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si des différens points de cette ligne on tire des perpendiculaires à it, elles seront d’autant plus courtes qu’elles seront plus distantes de r, & la plus courte de toutes sera su ; par conséquent les vîtesses des parties de l’eau dans la ligne rs, sont d’autant moindres qu’elles sont plus proches de la surface de la riviere, & d’autant plus grandes qu’elles en sont plus éloignées.

Cependant la vîtesse de ces parties approche de plus en plus de l’égalité, à mesure que la riviere fait plus de chemin : car les quarrés de ces vîtesses sont comme rt à su ; or la différence de ces lignes diminue continuellement, à mesure que la riviere s’éloigne de son origine, parce que la profondeur rs diminue aussi continuellement à mesure que ces lignes augmentent. Donc puisque la différence des quarrés des vîtesses diminue continuellement, à plus forte raison la différence des vîtesses doit diminuer aussi, puisqu’un quarré est toûjours en plus grand rapport avec un quarré plus petit que les racines de ces quarrés ne le sont entr’elles.

Si l’inclinaison du fond est changée à l’origine de la riviere, que le fond, par exemple, devienne yz, & qu’une plus grande quantité d’eau coule dans le lit, le lit deviendra plus profond dans toute la longueur de la riviere, mais la vîtesse de l’eau ne changera point. Car cette vîtesse ne dépend point de la profondeur de l’eau dans la riviere, mais de la distance qu’il y a de la particule mûe, au plan horisontal, qui passant par l’origine, est continué au-dessus de cette particule ; & cette distance est mesurée par la perpendiculaire rt ou su : or ces lignes ne sont point changées par la quantité d’eau plus ou moins grande qui coule dans le lit, pourvû que l’eau demeure à la même hauteur dans le réservoir

Supposons que la partie supérieure du lit soit fermée par quelqu’obstacle comme X, qui descende un peu au-dessous de la surface de l’eau : comme l’eau n’a pas en cet endroit la liberté de couler à sa partie supérieure, elle doit s’y élever ; mais la vîtesse de l’eau au-dessous de la cataracte n’augmentera point ; & l’eau qui vient continuellement, doit s’élever toûjours de plus en plus, de maniere qu’à la fin elle débonde, ou au-dessus de l’obstacle, ou au-dessus de ses bords. Si on élevoit les bords aussi-bien que l’obstacle, l’eau s’éleveroit à une hauteur au-dessus de it ; jusqu’à ce que cela arrive, la vîtesse de l’eau ne peut augmenter : mais quand une fois l’eau se sera élevée au-dessus de it, la hauteur de l’eau dans le réservoir sera augmentée. Car comme on suppose que la riviere est dans un état permanent, il faut nécessairement qu’il entre continuellement autant de nouvelle eau dans le réservoir, qu’il s’en échappe pour couler dans le lit : si donc il coule moins d’eau dans le lit, la hauteur de l’eau doit augmenter dans le réservoir, jusqu’à ce que la vîtesse de l’eau qui coule au-dessous de l’obstacle soit tellement augmentée, qu’il coule par-dessous l’obstacle autant d’eau qu’il en couloit auparavant dans le lit, lorsqu’il étoit libre. Voyez Onde.

Voilà la théorie de Guglielmini, sur la vîtesse des rivieres, théorie purement mathématique, & que les circonstances physiques doivent altérer beaucoup. Avant que d’entrer là-dessus dans quelque détail, je remarquerai 1°. que dans mes réflexions sur la cause générale des vents, Paris 1747, j’ai démontré p. 179, qu’un fluide qui par une cause quelconque se mouvroit horisontalement & uniformément entre deux bords verticaux, ne devroit pas toûjours s’accélérer dans les endroits où son lit viendroit à se retrécir, mais que suivant le rapport de sa profondeur avec l’espace qu’il parcourroit dans une seconde, il devoit tantôt s’abaisser dans ces endroits, tantôt s’y élever ; que dans ce dernier cas, il aug-

menteroit plus en hauteur en s’élevant, qu’il ne perdroit

en largeur, & que par conséquent au lieu d’accélerer sa vîtesse, il devroit au contraire la ralentir, puisque l’espace par lequel il devroit passer, seroit augmenté réellement au lieu d’être diminué.

