qu’avant de le faire, on prenne toutes les sûretés convenables pour que le prince attaqué ne fasse pas la paix à votre préjudice & sans votre participation.
Pour cet effet, on doit exiger quelques places de sûreté qui puissent garantir la fidélité du prince auquel on donne du secours.
« Que si, comme il arrive souvent, dit M. de Feuquieres, la jalousie que l’on aura sujet de prendre d’un prince inquiet & ambitieux, a formé les alliances dans lesquelles on est entré, & qu’on se trouve hors de portée de joindre ses troupes à celles de l’état attaqué, il faut en ce cas-là le secourir ou par argent qu’on lui fournira, ou par des diversions dans le pays de l’attaquant, qui le forcent à diviser ses armées, & qui l’empêchent de pousser ses conquêtes avec trop de rapidité ».
Lorsqu’un prince envoye un corps de troupes au secours d’un autre prince, « le général de ses troupes doit être sage & prévoyant, pour maintenir la discipline dans son corps, de maniere que le prince allié ne fasse point de plaintes contre lui, & prévoyant, pour que ses troupes ne tombent dans aucun besoin pour les subsistances, & qu’elles ne soient exposées au péril de la guerre qu’avec proportion de ses forces à celles du prince allié, & enfin pour qu’il ne se passe rien à son insû dans le cabinet du prince allié, qui puisse être préjudiciable à son maître ». Mémoires de M. de Feuquieres, tome II. pag. 32 & suiv.
De la guerre des siéges. Quoique nous ayons exposé fort brievement ce qui concerne les guerres précédentes, nous serons encore plus succints sur celle des siéges.
Nous observerons seulement qu’on ne doit entreprendre aucun siége que lorsqu’on a acquis quelque supériorité sur l’ennemi par le gain d’une bataille ou d’un combat, ou bien lorsqu’on est en état en se mettant de bonne heure en campagne, de finir le siége avant que l’ennemi ait eu le tems d’assembler une armée pour s’y opposer. Une armée qui fait un siége s’affoiblit toûjours beaucoup : par conséquent si elle est de pareille force que celle de l’ennemi, elle devient alors inférieure ; c’est pourquoi pour éviter tout inconvénient à cet égard, il ne faut se livrer à ces sortes d’entreprises, que lorsqu’on peut présumer que l’ennemi ne pourra empêcher de les terminer heureusement. Il y a des places dont la disposition du terrein des environs est si favorable pour une armée d’observation, qu’il est difficile à l’ennemi, lorsqu’on y est une fois établi, de vous y attaquer avec avantage. Mais comme ces situations ne sont pas ordinaires, les habiles généraux pensent qu’il faut être maitre de la campagne, pour faire un siége tranquillement.
On doit avoir pour objet principal à la guerre, celui de pousser son ennemi & de l’empêcher de paroître ; lorsqu’on y est parvenu, les siéges se font sans difficulté & sans inquiétude : à l’égard des différentes opérations du siége, voyez Attaque des Places, Investissement, Circonvallation, Défense, Siége, Tranchées, &c.
Avant de finir cet article, observons que les succès à la guerre dépendent non-seulement du général, mais encore des officiers généraux qui sont sous ses ordres, & de ceux qui sont chargés du détail des subsistances : si le général n’en est pas bien secondé, les projets les mieux pensés & les mieux entendus peuvent manquer dans l’exécution, sans qu’il y ait aucune faute de sa part : on veut cependant le rendre responsable de tout ; & ce qui est encore plus singulier, tout le monde veut s’ingérer de juger de sa conduite, & chacun s’en croit capable. Cette manie n’est pas nouvelle.
« Il y a des gens, disoit Paul-Émile, qui dans les cercles & les conversations, & même au milieu des repas, conduisent les armées, reglent les démarches du consul, & prescrivent toutes les opérations de la campagne : ils savent mieux que le général qui est sur les lieux, où il faut camper & de quel poste il faut se saisir, où il est à-propos d’établir des greniers & des magasins ; par où, soit par terre soit par mer, on peut faire venir des vivres ; quand il faut en venir aux mains avec l’ennemi, & quand il faut se tenir en repos : & non-seulement ils prescrivent ce qu’il y a de meilleur à faire ; mais pour peu qu’on s’écarte de leur plan, ils en font un crime au consul, & ils le citent à leur tribunal.
Sachez, Romains, que cette licence qu’on se donne à Rome apporte un grand obstacle au succès de vos armées & au bien public. Tous vos généraux n’ont pas la fermeté & la constance de Fabius, qui aima mieux voir son autorité insultée par la témérité d’une multitude indiscrette & imprudente, que de ruiner les affaires de la république en se piquant à contre-tems de bravoure pour faire cesser des bruits populaires.
Je suis bien éloigné de croire que les généraux n’ayent pas besoin de recevoir des avis ; je pense au contraire que quiconque veut seul tout conduire par ses seules lumieres & sans consulter, marque plus de présomption que de sagesse. Que peut-on donc exiger raisonnablement ? c’est que personne ne s’ingere de donner des avis à vos généraux, que ceux premierement qui sont habiles dans le métier de la guerre, & à qui l’expérience a appris ce que c’est que de commander ; & secondement ceux qui sont sur les lieux, qui connoissent l’ennemi, qui sont en état de juger des différentes conjonctures, & qui se trouvant embarqués comme dans un même vaisseau, partagent avec nous tous les dangers. Si donc quelqu’un se flatte de pouvoir m’aider de ses conseils dans la guerre dont vous m’avez chargé, qu’il ne refuse point de rendre ce service à la république, & qu’il vienne avec moi en Macédoine ; galere, chevaux, tentes, vivres, je le défrayerai de tout. Mais si l’on ne veut pas prendre cette peine, & qu’on préfere le doux loisir de la ville aux dangers & aux fatigues du camp, qu’on ne s’avise pas de vouloir tenir le gouvernail en demeurant tranquille dans le port : s’ils ont une si grande demangeaison de parler, la ville par elle-même leur fournit assez d’autres matieres ; celle-ci n’est point de leur compétence ».
L’abus dont se plaint Paul-Émile dans ce discours dicté par le bon sens & la raison, nous montre, dit M. Rollin, qui le rapporte dans son histoire romaine, que les hommes dans tous les tems sont toûjours les mêmes.
On se fait un plaisir secret & comme un mérite d’examiner, de critiquer, & de condamner la conduite des généraux, & l’on ne s’apperçoit pas qu’en cela on peche visiblement & contre le bon-sens & contre l’équité : contre le bon-sens ; car quoi de plus absurde & de plus ridicule que de voir des gens sans aucune connoissance de la guerre & sans aucune expérience, s’ériger en censeurs des plus habiles généraux, & prononcer d’un ton de maître sur leurs actions ? contre l’équité ; car les plus experts même n’en peuvent juger sainement s’ils ne sont sur les lieux ; la moindre circonstance du tems, du lieu, & de la disposition des troupes, des ordres même secrets qui ne sont pas connus, pouvant changer absolument les regles ordinaires. Mais il ne faut pas espérer qu’on se corrige de ce défaut, qui a sa source dans la curiosité & dans la vanité naturelle à l’homme ; & les généraux, à l’exemple de Paul-Émile, font sagement de mépriser ces bruits de ville, & ces rumeurs de