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vient au même, parce que la vîtesse avec laquelle il tend à se mouvoir est zéro. Or si la premiere vîtesse avec laquelle un corps pesant tend à se mouvoir est aussi égale à zéro comme on le suppose, pourquoi l’effort qu’il faut faire pour le retenir n’est-il pas absolument nul ? Ce corps en descendant prendra sans doute une vîtesse finie au bout d’un tems quelconque, mais l’effort qu’on fait pour le soûtenir n’agit pas contre la vîtesse qu’il prendra, il agit contre celle avec laquelle il tend actuellement à se mouvoir, c’est-à-dire contre une vîtesse nulle. En un mot, un corps pesant soûtenu par un fil tend à se mouvoir horisontalement & verticalement avec zéro de vîtesse ; d’où vient donc faut-il un effort pour l’empêcher de se mouvoir verticalement, & n’en faut-il point pour l’empêcher de se mouvoir horisontalement ? On ne peut répondre à cette objection que de deux manieres, dont ni l’une ni l’autre n’est capable de satisfaire pleinement.

On peut dire en premier lieu que l’on a tort de supposer que la vîtesse initiale d’un corps qui descend soit zéro absolu ; que cette vîtesse est finie quoique très-petite, & aussi petite qu’on voudra le supposer ; qu’il paroît difficile de concevoir comment une vîtesse qui a commencé par zéro absolu deviendroit ensuite réelle ; comment une puissance dont le premier effet est zéro de mouvement, pourroit produire un mouvement réel par la succession du tems ; que la pesanteur est une force du même genre que la force centrifuge, ainsi qu’on le verra dans la suite de cet article ; & que cette derniere force telle qu’elle a lieu dans la nature, n’est point une force infiniment petite, mais une force finie très-petite, les corps qui se meuvent suivant une courbe, ne décrivant point réellement des courbes rigoureuses, mais des courbes polygones, composées d’une quantité finie, mais très grande, de petites lignes droites contigues entr’elles à angles très-obtus. Voilà la premiere réponse.

Sur quoi je remarque, 1°. que s’il est difficile & peut-être impossible de comprendre comment une force qui a commencé par produire dans un corps zéro de vîtesse, peut par des corps successifs & réitérés à l’infini, produire dans ce corps une vîtesse finie, on ne comprend pas mieux comment un solide est formé par le mouvement d’une surface sans profondeur, comment une suite de points indivisibles peut former l’étendue, comment une succession d’instans indivisibles forme le tems, comment même des points & des instans indivisibles se succedent, comment un atome en repos dans un point quelconque de l’espace peut être transporté dans un point différent ; comment enfin l’ordonnée d’une courbe qui est zéro au sommet, devient réelle par le seul transport de cette ordonnée le long de l’abscisse : toutes ces difficultés & d’autres semblables, tiennent à l’essence toûjours inconnue & toûjours incompréhensible du mouvement, de l’étendue & du tems. Ainsi, comme elles ne nous empêchent point de reconnoître la réalité de l’étendue, du tems & du mouvement, la difficulté proposée contre le passage de la vîtesse nulle à la vîtesse finie, ne doit pas non plus être regardée comme décisive. 2°. Sans doute la force centrifuge, soit dans les courbes rigoureuses, soit dans les courbes considérées comme des polygones infinis, est comparable, quant à ses effets, à la pesanteur : mais pourquoi veut-on qu’aucune portion de courbe décrite par un corps dans la nature, ne soit rigoureuse, & que toutes soient des polygones d’un nombre de côtés fini, mais très grand ? Ces côtés en nombre fini, & très-petits, seroient des lignes droites parfaites. Or pourquoi trouve-t-on moins de difficulté à supposer dans la nature des lignes droites parfaites très-petites, que des lignes courbes parfaites aussi très-petites ? Je ne vois point la raison de cette préférence, la rectitude absolue

étant aussi difficile à concevoir dans une portion d’étendue si petite qu’on voudra, que la courbure absolue. 3°. Et c’est ici la difficulté principale à la 1re réponse, si la nature de la force accélératrice est de produire au 1er instant une vîtesse très-petite, cette force agissant à chaque instant pendant un tems fini, produiroit donc au bout de ce tems une vîtesse infinie ; ce qui est contre l’expérience. On dira peut-être que la nature de la pesanteur n’est point d’agir à chaque instant, mais de donner de petits coups finis qui se succedent comme par secousses dans des intervalles de tems finis, quoique très-petits : mais on sent bien que cette supposition est purement arbitraire ; & pourquoi la pesanteur agiroit-elle ainsi par secousses & non pas par un effort continu & non-interrompu ? On ne pourroit tout-au-plus admettre cette hypothèse que dans le cas où l’on regarderoit la pesanteur comme l’effet de l’impulsion d’un fluide ; & l’on sait combien il est douteux que la pesanteur vienne d’une pareille impulsion, puisque jusqu’ici les phénomenes de la pesanteur n’ont pû s’en déduire, ou même y paroissent contraires. Voyez Pesanteur, Gravité & Gravitation. On voit par toutes ces réflexions, que la premiere réponse à la difficulté que nous avons proposée sur la nature des forces accélératrices, est elle-même sujette à des difficultés considérables.

On pourroit dire en second lieu pour répondre à cette difficulté, qu’à la vérité un corps pesant, ou tout autre corps mû par une force accélératrice quelconque, doit commencer son mouvement par zéro de vîtesse : mais que ce corps n’en est pas moins en disposition de se mouvoir verticalement si rien ne l’en empêche ; au lieu qu’il n’a aucune disposition à se mouvoir horisontalement ; qu’il y a par conséquent dans ce corps un nisus, une tendance au mouvement vertical, qu’il n’a point pour le mouvement horisontal ; que c’est ce nisus, cette tendance qu’on a à soûtenir dans le premier cas, & qu’on n’a point à soûtenir dans le second ; qu’elle ne peut être contre-balancée que par un nisus, une tendance pareille ; que l’effort que l’on fait pour soûtenir un poids, est de même nature que la pesanteur ; que cet effort produiroit, à la vérité, au premier instant une vîtesse infiniment petite, mais qu’il est très différent d’un effort nul, parce qu’un effort nul ne produiroit aucun mouvement, & que l’effort dont il s’agit en produiroit un fini, au bout d’un tems fini. Cette seconde réponse n’est guere plus satisfaisante que l’autre ; car qu’est-ce qu’un nisus au mouvement, qui ne produit pas une vîtesse finie dans le premier instant ? Quelle idée se former d’un pareil effort ? D’ailleurs pourquoi l’effort qu’il faut faire pour soûtenir un grand poids, est-il beaucoup plus considérable que celui qu’il faut faire pour arrêter une boule de billard qui se meut avec une vîtesse finie ? Il semble au contraire que ce dernier devroit être beaucoup plus grand, si en effet la force de la pesanteur étoit nulle par rapport à celle de la percussion.

Il résulte de tout ce que nous venons de dire, que la difficulté proposée mérite l’attention des Physiciens & des Géometres. Nous les invitons à chercher des moyens de la résoudre plus heureusement que nous ne venons de faire, supposé qu’il soit possible d’en trouver.

Lois des forces accélératrices, & maniere de les comparer. Quoi qu’il en soit de ces réflexions sur la nature des forces accélératrices, il est au-moins certain dans le sens qu’on l’a expliqué au mot Accélératrice, que si on appelle φ la force accélératrice d’un corps, dt l’élément du tems, du celui de la vîtesse, on aura φdt = du ; si la force est retardatrice, au lieu d’être accélératrice, on aura φdt = −du, parce