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Observations. Il l’est également quand ses revenus sont affermés, lorsque par l’amélioration de certaines parties de la recette, & par la diminution de la dépense, il se met en état ou de se relâcher du prix de bail convenu, ou d’accorder des indemnités. Les sacrifices qu’il fait alors en faveur de l’Agriculture, du Commerce & de l’industrie, se retrouvent dans un produit plus considérable des droits d’une autre espece. Mais ces loüables opérations ne sont ni particulieres à la régie, ni étrangeres à la ferme ; elles dépendent, dans l’un & dans l’autre cas, d’une administration qui mette à portée de soulager le peuple & d’encourager la nation. Et n’a-t-on pas vû dans des tems d’ailleurs difficiles en France, où les principaux revenus du Roi sont affermés, sacrifier au bien du commerce & de l’état, le produit des droits d’entrée sur les matieres premieres, & de sortie sur les choses fabriquées ?

Troisieme principe de M. de Montesquieu.

« Par la régie le prince épargne à l’état les profits immenses des fermiers, qui l’appauvrissent d’une infinité de manieres ».

Observations. Ce que la ferme absorbe en profits, la regie le perd en frais ; ensorte que ce que l’état dans le dernier cas gagne d’un côté, il le perd de l’autre. Qui ne voit un objet que sous un seul aspect, n’a pas tout vû, n’a pas bien vû ; il faut l’envisager sous toutes les faces. On verra que le fermier n’exigera trop, que parce qu’il ne sera pas surveillé ; que le régisseur ne fera des frais immenses, que parce qu’il ne sera point arrêté : mais l’un ne peut-il pas être excité ? ne peut-on pas contenir l’autre ? C’est aux hommes d’état à juger des obstacles & des facilités, des inconvéniens & des avantages qui peuvent se trouver dans l’une & dans l’autre de ces opérations ; mais on ne voit point les raisons de se décider en faveur de la régie, aussi promptement, aussi positivement que le fait l’auteur de l’esprit des lois.

Quatrieme principe de M. de Montesquieu.

« Par la régie le prince épargne au peuple un spectacle de fortunes subites qui l’affligent ».

Observations. C’est moins le spectacle de la fortune de quelques particuliers qu’il faut épargner au peuple, que l’appauvrissement de provinces entieres ; ce sont moins aussi les fortunes subites qui frappent le peuple, qui l’étonnent & qui l’affligent, que les moyens d’y parvenir, & les abus que l’on en fait. Le gouvernement peut en purifier les moyens, & l’on est puni des abus par le ridicule auquel ils exposent, souvent même par une chute qui tient moins du malheur que de l’humiliation. Ce ne sont pas là des raisons de loüer ou de blâmer, de rejetter ou d’admettre la régie ni la ferme. Une intelligence, une industrie active, mais loüable, & renfermée dans les bornes de la justice & de l’humanité, peut donner au fermier des produits honnêtes, quoique considérables La négligence & le défaut d’économie rendent le régisseur d’autant plus coupable de l’affoiblissement de la recette & de l’augmentation de la dépense, que l’on ne peut alors remplir le vuide de l’une & pourvoir à l’excédent de l’autre, qu’en chargeant le peuple de nouvelles impositions ; au lieu que l’enrichissement des fermiers laisse au moins la ressource de mettre à contribution leur opulence & leur crédit.

Cinquieme principe de M. de Montesquieu.

« Par la régie l’argent levé passe par peu de mains ; il va directement au prince, & par conséquent revient plus promptement au peuple ».

Observations. L’auteur de l’esprit des lois appuie tout ce qu’il dit, sur la supposition que le régisseur,

qui n’est que trop communément avare de peines & prodigue de frais, gagne & produit à l’état autant que le fermier, qu’un intérêt personnel & des engagemens considérables excitent sans cesse à suivre de près la perception. Mais cette présomption est-elle bien fondée ? est-elle bien conforme à la connoissance que l’on a du cœur & de l’esprit humain, & de tout ce qui détermine les hommes ? Est-il bien vrai d’ailleurs que les grandes fortunes des fermiers interceptent la circulation ? tout ne prouve-t-il pas le contraire ?

Sixieme principe de M. de Montesquieu.

« Par la régie le prince épargne au peuple une infinité de mauvaises lois qu’exige toûjours de lui l’avarice importune des fermiers, qui montrent un avantage présent pour des réglemens funestes pour l’avenir ».

Observations. On ne connoît en finances, comme en d’autres matieres, que deux sortes de lois, les lois faites & les lois à faire ; il faut être exact à faire exécuter les unes, il faut être réservé pour accorder les autres. Ces principes sont incontestables ; mais conviennent-ils à la régie plus qu’à la ferme ? Le fermier, dit-on, va trop loin sur les lois à faire ; mais le régisseur ne se relâche-t-il pas trop sur les lois qui sont faites ? On craint que l’ennemi ne s’introduise par la breche, & l’on ne s’apperçoit pas que l’on a laissé la porte ouverte.

Septieme principe de M. de Montesquieu.

« Comme celui qui a l’argent est toûjours le maître de l’autre, le traitant se rend despotique sur le prince même ; il n’est pas législateur, mais il le force à donner des lois ».

Observations. Le prince a tout l’argent qu’il doit avoir, quand il fait un bail raisonnable & bien entendu : il laissera sans doute aux fermiers qui se chargent d’une somme considérable, fixe, indépendante des évenemens par rapport au Roi, un profit proportionné aux fruits qu’ils doivent équitablement attendre & recueillir de leurs frais, de leurs avances, de leurs risques & de leurs travaux.

Le prétendu despotisme du fermier n’a point de réalité. La dénomination de traitant manque de justesse : on s’est fait illusion sur l’espece de crédit dont il joüit effectivement ; il a celui des ressources, & le gouvernement sait en profiter. Il ne sera jamais despotique quand il sera question de faire des lois ; mais il reconnoîtra toûjours un maître, quand il s’agira de venir au secours de la nation avec la fortune même qu’il aura acquise légitimement.

Huitieme principe de M. de Montesquieu.

« Dans les républiques, les revenus de l’état sont presque toûjours en régie : l’établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome. Dans les états despotiques où la régie est établie, les peuples sont infiniment plus heureux, témoin la Perse & la Chine. Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme ses ports de mer & ses villes de commerce. L’histoire des monarchies est pleine de maux faits par les traitans ».

Observations. Ce seroit un examen fort long, très difficile, & peut-être assez inutile à faire dans l’espece présente, que de discuter & d’approfondir la question de savoir ce qui convient le mieux de la ferme ou de la régie, relativement aux différentes sortes de gouvernemens. Il est certain qu’en tout tems, en tous lieux, & chez toutes les nations, il faudra dans l’établissement des impositions, se tenir extrèmement en reserve sur les nouveautés ; & qu’il faudra veiller dans la perception, à ce que tout rentre