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tendent que les Latins avoient emprunté cette derniere des Grecs : mais il est plus vraissemblable que la premiere origine de cette fête vient de la superstition des Payens qui se masquoient le premier jour de l’an, & se couvroient de peaux de cerfs ou de biches pour représenter ces animaux ; ce que les Chrétiens imiterent nonobstant les défenses des conciles & des peres. Dans les siecles moins éclairés, on crut rectifier ces abus en y mêlant des représentations des mysteres : mais, comme on voit, la licence & l’impiété prirent le dessus ; & de ce mélange bisarre du sacré & du profane, il ne résulta qu’une profanation des choses les plus respectables.

Si malgré ces détails quelqu’un est encore curieux d’éclaircissemens sur cette matiere, il peut consulter les ouvrages de Pierre de Blois ; Thiers, traité des jeux ; l’histoire de Bretagne, tome I. pag. 586 ; Mezerai, abregé de l’histoire de France, tom. I. pag. 578. éd. in-4°. dom Lobineau, histoire de Paris, tom. I. pag. 224. dom Marlot, histoire de Reims, tome II. page 769. & enfin les mémoires de du Tillot, pour servir à l’histoire de la fête des fous, imprimés à Lausanne en 1751, in-12. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Fête des Innocens : cette fête étoit comme une branche de l’ancienne fête des fous, & on la célébroit le jour des Innocens. Elle n’a pas disparu sitôt que la premiere ; puisque Naudé, dans sa plainte à Gassendi en 1645, témoigne qu’elle subsistoit encore alors dans quelques monasteres de Provence. Cet auteur raconte qu’à Antibes, dans le couvent des Franciscains, les religieux prêtres ni le gardien n’alloient point au chœur le jour des Innocens, & que les freres lais qui vont à la quête, ou qui travaillent au jardin & à la cuisine, occupoient leurs places dans l’église, & faisoient une maniere d’office avec des extravagances & des profanations horribles. Ils se revêtoient d’ornemens sacerdotaux, mais tous déchirés, s’ils en trouvoient, & tournés à l’envers. Ils tenoient des livres à rebours, où ils faisoient semblant de lire avec des lunettes qui avoient de l’écorce d’orange pour verre. Ils ne chantoient ni hymnes, ni pseaumes, ni messes à l’ordinaire ; mais tantôt ils marmotoient certains mots confus, & tantôt ils poussoient des cris avec des contorsions qui faisoient horreur aux personnes sensées. Thiers, traité des jeux. Voyez Fête des Fous.

On a conservé dans quelques cathédrales & collégiales, l’usage de faire officier ce jour-là les enfans-de-chœur, c’est-à-dire de leur faire porter chape à la messe & à vêpres, & de leur donner place dans les hautes stalles, pour honorer la mémoire des enfans égorgés par l’ordre d’Hérode. C’est une pratique pieuse qui n’étant accompagnée d’aucune indécence, ne se ressent en rien de la mascarade contre laquelle Naudé s’est élevé si justement, & encore moins de l’ancienne fête des fous. (G)

Fêtes, (Jurispr.) on ne peut faire aucun exploit les jours de fêtes & dimanche, ni rendre aucune ordonnance de justice, si ce n’est dans les cas qui requierent célérité. Voy. Ajournement & Exploit.

Le conseil du roi s’assemble les jours de fêtes & dimanche comme les autres jours, attendu l’importance des matieres qui y sont portées.

C’est au juge laïc & non à l’official, à connoître de l’inobservation des fêtes commandées par l’église, contre ceux qui les ont transgressées en travaillant à des œuvres serviles un jour férié. Voyez Fevret en son traité de l’abus, liv. IV. ch. viij. n°. 3.

Fêtes de Palais, sont certains jours fériés ou de vacations, auxquels les tribunaux n’ouvrent point. On peut néanmoins ces jours-là faire tous exploits, ces jours de fêtes n’étant point chommés. (A)

Fête de Village : le droit de l’annoncer par un cri public, est un droit seigneurial. Voyez ce qui en a été dit ci-devant au mot Cri de la fête. (A)

Fête, (Beaux-Arts.) solennité ou réjoüissance, & quelquefois l’une & l’autre, établie ou par la religion, ou par l’usage, ou occasionnée par quelque évenement extraordinaire, qui intéresse un état, une province, une ville, un peuple, &c.

Ce mot a été nécessaire à toutes les nations : elles ont toutes eu des fêtes. On lit dans tous les historiens, que les Juifs, les Payens, les Turcs, les Chinois ont eu leurs solennités & leurs réjoüissances publiques. Les uns dérivent ce mot de l’hébreu אשרח, qui signifie feu de Dieu : les autres pensent qu’il vient du mot latin feriari : quelques savans ont écrit qu’il tiroit son origine du grec ἑστία, qui veut dire foyer, &c.

Toutes ces étymologies paroissent inutiles : elles indiquent seulement l’antiquité de la chose que notre mot fête nous désigne.

Nous passerons rapidement sur les fêtes de solennité & de réjoüissance des Juifs, des Payens, & de l’Eglise. Il y en a qui furent établies par les lois politiques, telles que celles qu’on célébroit en Grece. Celles des Juifs émanoient toutes de la loi de Moyse ; & les réjoüissances ou solennités des Romains, tenoient également à la religion & à la politique.

On les connoîtra successivement dans l’Encyclopédie, si on veut bien les chercher à leurs articles. Voyez Bacchanales, Saturnales, Tabernacles, &c. & les articles précédens.

Il ne sera point question non plus des fêtes de notre sainte religion, dont les plus considérables sont ou seront aussi détaillées sous les mots qui les désignent. On se borne ici à faire connoître quelques-unes de ces magnifiques réjoüissances qui ont honoré en différens tems les états, les princes, les particuliers même, à qui les Arts ont servi à manifester leur goût, leur richesse, & leur génie.

Les bornes qui me sont prescrites m’empêcheront aussi de parler des fêtes des siecles trop reculés : les triomphes d’Alexandre, les entrées des conquérans, les superbes retours des vainqueurs romains dans la capitale du monde, sont répandus dans toutes nos anciennes histoires. Je ne m’attache ici qu’à rassembler quelques détails, qui forment un tableau historique des ressources ingénieuses de nos Arts dans les occasions éclatantes. Les exemples frappent l’imagination & l’échauffent. On peint les actions des grands hommes aux jeunes héros, pour les animer à les égaler ; il faut de même retracer aux jeunes esprits, qu’un penchant vif entraîne vers les Arts, les effets surprenans dont ils ont avant nous été capables : à cette vûe, on les verra prendre peut-être un noble essor pour suivre ces glorieux modeles, & s’échauffer même de l’espoir tout-puissant de les surpasser quelque jour.

Je prens pour époque en ce genre des premiers jets du génie, la fête de Bergonce de Botta, gentilhomme de Lombardie ; il la donna dans Tortone vers l’année 1480, à Galéas duc de Milan, & à la princesse Isabelle d’Arragon sa nouvelle épouse.

Dans un magnifique sallon entouré d’une galerie, où étoient distribués plusieurs joüeurs de divers instrumens, on avoit dressé une table tout-à-fait vuide. Au moment que le duc & la duchesse parurent, on vit Jason & les argonautes s’avancer fierement sur une symphonie guerriere ; ils portoient la fameuse toison-d’or, dont ils couvrirent la table après avoir dansé une entrée noble, qui exprimoit leur admiration à la vûe d’une princesse si belle, & d’un prince si digne de la posséder.

Cette troupe céda la place à Mercure. Il chanta un récit, dans lequel il racontoit l’adresse dont il venoit