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Chimie qu’il ne croyoit pas qu’il y eût d’autre moyen d’étudier la nature que ceux que pouvoit fournir cette science, s’appliqua à chercher la cause d’un phénomene si admirable. Il ne crut pas qu’on pût la trouver ailleurs que dans la fermentation, dans l’effet du mouvement intestin qui résulte du mélange de principes hétérogenes, d’où s’ensuit une chaleur susceptible de se communiquer, de s’étendre dans toutes les parties de la machine, & d’y rendre fluide & mobile tout ce qui doit l’être pour l’entretien de la vie : il tiroit cette derniere conséquence des expériences qui lui étoient connues, par lesquelles il est prouvé qu’il peut être produit une chaleur considérable de l’effervescence excitée entre des corps très-froids par eux-mêmes, ainsi qu’il arrive à l’égard du mélange de l’huile de vitriol, avec le sel fixe de tartre.

Cela posé, il forma son système ; il crut qu’il étoit hors de doute que la transmutation des alimens en chyle devoit être attribuée à l’efficacité d’un ferment acide, sextupl. digest. §. 2, 3, 4, 11, 12, 13 ; il supposoit ce ferment d’une nature absolument différente de celle d’un ferment végétal ou de tout autre acide chimique : ce ferment avoit, selon lui, un caractere spécifique ; ce qu’il établissoit par des comparaisons, en le regardant comme l’esprit-de-sel qui peut dissoudre l’or, ce que ne peut faire aucun autre esprit acide ; tandis que ce même esprit-de-sel n’a aucune action sur l’argent : en un mot ce ferment étoit un acide propre au corps humain, doué de qualités convenables, pour changer les alimens en une humeur vitale par son mélange avec eux, & par la fermentation qui s’ensuivoit ; en quoi il pensoit moins mal encore que ceux qui soûtenoient que le chyle ne pouvoit être préparé que par l’efficacité d’un esprit de nitre. Lowthorp. abrigaam. iij. Helmont croyoit cependant son ferment stomacal d’une nature plus subtile encore que cet esprit ; il regardoit cet acide comme une exhalaison, qu’il comparoit à ce qui s’évapore des corps odoriférans ; il les désignoit souvent, sub nomine fracedinis, odoris fermentativi, impregnantis : il ne pensoit pas par conséquent qu’il existât sous la forme d’un liquide bien sensible & bien abondant : encore moins, qu’il formât un ferment grossier, tel que le levain du pain, quoique celui-là excite la fermentation dans les matieres alimentaires, à-peu-près de la même maniere que celui-ci dans la pâte. Voyez un plus grand détail sur tout ceci dans les propres ouvrages d’Helmont, dans ceux d’Ettmuller, &c.

Helmont donnoit la même origine que Galien & Avicenne, au prétendu acide digestif ; il supposoit également avec eux, qu’il étoit porté de la rate dans l’estomac par les vaisseaux courts. Pylor. rector. §. 26.

Sylvius, l’un des plus zélés des sectateurs d’Helmont, après avoir connu la circulation du sang, moins obstiné que son maître, crut devoir s’écarter de son sentiment au sujet de cette origine du ferment acide ; il fut convaincu, d’après les expériences anatomiques, que les vaisseaux courts sont des veines qui portent le sang du ventricule à la rate, & qui ne fournissent rien au ventricule ; que la rate pouvant être emportée sans que la digestion cesse de se faire, ce viscere n’y contribue donc immédiatement en rien : ces raisons étoient sans replique. Il chercha une autre source à ce ferment ; il imagina la trouver dans les glandes salivaires, parce qu’il arrive quelquefois que l’on a dans la bouche une humeur regorgée si aigre, que les dents en sont agacées ; ce qu’il pensa ne pouvoir être attribué qu’à la salive même.

