L’Encyclopédie/1re édition/GRAVITÉ

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GRAVITÉ, s. f. (Phys. & Méchaniq.) on appelle ainsi parmi les Physiciens la force que le vulgaire appelle pesanteur, & en vertu de laquelle les corps tendent vers la terre.

Il y a cette différence entre pesanteur & gravité, 1°. que gravité ne se dit jamais que de la force ou cause générale qui fait descendre les corps, & que pesanteur se dit quelquefois de l’effet de cette force dans un corps particulier ; ainsi on dit la force de la gravité pousse les corps vers la terre, & la pesanteur du plomb est plus grande que celle du cuivre. 2°. Que pesanteur ne se dit jamais que de la force particuliere qui fait tomber les corps terrestres vers la terre, & que gravité se dit aussi quelquefois dans le système Newtonien, de la force par laquelle un corps quelconque tend vers un autre. Car le principe général de ce système, est que la gravité est une propriété universelle de la matiere. Voyez Gravitation. Mais avant que d’en détailler les preuves, disons un mot des systèmes imaginés par les autres philosophes, pour rendre raison de la gravité.

Le vulgaire est d’abord étonné qu’on cherche une cause à ce phénomene ; il lui paroît tout naturel qu’un corps tombe, dès qu’il n’est pas soûtenu ; sur quoi nous renvoyons le lecteur à l’article Force d’inertie, p. 112. col. j. Nous renvoyons aussi aux mots Accélération & Descente sur les explications que les Péripatéticiens, les Epicuriens, & les Gassendistes donnent de la gravité, & qui ne méritent pas un plus long détail. Mais l’explication de Descartes est trop ingénieuse & trop séduisante au premier coup-d’œil, pour ne pas nous y arrêter.

La matiere subtile, dit ce philosophe, se meut en tourbillon autour de la terre ; en vertu de ce mouvement elle a une force centrifuge, voyez Force & Centrifuge ; en vertu de cette force, toutes les parties de cette matiere tendent à s’éloigner de la terre ; elles doivent donc pousser les corps vers la terre, c’est-à-dire dans un sens contraire à la direction de leur force centrifuge : car par la même raison qu’un fluide qui pese de haut en bas, tend à pousser de bas en-haut les corps qu’on y plonge, & les y pousse en effet, s’ils tendent de haut en-bas avec moins de force que lui ; par cette même raison la matiere du tourbillon ayant une force centrifuge, doit pousser vers la terre les corps qu’on place dans ce tourbillon, & qui n’ont point une pareille force. Voyez Fluide & Hydrodynamique. Ainsi la pesanteur du corps L placé dans la pyramide AEB (fig. 8. Méch.), est égale à la force centrifuge de la matiere du tourbillon dont il occupe la place, multipliée par la masse de cette matiere, moins la force centrifuge du corps L, s’il en a, multipliée par la masse L.

En supposant l’existence des tourbillons que nous croyons insoûtenable, & que presque personne n’admet plus aujourd’hui, voyez Tourbillon, il suit de cette explication qu’il faut, ou que la force centrifuge de la matiere du tourbillon soit beaucoup plus grande que celle du corps L, ou que la matiere subtile soit beaucoup plus dense que ce corps. Or la force centrifuge du corps L vient de sa vîtesse de rotation autour de la terre ; vîtesse qui est à-peu-près égale à celle des points de la surface terrestre. Donc il faudroit dans le premier cas que la matiere du tourbillon eût beaucoup plus de vîtesse de rotation que la terre ; or cela posé, on sentiroit une espece de vent continuel dans le sens de la rotation de la terre, c’est-à-dire d’occident en orient. Dans le second cas, si la matiere du tourbillon a beaucoup plus de densité que les corps terrestres, on devroit sentir dans les mouvemens de bas en-haut & de haut enbas la résistance de cette matiere ; or on sait que cette résistance est insensible, que l’air seul est la source de celle qu’on éprouve, & qu’il n’y en a point dans la machine du vuide, où tous les corps tombent également vîte. Ce n’est pas tout ; supposant, comme on le dit, la force centrifuge de la matiere du tourbillon beaucoup plus grande que celle du corps L, le corps L devroit toûjours avoir une pesanteur sensiblement égale, pourvû qu’il conservât le même volume ; car la force centrifuge qui agiroit sur ce corps, seroit alors la même. Or cela est contraire à l’expérience : car un pié cube d’or pese plus qu’un pié cube de liége. De plus & par la même raison, les corps devroient descendre d’autant plus vîte, abstraction faite de la résistance de l’air, qu’ils auroient moins de masse sous un même volume ; car la force qui les presse étant la même, elle devroit y produire des vîtesses en raison inverse des masses. Or c’est ce que l’expérience dément encore ; car l’expérience prouve que tous les corps descendent également vîte dans le vuide ; d’où il résulte que la gravité agit en raison de la masse, & non du volume du corps.

