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niere peu mesurée dont on traite dans cette brochure M. Rousseau, qui a souvent nommé avec éloges le musicien dont nous parlons[1], & qui ne lui a jamais manqué d’égards, même dans le petit nombre d’endroits où il a cru pouvoir le combattre : enfin les opinions plus que singulieres qu’on soûtient dans cet écrit, & qui ne préviennent pas en sa faveur, entr’autres, que la Géométrie est fondée sur la Musique ; qu’on doit comparer à l’harmonie quelque science que ce soit ; qu’un clavecin oculaire dans lequel on se borneroit à représenter l’analogie de l’harmonie avec les couleurs, mériteroit l’approbation générale, & ainsi du reste[2]. Si ce sont-là les vérités qu’on nous accuse d’ignorer, de négliger, ou de dissimuler, c’est un reproche que nous aurons le malheur de mériter long-tems.

On nous en a fait un autre auquel nous sommes beaucoup plus sensibles. Les habitans du Valais, suivant ce qu’on nous écrit, se plaignent de l’article Crétins, imprimé dans le IV. Volume, & assûrent que cet article est absolument faux. La promesse que nous avons faite de rendre une prompte & exacte justice à toutes les personnes qui auroient quelque sujet de se plaindre, nous oblige à plus forte raison envers une nation estimable, que nous n’avons jamais eu intention d’offenser. Néanmoins, quand l’article Crétins seroit aussi fondé que nous croyons aujourd’hui qu’il l’est peu, il ne seroit nullement injurieux aux peuples du Valais ; le Crétinage seroit une pure bisarrerie de la nature, qui n’auroit lieu, comme nous l’avons dit, que dans une petite partie de la nation, sans influer en aucune maniere sur le reste, & qui par-là n’en seroit que plus remarquable. Quoi qu’il en soit, nous prions nos Lecteurs de regarder absolument cet article comme non avenu, jusqu’à ce qu’on nous fournisse les moyens de nous rétracter plus en détail. Plusieurs raisons doivent faire excuser la faute où nous sommes tombés à ce sujet. L’article dont il s’agit a été tiré d’un mémoire dont l’extrait original nous a été communiqué par un de nos savans les plus respectables, trompé le premier ainsi que nous, par ceux qui le lui ont envoyé. Le mémoire avoit été lu à la Société de Lyon[3], qui en a publié l’analyse il y a quelques années dans un de nos ouvrages périodiques, & nous n’avons pas oüi dire que cette analyse imprimée ait excité alors aucunes plaintes. Tout sembloit donc concourir à nous induire en erreur. Comment pouvions-nous penser qu’une compagnie de gens de Lettres, très-à-portée par le peu de distance des lieux de vérifier aisément les faits, n’eût pas pris cette précaution si naturelle, avant que de les publier ? Il nous paroît difficile de croire, comme on nous l’assûre, que l’auteur du mémoire, en le lisant à ses confreres de Lyon, se soit uniquement proposé de tendre un piége à leur négligence ; mais s’il a formé ce projet, il n’a par malheur que trop bien réussi. Nous pouvons du moins assûrer que cet évenement imprévû nous rendra desormais très-circonspects sur tout ce qui nous viendra de pareilles sources. Peut-être ne devons-nous point faire servir à notre justification le silence que la nation intéressée a cru devoir garder jusqu’au moment où l’article Crétins a paru dans l’Encyclopédie ; nous sentons, avec autant de reconnoissance que de regret, tout ce qu’il y a de flateur pour nous dans la sensibilité que les habitans du Valais nous témoignent.

Après ces éclaircissemens nécessaires, il ne nous reste plus qu’à rendre les honneurs funebres à deux collegues que nous avons perdus, M. l’Abbé Lenglet & M. l’Abbé Mallet. C’est un devoir aussi juste que triste, auquel nous nous sommes engagés, & que nous serons fideles à remplir. Nous attendons les mémoires dont nous avons besoin pour payer le même tribut à feu M. du Marsais qui nous a été enlevé au mois de Juin dernier, & dont la perte n’est pas moins grande pour les Lettres que pour l’Encyclopédie.


Nicolas Lenglet du Fresnoy, Prêtre, Licentié de la Maison de Sorbonne, né le 16 Octobre 1674, & mort le 15 Janv. 1755, fut un de nos plus laborieux Ecrivains. Depuis l’âge de vingt ans jusqu’à la fin de sa vie, il ne cessa de composer un grand nombre d’ouvrages sur les objets les plus divers, & même quelquefois les plus disparates. La plûpart de ces écrits sont dignes de curiosité pour les recherches qu’ils contiennent ; il seroit trop long d’en donner ici la liste, aussi étendue que singuliere : on y trouve une traduction françoise du Diurnal romain, & une de l’Imitation ; l’Ordinaire de la Messe, avec des Maximes tirées des SS. Peres ; une édition du nouveau Testament, & une de Lactance ; un traité du secret de la Confession, & un autre de l’apparition des Esprits ; une édition du roman de la Rose ; une des Poësies de Regnier ; Arresta amoris cum commentariis Benedicti Curtii ; un traité de l’usage des Romans, & la critique de ce traité par l’Auteur même. Ici on voit plusieurs livres d’Histoire, de Droit Canon, & de Politique ; là différens écrits sur la Chimie, dont M. l’Abbé Lenglet s’étoit fort occupé. Celui de tous ses Ouvrages qui

  1. Voyez les mots Accompagnement, page 75. col. 2. vers la fin ; Basse, page 119. col. 2. & sur-tout la fin du mot Chiffrer.
  2. Voyez la brochure citée, page 46, 64, & sur-tout depuis la page 110 jusqu’à la fin.
  3. Cette Société est différente de l’Académie des Sciences & Belles-Lettres de la même ville.