Quant à la nature du ferment digestif, considéré par rapport à son action dans le ventricule, Helmont & toute la secte chimique cartésienne, prétendoient établir son acidité par différentes preuves ; les prin-

cipales qu’ils alléguoient, sont, 1°. qu’il a été observé

que le gosier des moineaux exhale une odeur aigre ; 2°. que plusieurs oiseaux avalent des grains de sable, pour corriger, disent les fermentateurs, l’activité de l’acide de leur estomac, & que l’on y trouve souvent de petits graviers qui paroissent rongés par l’effet du ferment acide ; 3°. qu’il arrive souvent que les alimens aigrissent très-peu de tems après avoir été avalés ; 4°. que le lait pris à jeûn, & rejetté bientôt après par le vomissement, sent fortement l’aigre, & se trouve souvent caillé ; 5°. que les acides sont propres à exciter l’appétit ; 6°. que les rapports d’un goût aigre sont regardés, selon Hippocrate, sect. vj. aphor. 1. & par expérience, comme un bon signe à la suite des longues inappétences, des flux de ventre, des lienteries invétérées, parce qu’ils annoncent, selon les partisans de la fermentation, que le menstrue digestif recouvre l’activité qu’il avoit perdue ; 7°. que les préparations martiales produisent, pendant qu’elles sont retenues dans l’estomac, des rapports d’une odeur sulphureuse, empyreumatique ; 8°. que le ventricule des animaux ouvert peu de tems après, répand de fortes exhalaisons de nature spiritueuse & véritablement acide. Telles sont les raisons les plus sortes dont se servoient les fermentateurs pour donner un fondement à leur opinion sur le ferment acide, par le moyen duquel ils prétendoient que la digestion s’opere dans l’estomac.

Mais toutes ces raisons n’ont pû tenir contre les expériences plus éclairées, faites sans préjugé, & dans lesquelles on ne cherchoit à voir que ce qui se présentoit, & non pas ce que l’on souhaitoit être conforme au système préétabli. Les Anatomistes, les Physiciens, scrutateurs de la seule vérité, se sont donc convaincus qu’il n’y a jamais de suc acide dans l’estomac, qui soit propre à ce viscere ; que qui que ce soit n’y en a jamais trouvé, ni ne peut y en trouver ; que toutes les humeurs du corps humain sont insipides, & ne sont chargées d’autre principe salin que d’une sorte de sel neutre, qui approche de la nature du sel ammoniac ; & qui, si on veut le rapporter à une des deux classes de sel acide & de sel alkali, auroit plus d’affinité avec la derniere.

Mais le sang tiré d’un animal à jeûn, dit M. Senac, ne présente au goût ni un acide, ni un alkali ; il n’a qu’un goût de sel marin : si on le mêle même tout chaud avec des acides ou avec des alkalis, il ne s’y excite aucun bouillonnement. De ces deux résultats on peut conclure évidemment que le sang n’est ni acide ni alkali ; il n’a certainement pas plus d’acidité ou d’alkalinité que les sels concrets. On peut ajoûter à tout cela, que la distillation du sang ne donne ni des acides ni des alkalis. Helmont lui-même a été forcé de convenir qu’il n’y a point d’acide dans le sang d’un homme sain (plevra furens, §. xjv. seqq) ; & que s’il s’y en trouve, c’est contre nature, puisqu’il produit alors des pleurésies : ainsi puisqu’il accorde le fait, que le sang, dans les vaisseaux qui portent les humeurs aux glandes salivaires, aux glandes du ventricule, ne contient qu’un sel muriatique, sans goût, sans piquant, comment peut-il imaginer que d’un fluide que l’on pourroit tout au plus regarder comme étant de nature presqu’alkalescente, il puisse par une métamorphose subite, en être séparé un ferment de nature acide ? D’ailleurs, selon lui, la lymphe n’est pas acide. Il est prouvé que la salive & le suc gastrique ne different en rien de cette partie de nos humeurs, & que ces deux sortes de sucs digestifs contiennent les mêmes principes qu’elle.

Pour ce qui est des preuves détaillées ci-devant en faveur du serment acide, voici comment on en a détruit le spécieux. 1°. L’exhalaison aigre que rend le gosier des moineaux, n’a rien qui doive tirer à conséquence, si l’on fait attention que ces oiseaux qui