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de se servir pour ravir à Apollon qui gardoit les troupeaux d’Admette, un veau gras dont il faisoit hommage aux nouveaux mariés. Pendant qu’il le mit sur la table, trois quadrilles qui le suivoient exécuterent une entrée.

Diane & ses nymphes succéderent à Mercure. La déesse faisoit suivre une espece de brancard doré, sur lequel on voyoit un cerf : c’étoit, disoit-elle, un Actéon qui étoit trop heureux d’avoir cessé de vivre, puisqu’il alloit être offert à une nymphe aussi aimable & aussi sage qu’Isabelle.

Dans ce moment une symphonie mélodieuse attira l’attention des convives ; elle annonçoit le chantre de la Thrace ; on le vit joüant de sa lyre & chantant les louanges de la jeune duchesse.

« Je pleurois, dit-il, sur le mont Apennin la mort de la tendre Euridice ; j’ai appris l’union de deux amans dignes de vivre l’un pour l’autre, & j’ai senti pour la premiere fois, depuis mon malheur, quelque mouvement de joie ; mes chants ont changé avec les sentimens de mon cœur ; une foule d’oiseaux a volé pour m’entendre, je les offre à la plus belle princesse de la terre, puisque la charmante Euridice n’est plus ».

Des sons éclatans interrompirent cette mélodie ; Atalante & Thésée conduisant avec eux une troupe leste & brillante, représenterent par des danses vives une chasse à grand bruit : elle fut terminée par la mort du sanglier de Calydon, qu’ils offrirent au jeune duc en exécutant des ballets de triomphe.

Un spectacle magnifique succéda à cette entrée pittoresque. on vit d’un côté Iris sur un char traîné par des paons, & suivie de plusieurs nymphes vêtues d’une gase legere, qui portoient des plats couverts de ces superbes oiseaux.

La jeune Hébé parut de l’autre, portant le nectar qu’elle verse aux dieux ; elle étoit accompagnée des bergers d’Arcadie chargés de toutes les especes de laitages, de Vertumne & de Pomone qui servirent toutes les sortes de fruits.

Dans le même tems l’ombre du délicat Apicius sortit de terre ; il venoit préter à ce superbe festin les finesses qu’il avoit inventées, & qui lui avoient acquis la réputation du plus voluptueux des Romains.

Ce spectacle disparut, & il se forma un grand ballet composé des dieux de la mer & de tous les fleuves de Lombardie. Ils portoient les poissons les plus exquis, & ils les servirent en exécutant des danses de différens caracteres.

Ce repas extraordinaire fut suivi d’un spectacle encore plus singulier. Orphée en fit l’ouverture ; il conduisoit l’hymen & une troupe d’amours : les graces qui les suivoient entouroient la foi conjugale, qu’ils présenterent à la princesse, & qui s’offrit à elle pour la servir.

Dans ce moment Sémiramis, Helene, Médée, & Cléopatre interrompirent le récit de la foi conjugale, en chantant les égaremens de leurs passions. Celle-ci indignée qu’on osât souiller, par des récits aussi coupables, l’union pure des nouveaux époux, ordonna à ces reines criminelles de disparoître. A sa voix, les amours dont elle étoit accompagnée fondirent, par une danse vive & rapide, sur elles, les poursuivirent avec leurs flambeaux allumés, & mirent le feu aux voiles de gase dont elles étoient coiffées.

Lucrece, Pénélope, Thomiris, Judith, Porcie & Sulpicie, les remplacerent en présentant à la jeune princesse les palmes de la pudeur, qu’elles avoient méritées pendant leur vie. Leur danse noble & modeste fut adroitement coupée par Bacchus, Silene & les Egypans, qui venoient célébrer une noce si illustre ; & la fête fut ainsi terminée d’une maniere aussi gaie qu’ingénieuse.

Cet assemblage de tableaux en action, assez peu relatifs peut-être l’un à l’autre, mais remplis cependant de galanterie, d’imagination, & de variété, fit le plus grand bruit en Italie, & donna dans la suite l’idée des carrousels réguliers, des operas, des grands ballets à machines, & des fêtes ingénieuses avec lesquelles on a célébré en Europe les grands évenemens. Voyez le traité de la danse, liv. I. ch. ij. pag. 2, & les articles Ballet, Opéra, Spectacle.

On apperçut dès-lors que dans les grandes circonstances, la joie des princes, des peuples, des particuliers même, pouvoit être exprimée d’une façon plus noble, que par quelques cavalcades monotones, par de tristes fagots embrasés en cérémonie dans les places publiques & devant les maisons des particuliers ; par l’invention grossiere de tous ces amphithéatres de viandes entassées dans les lieux les plus apparens, & de ces dégoûtantes fontaines de vin dans les coins des rues ; ou enfin par ces mascarades déplaisantes qui, au bruit des fifres & des tambours, n’apprêtent à rire qu’à l’ivresse seule de la canaille, & infectent les rues d’une grande ville, dont l’extrème propreté dans ces momens heureux, devroit être une des plus agréables démonstrations de l’allégresse publique.

Dans les cours des rois on sentit par cet exemple, que les mariages, les victoires, tous les évenemens heureux ou glorieux, pouvoient donner lieu à des spectacles nouveaux, à des divertissemens inconnus, à des festins magnifiques, que les plus aimables allégories animeroient ainsi de tous les charmes des fables anciennes ; enfin que la descente des dieux parmi nous embelliroit la terre, & donneroit une espece de vie à tous les amusemens que le génie pouvoit inventer ; que l’art sauroit mettre en mouvement les objets qu’on avoit regardés jusqu’alors comme des masses immobiles, & qu’à force de combinaisons & d’efforts, il arriveroit au point de perfection dont il est capable.

C’est sur ce développement que les cours d’Italie imiterent tour-à-tour la fête de Bergonce de Botta ; & Catherine de Medicis en portant en France le germe des beaux Arts qu’elle avoit vû renaître à Florence, y porta aussi le goût de ces fêtes brillantes, qui depuis y fut poussé jusqu’à la plus superbe magnificence & la plus glorieuse perfection.

On ne parlera ici que d’une seule des fêtes de cette reine, qui avoit toûjours des desseins, n’eut jamais de scrupules, & qui sut si cruellement se servir du talent dangereux de ramener tout ce qui échappoit de ses mains, à l’accomplissement de ses vûes.

Pendant sa régence, elle mena le roi à Bayonne, où sa fille reine d’Espagne, vint la joindre avec le duc d’Albe, que la régente vouloit entretenir : c’est-là qu’elle déploya tous les petits ressorts de sa politique vis-à-vis d’un ministre qui en connoissoit de plus grands, & les ressources d’une fine galanterie vis-à-vis d’une foule de courtisans divisés, qu’elle avoit intérêt de distraire de l’objet principal qui l’avoit amenée.

Les ducs de Savoie & de Lorraine ; plusieurs autres princes étrangers, étoient accourus à la cour de France, qui étoit aussi magnifique que nombreuse. La reine qui vouloit donner une haute idée de son administration, donna le bal deux fois le jour, festins sur festins, fête sur fête. Voici celle où je trouve le plus de variété, de goût, & d’invention. Voyez les mémoires de la reine de Navarre.

Dans une petite île située dans la riviere de Bayonne, couverte d’un bois de haute-futaie, la reine fit faire douze grands berceaux qui aboutissoient à un sallon de forme ronde, qu’on avoit pratiqué dans le milieu. Une quantité immense de lustres de fleurs fu-