Une autre objection contre les Cartésiens, c’est que les corps devroient descendre vers l’axe de la terre, & non vers le centre ; de sorte que sous les paralleles à l’équateur ils devroient tomber par des lignes obliques, & non par des lignes à-plomb. Les Cartésiens, il est vrai, ont imaginé différens moyens de répondre à ces difficultés ; mais tous ces moyens sont autant de paralogismes. Je me flate de l’avoir démontré dans mon traité des fluides, art. 409. M. Huyghens a cherché à corriger sur ce point le système de Descartes ; mais la correction est pire que le mal ; voyez Descente ; il en est de même de M. Bulfinger. Il suppose dans une piece qui a remporté le prix de l’academie des Sciences en 1728, que la matiere du tourbillon se meut à-la-fois autour de deux axes. Il prétend que de ce double mouvement il doit résulter une tendance des corps terrestres vers le centre de la terre ; mais cet auteur a supposé qu’en ce cas les particules de la matiere décrivoient toutes par un mouvement composé de grands cercles, ce qui n’est pas vrai ; car elles décrivent des courbes différentes, dont la plûpart sont en 8 de chiffre, comme on peut s’en assûrer par l’expérience & par l’analyse. Ainsi son explication n’est pas plus recevable que celles de Huyghens & de Descartes.

M. Varignon a fait aussi un système sur la cause de la pesanteur, dont on peut voir le précis dans son éloge par M. de Fontenelle, mém. de l’Acad. 1722. mais ce système ne portant sur rien, & n’ayant fait aucune fortune, nous n’en ferons point de mention ici. M. le Sage, de Geneve, a présenté depuis peu à l’académie des Sciences un écrit qui contient un système ingénieux sur cette matiere ; mais ce système n’est pas encore publié, & nous attendrons qu’il le soit pour en faire mention, afin de ne point trop surcharger cet article. Nous renvoyons donc sur cela au mot Pesanteur.

Avant que de passer à l’explication Newtonienne de la gravité, nous ferons une remarque qui ne sera pas inutile. Quand on dit que les corps pesans ou graves tendent vers le centre de la terre, on n’entend pas cela rigoureusement ; car il faudroit en ce cas que la terre fût sphérique, & que les corps pesans fussent poussés perpendiculairement à cette surface. Or il est prouvé que la terre n’est pas sphérique, & il n’est pas bien démontré que la direction de la pesanteur soit perpendiculaire à la surface de la terre ; sur quoi voyez l’article Figure de la Terre, & la III. partie de mes recherches sur le système du monde ; Paris, 1756. liv. VI.

Il faut d’ailleurs distinguer deux sortes de gravité : la gravité primitive, non altérée par la force centrifuge qui vient de la rotation de la terre & des corps qu’elle entraîne : & la gravité altérée par cette force ; cette derniere gravité est la seule que nous sentons ; & quand même la premiere auroit sa direction au centre de la terre, la seconde par une conséquence nécessaire ne l’auroit pas. Mais il est aisé de s’assûrer que la gravité primitive elle-même n’a pas sa direction au centre de la terre ; car si cela étoit, le rapport des axes seroit à très-peu-près de 577 à 578, tel que M. Huyghens l’a trouvé dans cette hypothèse. Or les observations donnent le rapport des axes de la terre beaucoup plus grand. Voyez l’article Figure de la Terre. Ainsi il paroît que la gravité n’est pas une force constamment dirigée vers le centre de la terre, & c’est déjà une preuve indirecte en faveur du système de Newton, qui veut que la pesanteur soit causée par l’attraction que toutes les parties de la terre exercent sur les corps pesans ; attraction dont l’effet doit être dirigé différemment, suivant le lieu de la surface terrestre où le corps attiré est placé. Voyez Attraction. Voici maintenant les preuves du système Newtonien.

Preuves de la gravité universelle. Tout le monde convient que tout mouvement est naturellement rectiligne ; de sorte que les corps, qui dans leur mouvement décrivent des lignes courbes, y doivent être forcés par quelque puissance qui agit sur eux continuellement.

