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le même chemin sur le méridien, pour que la hauteur d’une même étoile donnée augmentât ou diminuât d’un degré ; mais si la Terre n’est pas sphérique, alors ses degrés seront inégaux, il faudra faire plus ou moins de chemin sur le méridien, selon le lieu de la Terre où l’on sera, pour que la hauteur d’une étoile qu’on observe, diminue ou augmente d’un degré. Maintenant, pour déterminer suivant quel sens les degrés doivent croître & décroître dans cette hypothese, supposons d’abord la Terre sphérique & d’une substance molle, & imaginons qu’une double puissance appliquée aux extrémités de l’axe, comprime la Terre de dehors en dedans, suivant la direction de cet axe : qu’arrivera-t-il ? certainement l’axe diminuera de longueur, & l’équateur s’élevera : mais de plus la Terre sera moins courbe aux extrémités de l’axe qu’elle n’étoit auparavant, elle sera plus applatie vers l’axe, & au contraire elle sera plus courbe à l’équateur. Or, plus la Terre a de courbure dans la direction du méridien, moins il faut faire de chemin dans cette même direction, pour que la hauteur observée d’une étoile augmente ou diminue d’un degré ; par conséquent si la Terre est applatie vers les poles, il faudra faire moins de chemin sur le méridien près de l’équateur que près du pole pour gagner ou pour perdre un degré de latitude ; par conséquent si la Terre est applatie, les degrés doivent aller en augmentant de l’équateur vers le pole & réciproquement ; la raison qu’on vient d’en donner est suffisante pour ceux qui ne sont pas géometres ; en voici une rigoureuse pour ceux qui le sont.

Soit (fig. 12 Géog.) C le centre de la Terre ; CP l’axe ; EC le rayon de l’équateur ; EHP une portion du méridien ; par le point H quelconque, soit menée HO perpendiculaire au meridien EHP, laquelle ligne HO touche en O la dévelopée GOF. Voyez Développée ; HO sera le rayon osculateur en H. V. Osculateur : soit pris ensuite le point h tel que le rayon osculateur ho fasse un angle d’un degré avec HO ; il est aisé de voir que Hh représentera un degré du méridien ; c’est-à-dire, comme il a été prouvé au mot Degré, qu’un observateur qui avanceroit de H en h, trouveroit en h un degré de plus ou de moins qu’en H dans la hauteur de toutes les étoiles placées sous le méridien Or, Hh étant à très-peu près un arc de cercle décrit du rayon HO (ou ho qui lui est sensiblement égal) il saute aux yeux, que si les degrés Hh vont en augmentant de l’équateur E vers le pole P, les rayons osculateurs HO iront aussi en augmentant ; puisque le rayon d’un cercle est d’autant plus grand que le degré ou la 360e partie de ce cercle a plus d’étendue. Donc la développée GOF sera toute entiere dans l’angle ECF. Or, par la propriété de la développée, voyez Développée, on a EGOF = FCP, & il est visible par les axiomes de Géometrie que EGOF est < EC + CF ; donc EC + CF > CP + CF ; donc EC > CP ; donc la Terre est applatie si les degrés vont en augmentant de l’équateur vers le pole. Ceux qui après M. Picard, mesurerent les premiers degrés du méridien en France pour savoir si la Terre étoit sphérique ou non, n’avoient pas tiré cette conclusion ; soit inattention, soit faute de connoissances géometriques suffisantes, ils avoient crû au contraire que si la Terre étoit applatie, les degrés devoient aller en diminuant de l’équateur vers le pole. Voici, selon toutes les apparences, le raisonnement qu’ils faisoient : soit tirée du centre une ligne qui fasse avec EC un angle d’un degré, & du même centre C soit tirée une ligne qui fasse avec PC un angle d’un degré, il est certain que EC étant supposé plus grand que PC, la partie de la Terre interceptée en E entre les deux lignes qui font un angle d’un degré,