Je remarquerai 2°. que dans mon essai de la résistance des fluides, Paris 1752, j’ai donné le premier une méthode générale pour déterminer mathématiquement la vîtesse d’un fleuve en un endroit quelconque ; méthode qui demande une analyse très-compliquée, quand on veut faire entrer dans le problème toutes ses circonstances, quoiqu’on fasse même abstraction du physique. Voyez l’ouvrage cité art. 156 & suiv.

Le mouvement des eaux dans le cours des fleuves, s’écarte considérablement de la théorie géométrique. 1°. Non-seulement la surface d’un fleuve n’est pas de niveau d’un bord à l’autre, mais même le milieu est souvent plus élevé que les deux bords ; ce qui vient de la différence de vîtesse entre l’eau du milieu du fleuve, & les bords. 2°. Lorsque les fleuves approchent de leur embouchure, l’eau du milieu est au contraire souvent plus basse que celle des bords, parce que l’eau des bords ayant moins de vîtesse, est plus refoulée par la marée. Voyez Flux. 3°. La vîtesse des eaux ne suit pas à-beaucoup-près la proportion de la pente ; un fleuve qui a plus de pente qu’un autre, coule plus vîte dans une plus grande raison que celle de la pente : cela vient de ce que la vîtesse d’un fleuve dépend encore plus de la quantité de l’eau & du poids des eaux supérieures, que de la pente. M. Kuhn, dans sa dissertation sur l’origine des fontaines, s’est donc trompé en jugeant de la pente des fleuves par leur vîtesse, & en croyant, par exemple sur ce principe, que la source du Danube est de deux milles d’Allemagne plus élévée que son embouchure, &c. 4°. Les ponts, les levées & les autres obstacles qu’on établit sur les rivieres, ne diminuent pas considérablement la vîtesse totale du cours de l’eau, parce que l’eau s’éleve à la rencontre de l’avant-bec d’un pont, ce qui fait qu’elle agit davantage par son poids pour augmenter la vîtesse du courant entre les piles. 5°. Le moyen le plus sûr de contenir un fleuve, est en général de retrécir son canal, parce que sa vîtesse par ce moyen est augmentée, & qu’il se creuse un lit plus profond ; par la même raison on peut diminuer ou arrêter quelquefois les inondations d’une riviere, non en y faisant des saignées, mais en y faisant entrer une autre riviere, parce que l’union des deux rivieres les fait couler l’une & l’autre plus vîte, comme on l’a dit ci-dessus. 6°. Lorsqu’une riviere grossit, la vîtesse augmente jusqu’à ce que la riviere déborde : alors la vîtesse diminue, sans doute parce que le lit est augmenté en plus grande proportion que la quantité d’eau. C’est par cette raison que l’inondation diminue proche l’embouchure, parce que c’est l’endroit où les eaux ont le plus de vîtesse.

De la mesure de la vîtesse des fleuves. Les Physiciens & les Géometres ont imaginé pour cela différens moyens. Guglielmini en propose un dans ses ouvrages, qui nous paroît trop composé & trop peu certain. Voyez son traité della natura de’ fiumi, & son aquarum fluentium mensura. Parmi les autres moyens, un des plus simples est celui du pendule. On plonge un pendule dans l’eau courante, & on juge de la vîtesse de l’eau par la quantité à laquelle le poids s’éleve, c’est-à-dire par l’angle que le fil fait avec la verticale. Mais cette méthode paroît meilleure pour comparer ensemble les vîtesses de deux fleuves, que pour avoir la vîtesse absolue de chacun. Les tangentes des angles sont à la vérité entr’elles, comme les quarrés des vîtesses, & cette regle est assez sûre : mais il n’est pas aussi facile de déterminer directement la vîtesse