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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/532

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pas une seule fois. Enfin, dans la supposition même de Schuyl, l’effervescence fermentative qui se fait entre les deux ligatures du boyau, ne prouve pas qu’elle se fasse sans ligature ; il est démontré au contraire qu’il n’en paroît pas le moindre indice dans les animaux vivans, pas même dans le cas où le suc pancréatique, par l’insertion de son canal dans le cholidoque, se trouve mêlé avec la bile dans un lieu si resserré, avant que de couler dans l’intestin : ce mélange se fait avec aussi peu d’agitation que celui de l’eau avec de l’eau. Il y a plusieurs animaux dont le suc pancréatique & la bile coulent à de très-grandes distances dans le canal intestinal, ensorte qu’ils sont mêlés avec d’autres fluides, avec les alimens, & ont ainsi perdu beaucoup de leur énergie avant de s’unir l’un à l’autre. Ces animaux ne font pas moins bien leurs fonctions, relativement à la chylification ; ils n’en vivent pas moins sainement. Voyez Pancréatique (suc), Bile, Digestion, pour y trouver l’exposition des véritables usages de ces fluides digestifs dans l’économie animale, connue d’après la nature seule, & non d’après les préjugés, les fruits de l’imagination.

Celle des fermentateurs étoit si féconde en ce genre, qu’il n’y avoit aucune circonstance de la chylification à laquelle ils ne fissent l’application de leur principe, que tout s’opere dans le corps humain par fermentation. Il paroît d’abord assez singulier que les alimens dont nous usons pour la plûpart, qui sont de nature & de couleur si différentes, étant pris séparément ou mêlés dans les premieres voies, fournissent également un extrait toûjours uniforme, toûjours de couleur laiteuse : Willis, avec d’autres partisans de la fermentation, ne trouverent pas la moindre difficulté à lui attribuer encore ce phénomene. Ils penserent que ce ne pouvoit être que l’effet de la combinaison du soufre & du sel volatil des alimens avec l’acide du ventricule & des intestins, de la même maniere, par exemple, que l’esprit de corne de cerf, ou une dissolution de soufre faite avec un fluide lixiviel, ou l’extrait résineux des végétaux, blanchissent, deviennent laiteux par l’affusion d’un acide : mais l’erreur est manifeste dans ceste explication ; car ces sortes de mélanges qui forment ce qu’on appelle des laits virginaux, n’operent ce changement qu’autant qu’ils disposent à une précipitation de la partie résineuse, qui étant d’abord suspendue dans son véhicule comme un sable fin, qui le rend d’un blanc opaque, ce véhicule perd bientôt après sa blancheur, se clarifie ensuite, la poudre résineuse tombant au fond du vase qui contient le mélange : mais il n’arrive rien de pareil à l’égard du chyle, qui conserve constamment sa couleur laiteuse jusqu’à ce qu’il soit intimement mêlé avec le sang, & peut-être même jusqu’à ce qu’il soit décomposé par l’action des organes qui le convertissent en sang. Voyez Sanguification. D’ailleurs, l’existence du ferment acide dans les premieres voies étant démontrée faussement supposée, joint à ce que les parties sulphureuses & salines ne sont pas toûjours en même proportion dans les alimens, quoique le chyle ait toûjours le même degré de blancheur, les fondemens de l’explication dont il s’agit manquent de tous les côtés.

Cependant non-seulement la couleur du chyle, mais encore l’odeur des matieres fécales a paru à certains fermentateurs devoir être attribuée à l’effet de quelque ferment. Vanhelmont ne se contentant pas de la précipitation ci-dessus mentionnée pour la séparation des parties excrémenteuses des alimens & des sucs digestifs, parce qu’il ne la trouvoit pas suffisante pour rendre raison de la puanteur que contractent assez promptement ces excrémens lorsqu’ils sont parvenus dans les gros intestins, crut

devoir attribuer ce changement à un ferment stercoral, c’est-à-dire, destiné à exciter la putréfaction dans les matieres fécales, en se mêlant avec elles, & y faisant naître une fermentation corruptive pour les faire dégénérer en matieres absolument stercorales. Il faisoit résider ce ferment dans l’appendice vermiforme qui le fournissoit continuellement à la cavité du boyau cœcum ; Voyez ses œuvres, sextupl. digest. paragr. 81. mais il ne donne aucune preuve de l’existence d’un tel ferment ; il répugne d’ailleurs à ce qu’exige l’économie animale saine, qui est si ennemie de toute sorte de pourriture, que la Nature ait fournie elle-même, dans une partie du corps, une cause toûjours existante de putréfaction. Il étoit cependant bien peu nécessaire, ce me semble, d’y avoir recours, sur-tout pour celle des excrémens. La disposition qu’ont toutes les humeurs animales à contracter ce genre de corruption, lorsqu’elles sont retenues dans un lieu chaud & humide ; les parties grossieres des différens sucs digestifs, & sur-tout de la bile alkalescente de sa nature, mêlées avec le marc des alimens aussi putrescibles pour la plûpart, suffisent pour y produire le genre de corruption & la puanteur qu’ils ont dans les gros boyaux. Voyez Déjection. Les différentes combinaisons, dans le concours des puissances tant physiques que méchaniques, qui co-operent à tout l’ouvrage de la digestion dans les différens animaux, établissent les différences essentielles que l’on observe dans les matieres fécales de chaque espece d’animal, sans recourir à autant de sortes de fermens.

Il ne reste plus rien à dire de la fermentation concernant les premieres voies. Si les disciples n’étoient pas toûjours excessifs dans le parti qu’ils prennent en faveur d’un maître fameux par quelque nouveauté, lorsqu’elle est attaquée ; si les sectaires ne se faisoient pas un devoir, une gloire d’enchérir sur les écarts de leur chef, en quelque genre que ce soit, les fermentateurs se seroient bornés avec Vanhelmont, à faire usage de leur grand principe de l’effervescence fermentative des acides avec les alkalis, pour la seule chylification ; car cet auteur dit expressément que tout acide est ennemi du corps humain, dans quelque partie qu’il se trouve, excepté l’estomac & le duodenum, attendu qu’il suppose que son ferment acide mêlé avec le chyle, a changé de nature par son union avec la bile. S’il n’y a point, selon lui, d’acide naturellement dans le sang, il ne peut y avoir de fermentation, dans le sens de ce chimiste.

Mais Sylvius, Dissert. VIII. 63. X. 58. & toute sa secte, trouverent que l’idée de cette puissance physique étoit trop féconde en moyens de rendre raison de tout dans l’économie animale, pour qu’ils ne s’empressassent pas à l’introduire dans les secondes voies, pour étendre son influence sur toutes les fonctions. Ils imaginerent donc que le chyle étant imprégné d’acides par son mélange avec le ferment stomachal & le suc pancréatique, & par son union à la lymphe des glandes conglobées du mésentêre, supposée acide & rendue telle par son séjour dans les glandes, avec la propriété conséquente de continuer, dans toutes les voies du chyle, la fermentation commencée entre tous les fermens digestifs, devoit, étant portée dans toute la masse du sang avec son acidité dominante, nécessairement fermenter ou produire une effervescence avec ce fluide alkalescent de sa nature ; ce qui formoit le mouvement intestin qui étoit attribué au sang pour conserver sa fluidité.

Voici quelques observations tirées de l’Essai de Physique sur l’usage des parties du corps humain, attribué à M. Senac, qui pourront faire juger combien les expériences sont contraires à cette opinion.