ou par l’ustion ; que ces opérations ne font que disposer les corps à l’élevation de certaines de leurs parties ; qu’au reste les particules qui s’élevent dans l’air par cette voie, sont de la même nature, & s’y soûtiennent de même que celles qui s’y élevent par évaporation : cependant l’usage a voulu qu’on n’appellât point évaporation, l’élevation des particules détachées par ces opérations qui décomposent les corps ; il a restreint la signification

de ce mot à l’élevation des parties volatiles libres & dégagées de principes qui puissent les fixer, & qui pour s’élever dans l’atmosphere, ou ne demandent aucune chaleur artificielle, ou demandent seulement une chaleur modérée, qui n’excede guere celle de l’eau bouillante. Ce que j’ai dit jusqu’ici me paroît suffisant pour donner une idée exacte de ce qu’on entend par évaporation. Entrons actuellement en matiere, & considérons premierement quels sont les corps susceptibles d’évaporation, & quelle est la nature des particules qui s’élevent par cette voie dans l’atmosphere.

Parmi les corps susceptibles d’évaporation, les liquides tiennent sans doute le premier rang ; la plûpart de ces corps exposés à l’air libre, s’évaporent sans le secours d’aucune chaleur étrangere, & même dans les plus fortes gelées : mais il y en a aussi qui ne sont susceptibles d’évaporation, qu’autant qu’ils sont exposés à une chaleur plus ou moins forte. Ainsi, par exemple, les huiles grasses exposées à l’air libre à l’abri des rayons du soleil, ne souffrent pas une évaporation sensible : mais exposés à la chaleur de l’eau bouillante, elles s’évaporent, & de plus acquierent par une ébullition continuée, la propriété de s’évaporer sans le secours d’une chaleur étrangere ; propriété qu’elles acquierent de même en rancissant. L’huile de tartre par défaillance, & la plûpart des eaux meres exposées à l’air libre, attirent l’humidité de l’air, bien loin de s’évaporer : mais une chaleur plus ou moins forte, & qui n’excede pas le degré de l’eau bouillante, les fait évaporer. L’acide vitriolique est aussi sujet à l’évaporation ; mais il demande pour s’évaporer une chaleur d’autant plus forte, qu’il est plus concentré : de sorte que quand il est bien concentré, il faut pour l’élever dans l’atmosphere un degré de chaleur, qui va presque à faire rougir le vaisseau dans lequel il est contenu. Les liqueurs qui s’évaporent avec le plus de rapidité sont principalement l’eau pure, les vins, l’esprit-de-vin, l’éther vitriolique & nitreux, l’esprit volatil de sel ammoniac, l’acide nitreux fumant, l’acide sulphureux ; le dernier est si volatil, que suivant le témoignage de Stahl (obs. & animad. ccc. §. 37.) exposé à l’air libre, il s’évapore vingt fois plus vîte qu’une égale quantité d’esprit-de-vin le mieux rectifié : cet acide paroît s’évaporer plus rapidement que tous les liquides que je viens de nommer ; les autres, à-peu-près suivant l’ordre dans lequel je les ai placés. M. de Mairan a prouvé par des expériences, que l’esprit-de-vin s’évapore huit fois plus rapidement que l’eau. Voyez sa dissert. sur la glace.

Les corps solides, tirés des animaux & des végétaux, sont aussi pour la plûpart sujets à l’évaporation ; & même plusieurs matieres minérales n’en sont pas exemptes. Ainsi la terre qu’on appelle proprement humus, est susceptible d’évaporation. La soude, les sels neutres à base-saline, à base-terreuse, à base métallique, perdent aussi par l’évaporation ; mais je doute qu’ils puissent perdre par cette voie autre chose que leur eau de crystallisation ; & je pense que nous devons encore suspendre notre jugement sur ce qu’avancent quelques auteurs, que le sublimé corrosif, la lune cornée, & les autres sels neutres qui peuvent se sublimer dans les vaisseaux fermés, peuvent aussi s’élever & se soûtenir dans l’atmosphere sans se décomposer. Le mercure & l’arsenic des boutiques, ou, pour parler avec plus d’exactitude, la chaux du régule d’arsenic, le minéral singulier de nature en même tems acide & vitriolique, paroissent aussi devoir trouver place parmi les corps susceptibles d’évaporation.

L’eau, l’air, le principe inflammable & des molécules de nature terreuse, sont en général les matieres qui s’élevent dans l’atmosphere par l’évaporation.