sera plus grande qu’en P ; donc (concluoient-ils peut-être) le degré près de l’équateur sera plus grand qu’au pole. Le paralogisme de ce raisonnement consiste en ce que le degré de la terre n’est pas déterminé par deux lignes qui vont au centre, & qui font un angle d’un degré ; mais par deux lignes qui sont perpendiculaires à la surface de la Terre, & qui font un angle d’un degré. C’est par rapport à ces perpendiculaires (déterminées par la situation du fil à plomb) qu’on mesure la distance des étoiles au zénith, & par conséquent leur hauteur ; or ces perpendiculaires ne passeront pas par le centre de la Terre, quand la Terre n’est pas sphérique. Voyez Développée, Osculateur, &c.

Quoi qu’il en soit de cette conjecture, ceux qui les premiers mesurerent les degrés dans l’étendue de la France, préoccupés peut-être de cette idée, que la Terre applatie donnoit les degrés vers le nord plus petits que ceux du midi, trouverent en effet que dans toute l’étendue de la France en latitude, les degrés alloient en diminuant vers le nord. Mais à peine eurent-ils fait part de ce résultat aux savans de l’Europe, qu’on leur démontra qu’en conséquence la Terre devoit être alongée. Il fallut en passer par-là ; car comment revenir sur des mesures qu’on assûroit très-exactes ? on demeura donc assez persuadé en France de l’alongement de la Terre, nonobstant les conséquences contraires tirées de la théorie.

Cette conclusion fut confirmée dans le livre de la grandeur & de la figure de la Terre, publié en 1718 par M. Cassini, que l’académie des Sciences de Paris vient de perdre. Dans cet ouvrage M. Cassini donna le résultat de toutes les opérations faites par lui & par M. Dominique Cassini son pere, pour déterminer la longueur des degrés. Il en concluoit que le degré moyen de France étoit de 57061 toises, à une toise près de celui de M. Picard ; & que les degrés alloient en diminuant dans toute l’étendue de la France du sud au nord, depuis Collioure jusqu’à Dunkerque. Voyez Degré. D’autres opérations faites depuis en 1733, 1734, 1736, confirmoient cette conclusion ; ainsi toutes les mesures s’accordoient, en dépit de la théorie, à faire la Terre alongée.

Mais les partisans de Newton, tant en Angleterre que dans le reste de l’Europe, & les principaux géometres de la France même, jugerent que ces mesures ne renversoient pas invinciblement la théorie ; ils oserent croire qu’elles n’étoient peut-être pas assez exactes. D’ailleurs en les supposant faites avec soin, il étoit possible, disoient-ils, que par les erreurs de l’observation, la différence entre des degrés immédiatement voisins, ou peu distans (différence très-petite par elle-même), ne fût pas susceptible d’une détermination bien sûre. On jugea donc à-propos de mesurer deux degrés très-éloignés, afin que leur différence fût assez grande pour ne pas être imputée à l’erreur de l’observation. On proposa de mesurer le premier degré du méridien sous l’équateur, & le degré le plus près du pole qu’on pourroit. MM. Godin, Bouguer, & de la Condamine, partirent pour le premier voyage en 1735 ; & en 1736 MM. de Maupertuis, Clairaut, Camus, & le Monnier, partirent pour la Lapponie. Ces derniers furent de retour en 1737. Ils avoient mesuré le degré de latitude qui passe par le cercle polaire, à environ 23d du pole, & l’avoient trouvé considérablement plus grand que le degré moyen de France ; d’où ils conclurent que la Terre étoit applatie.

Le degré de Lapponie, à 66d 20′, avoit été trouvé par ces savans observateurs, de 57438 toises, plus grand de 378 toises que le degré de 57060 toises de M. Picard, mesuré par 49d 23′ ; mais avant que d’en conclure la figure de la Terre, ils jugerent à-propos de corriger le degré de M. Picard, en ayant égard à