Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traiter les maladies. Nous verrons dans la suite ce qu’on doit penser d’une telle conduite, qui est directement opposée à celle que tiennent ceux dont le système les porte à ne compter que sur les secours de l’art pour la guérison des maladies.

L’exspectation de la seconde espece ne differe de la précédente, que par les apparences d’un traitement sous lesquelles on la masque ; elle n’est pas plus méthodique, quoiqu’elle puisse quelquefois être plus fondée en raison : elle a donc lieu, lorsqu’un medecin ayant pour principe, dans la pratique, de tout attendre de la nature pour la guérison de la maladie, cache sa défiance des secours de l’art, par l’usage des seuls remedes qui sont sans conséquence, & qui ne produisent presque d’autre effet que celui d’amuser les malades, & de remplir le tems en attendant l’évenement des maladies.

La même chose peut avoir lieu, lorsque le medecin trop ignorant, en général, pour savoir ordonner des remedes à-propos, ou ne connoissant pas le genre de maladie qu’il a à traiter, est assez timide ou assez prudent pour éviter de nuire, lorsqu’il ne peut pas être utile, & se borne aussi à ne faire que gagner du tems & à soûtenir la confiance du malade en paroissant travailler à sa guérison, sans faire réellement rien de ce qui peut contribuer à la procurer.

L’exspectation dans ce dernier cas, est proprement ce que les Latins appellent cunctatio ; c’est un retardement motivé ; c’est le rôle du temporiseur sage & adroit qui attend à connoître avant d’agir, qui ne se détermine point tant qu’il ne voit pas clair, & qu’il espere d’avoir des indications plus décidées à suivre.

Ces différens traitemens, quoique sans conséquence dans la supposition, sont souvent suivis d’un heureux succès, dont le medecin se fait honneur & profit, tandis qu’il n’a, tout au plus, d’autre mérite que celui d’avoir laissé agir la nature, de ne l’avoir pas troublée dans ses opérations. C’est la considération de pareilles cures, qui a fourni à Stahl le sujet d’une dissertation inaugurale, de curatione æquivocâ, dans laquelle il diminue très-considérablement le très grand nombre de prodiges en fait de guérisons, que l’on attribue souvent, même de bonne foi, aux secours de l’art. Il prouve que les medecins anodyns sont des vrais exspectans, sans s’en douter, sans savoir même en quoi consiste l’exspectation, sans en connoître le nom : ils n’ordonnent que des remedes doux, benins, des petites saignées, des purgatifs legers, des juleps, des eaux distillées qui ne produisent que peu de changemens dans la disposition des malades, qui n’empêchent pas, ne troublent pas l’opération de la nature, quoiqu’ils soient le plus souvent placés sans être indiqués, & même contre ce qui est indiqué.

Enfin, l’exspectation de la troisieme espece peut être regardée comme un moyen d’observer ce que la nature fait dans les maladies, en reconnoissant son autocratie (voyez Nature), en lui laissant le tems d’agir conformément aux lois de l’économie animale, sans s’opposer aux efforts de cette puissance motrice par des remedes qui pourroient produire des changemens contraires à ce qu’elle fait pour détruire la cause morbifique (voy. Coction) ; en attendant qu’elle donne le signal de lui fournir des secours par les phénomènes indiquans ; ensorte que les medecins qui prennent cette sorte d’exspectation pour regle dans le traitement des maladies, ne restent dans l’inaction qu’autant qu’il faut pour être déterminés à agir de concert avec la nature.

Telle est la méthode que suivoit & qu’enseigne, dans toutes ses œuvres admirables, le grand Hippocrate, curatio methodica ; c’est donc mal-à-propos que l’on reprocheroit à ceux qui s’y conforment dans leur pratique, d’être des spectateurs oisifs : ce n’est que

cette sage exspectation qu’a célebrée & recommandée le fameux Stahl, en proscrivant toute autre inaction dans le traitement des maladies, qui ne seroit pas fondée sur les regles qui établissent le concours de la nature & de l’art, dans tous les cas où celui-ci peut être utile.

Pour se convaincre que la grande maxime, l’expecta de cet auteur, ne mérite pas le ridicule qu’on a voulu y attacher, en ne jugeant, pour ainsi dire, que sur l’étiquette du sac, on n’a qu’à lire avec attention son commentaire sur le traité de Gédeon Harvé de curatione morborum per exspectationem ; on y verra qu’il n’a fait qu’insister sur la pratique des anciens, qui étoit toute fondée sur l’observation, à la faveur de laquelle ils attendoient, à la vérité, les effets qui fournissent les indications pour se déterminer à agir ; mais qui agissoient lorsqu’ils jugeoient que les secours pouvoient être utiles, à plus forte raison lorsqu’ils leur paroissoient nécessaires ; qui voyoient par conséquent dans la plûpart des préceptes du pere de la Medecine, des conseils d’agir, mais après l’attente du tems favorable, des mouvemens préparatoires aux crises annoncées par la marche de la nature étudiée, connue par une longue suite d’observations ; crises, que l’art peut favoriser, diriger, mais qu’il ne peut pas suppléer, parce que la nature seule opere les coctions, qui doivent nécessairement précéder les crises. Voyez Coction.

Il n’est pas moins aisé de justifier les modeles que se proposent les partisans de l’exspectation méthodique dont il s’agit actuellement, & de les justifier par leurs propres écrits, des imputations des modernes systématiques : ceux-ci, sans égard pour les observations des anciens, pour les regles que ceux-ci ont établies d’après l’étude de la nature, de la vraie physique du corps humain, regardent cette doctrine (avec autant d’injustice, de hardiesse & d’ignorance qu’Asclepiade le fit autrefois), comme une longue méditation sur la mort ; ils croyent qu’Hippocrate & ses sectateurs n’agissoient point dans le cours des maladies, ne fournissoient aucun secours, & se bornoient à observer, à peindre la nature aux prises avec la cause morbifique ; à attendre l’évenement, sans concourir à faire prendre aux maladies une tournure avantageuse ; & cela, parce que ces anciens maîtres ne se hâtoient pas, comme on fait de nos jours, d’ordonner des remedes sans attendre qu’ils fussent indiqués par les phénomènes de la maladie ; parce qu’ils ne faisoient pas dépendre, comme on fait de nos jours, la guérison des maladies de la seule action des remedes ; parce qu’ils n’avoient point de méthode de traiter indépendante de l’observation de chaque maladie en particulier ; parce qu’ils n’avoient point de regle générale d’après laquelle ils dûssent, par exemple, saigner ou purger dans les fievres continues, alternis diebus, sans examiner si la disposition actuelle du malade comportoit l’usage des remedes qu’ils employoient.

Mais toutes ces raisons, bien loin de fournir des conséquences contre ce grand medecin, ne peuvent servir, lorsqu’on les examine sans prévention, qu’à démontrer l’imprudence de la pratique impérieuse des modernes, & établir, par opposition, la sagesse de la méthode modeste & circonspecte des anciens : celle-ci n’est continuellement occupée à observer, que pour agir avec connoissance de cause, que pour ne pas employer des secours, sans qu’ils soient indiqués par la nature même qui en a besoin, c’est-à-dire par l’état actuel de la maladie qui les exige, par la disposition aux effets qu’ils doivent opérer.

Il faut cependant convenir que sur ces principes ils agissoient très-peu, parce que la nature ayant la faculté par elle-même de guérir la plûpart des maladies, présente très-rarement des occasions de sup-