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tion du fait, & ensuite celle des moyens. (A)

Exposition de Part, voyez ci-devant Exposition d’Enfant & Enfans exposés. (A)

Exposition de Batiment, en Architecture ; c’est la maniere dont un bâtiment est exposé par rapport au soleil & aux vents. La meilleure exposition, selon Vitruve, est d’avoir les encoignures opposées aux vents cardinaux du monde.

Exposition ou Solage. Voyez Aspect, Espalier, Fruitier, &c.

EXPRESSION, s. f. (Algebre.) On appelle en Algebre expression d’une quantité, la valeur de cette quantité exprimée ou représentée sous une forme algébrique. Par exemple, si on trouve qu’une inconnue x est , a & b étant des quantités connues, sera l’expression de x. Une équation n’est autre chose que la valeur d’une même quantité présentée sous deux expressions différentes. Voyez Equation. (O)

Expression, (Belles-Lettres.) en général est la représentation de la pensée.

On peut exprimer ses pensées de trois manieres ; par le ton de la voix, comme quand on gémit ; par le geste, comme quand on fait signe à quelqu’un d’avancer ou de se retirer ; & par la parole, soit prononcée, soit écrite. Voyez Elocution.

Les expressions suivent la nature des pensées ; il y en a de simples, de vives, fortes, hardies, riches, sublimes, qui sont autant de représentations d’idées semblables : par exemple, la beauté s’envole avec le tems, s’envole est une expression vive, & qui fait image ; si l’on y substituoit s’en va, on affoibliroit l’idée, & ainsi des autres.

L’expression est donc la maniere de peindre ses idées, & de les faire passer dans l’esprit des autres. Dans l’Eloquence & la Poésie l’expression est ce qu’on nomme autrement diction, élocution, choix des mots qu’on fait entrer dans un discours ou dans un poëme.

Il ne suffit pas à un poëte ou à un orateur d’avoir de belles pensées, il faut encore qu’il ait une heureuse expression ; sa premiere qualité est d’être claire, l’équivoque ou l’obscurité des expressions marque nécessairement de l’obscurité dans la pensée :

Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit ou moins nette ou plis pure ;
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Boil. Art poét.

Un grand nombre de beautés des anciens auteurs, dit M. de la Mothe, sont attachées à des expressions qui sont particulieres à leur langue, ou à des rapports qui ne nous étant pas si familiers qu’à eux, ne nous font pas le même plaisir. Voyez Elocution, Diction, Style, Latinité, &c. (G)

Expression, (Opéra.) C’est le ton propre au sentiment, à la situation, au caractere de chacune des parties du sujet qu’on traite. La Poésie, la Peinture & la Musique sont une imitation. Comme la premiere ne consiste pas seulement en un arrangement méthodique de mots, & que la seconde doit être tout autre chose qu’un simple mélange de couleurs, de même la Musique n’est rien moins qu’une suite sans objet de sons divers. Chacun de ces arts a & doit avoir une expression, parce qu’on n’imite point sans exprimer, ou plûtôt que l’expression est l’imitation même.

Il y a deux sortes de Musique, l’une instrumentale, l’autre vocale, & l’expression est nécessaire à ces deux especes, de quelque maniere qu’on les employe. Un concerto, une sonate, doivent peindre quelque chose, ou ne sont que du bruit, harmonieux, si l’on veut, mais sans vie. Le chant d’une chanson, d’une cantate, doit exprimer les paroles de la cantate & de la chanson, sinon le musicien a manqué son but ; & le

chant, quelque beau qu’il soit d’ailleurs, n’est qu’un contre-sens fatiguant pour les oreilles délicates.

Ce principe puisé dans la nature, & toûjours sûr pour la Musique en général, est encore plus particulierement applicable à la musique dramatique ; c’est un édifice régulier qu’il faut élever avec raison, ordre & symmétrie : les symphonies & le chant sont les grandes parties du total, la perfection de l’ensemble dépend de l’expression répandue dans toutes ses parties.

Lulli a presqu’atteint à la perfection dans un des points principaux de ce genre. Le chant de déclamation, qu’il a adapté si heureusement aux poëmes inimitables de Quinaut, a toûjours été le modele de l’expression dans notre musique de récitatif. Voyez Récitatif. Mais qu’il soit permis de parler sans déguisement dans un ouvrage consacré à la gloire & au progrès des Arts. La vérité doit leur servir de flambeau ; elle peut seule, en éclairant les Artistes, enflammer le génie, & le guider dans des routes sûres vers la perfection. Lulli qui a quelquefois excellé dans l’expression de son récitatif, mais qui fort souvent aussi l’a manquée, a été très fort au-dessous de lui-même dans l’expression de presque toutes les autres parties de sa musique.

Les fautes d’un foible artiste ne sont point dangereuses pour l’art ; rien ne les accrédite, on les reconnoît sans peine pour des erreurs, & personne ne les imite : celles des grands maîtres sont toûjours funestes à l’art même, si on n’a le courage de les développer. Des ouvrages consacrés par des succès constans, sont regardés comme des modeles ; on confond les fautes avec les beautés, on admire les unes, on adopte les autres. La Peinture seroit peut-être encore en Europe un art languissant, si en respectant ce que Raphaël a fait d’admirable, on n’avoit pas osé relever les parties défectueuses de ses compositions. L’espece de culte qu’on rend aux inventeurs ou aux restaurateurs des Arts, est assûrément très légitime ; mais il devient un odieux fanatisme, lorsqu’il est poussé jusqu’à respecter des défauts que les génies qu’on admire auroient corrigés eux-mêmes, s’ils avoient pû les reconnoître.

Lulli donc, qui en adaptant le chant françois déjà trouvé, à l’espece de déclamation théatrale qu’il a créée, a tout-d’un-coup saisi le vrai genre, n’a en général répandu l’expression que sur cette seule partie : ses symphonies, ses airs chantans de mouvement, ses ritournelles, ses chœurs, manquent en général de cette imitation, de cette espece de vie que l’expression seule peut donner à la Musique.

On sait qu’on peut citer dans les opera de ce beau génie des ritournelles qui sont à l’abri de cette critique, des airs de violon & quelques chœurs qui ont peint, des accompagnemens même qui sont des tableaux du plus grand genre. De ce nombre sont sans doute le monologue de Renaud, du second acte d’Armide ; l’épisode de la haine, du troisieme ; quelques airs de violon d’Isis, le chœur, Atys lui-même, &c. Mais ces morceaux bien faits sont si peu nombreux en comparaison de tous ceux qui ne peignent rien & qui disent toûjours la même chose, qu’ils ne servent qu’à prouver que Lulli connoissoit assez la nécessité de l’expression, pour être tout-à-fait inexcusable de l’avoir si souvent négligée ou manquée.

Pour faire sentir la vérité de cette proposition, il faut le suivre dans sa musique instrumentale & dans sa musique vocale. Sur la premiere il suffit de citer des endroits si frappans, qu’ils soient seuls capables d’ouvrir les yeux sur tous les autres. Tel est, par exemple, l’air de violon qui dans le premier acte de Phaéton sert à toutes les métamorphoses de Protée ; ce dieu se transforme successivement en lion, en arbre, en monstre marin, en fontaine, en flam-