D’où il s’ensuit que les planetes faisant leurs révolutions dans des orbites curvilignes, il y a quelque puissance dont l’action continuelle & constante les empêche de se déplacer de leur orbite, & de décrire des lignes droites.

D’ailleurs les Mathématiciens prouvent que tous les corps qui dans leurs mouvemens décrivent quelque ligne courbe sur un plan, & qui par des rayons tirés vers un certain point, décrivent autour de ce point des aires proportionnelles au tems, sont poussés par quelque puissance qui tend vers ce même point ; voyez Force centrale. Il est démontré aussi par les observations que les planetes premieres tournant autour du soleil, & les planetes secondaires appellées satellites, tournant autour des premieres, décrivent des aires proportionnelles au tems ; voyez Loi de Kepler. Par conséquent la puissance qui les retient dans leur orbite, a sa direction vers les centres du soleil & des planetes. Enfin il est prouvé que si plusieurs corps décrivent autour d’un même point des cercles concentriques, & que les quarrés de leurs tems périodiques soient comme les cubes des distances du centre commun, les forces centripetes des corps qui se meuvent seront réciproquement comme les quarrés des distances. Voyez Force centrale. Or tous les Astronomes conviennent que cette analogie a lieu par rapport à toutes les planetes : d’où il s’ensuit que les forces centripetes de toutes les planetes, sont réciproquement comme les quarrés des distances où elles sont des centres de leurs orbites. Voyez l’article Planete & l’article Loi de Kepler.

De tout ce qu’on vient de dire, il s’ensuit que les planetes sont retenues dans leurs orbites par une puissance qui agit continuellement sur elles : que cette puissance a sa direction vers le centre de ces orbites : que l’efficacité de cette puissance augmente à mesure qu’elle approche du centre, & qu’elle diminue à mesure qu’elle s’en éloigne ; qu’elle augmente en même proportion que diminue le quarré de la distance, & qu’elle diminue comme le quarré de la distance augmente.

Or en comparant cette force centripete des planetes avec la force de gravité des corps sur la terre, on trouvera qu’elles sont parfaitement semblables.

Pour rendre cette vérité sensible, nous examinerons ce qui se passe dans le mouvement de la Lune, qui est la planete la plus voisine de la terre.

Les espaces rectilignes, décrits dans un tems donné par un corps qui tombe & qui est poussé par quelque puissance, sont proportionnels à ces puissances, à compter depuis le commencement de la chûte. Par conséquent la force centripete de la Lune dans son orbite, sera à la force de la gravité sur la surface de la terre, comme l’espace, que la Lune parcourroit en tombant pendant quelque tems par sa force centripete du côté de la terre, supposé qu’elle n’eût aucun mouvement circulaire, est à l’espace que parcouroit dans le même tems quelqu’autre corps en tombant par sa gravité sur la terre.

On sait par expérience que les corps pesans parcourent ici-bas 15 piés par seconde, voyez Descente. Or l’espace que la force centripete de la Lune lui feroit parcourir en ligne droite dans une seconde, est sensiblement égal au sinus verse de l’arc que la Lune décrit dans une seconde. Et puisqu’on connoît le rayon de l’orbite de la Lune & le tems de sa révolution, on connoîtra par conséquent ce sinus verse.

Faisant donc le calcul, on trouve que ce sinus verse est à 15 piés, c’est-à-dire que la force centripete de la Lune dans son orbite, est à la force de la gravité sur la surface de la terre, comme le quarré du demi-diametre de la terre est au quarré du demi-diametre de l’orbite. On peut voir ce calcul tout au long dans le III. livre des principes de Newton, & dans plusieurs autres ouvrages auxquels nous renvoyons.

C’est pourquoi la force centripete de la Lune est la même que la force de la gravité, c’est-à-dire procede du même principe ; autrement si ces deux forces étoient différentes, les corps poussés par les deux forces conjointement, tomberoient vers la terre avec une vîtesse double de celle qui naîtroit de la seule force de la gravité.

Il est donc évident que la force centripete par laquelle la Lune est retenue dans son orbite, n’est autre chose que la force de la gravité qui s’étend jusque-là.

Par conséquent la Lune pese vers la terre ; donc réciproquement celle ci pese vers la Lune : ce qui est confirmé d’ailleurs par les phénomenes des marées. Voyez Flux & Reflux & Gravitation.

On peut appliquer le même raisonnement aux autres planetes. En effet, comme les révolutions des planetes autour du Soleil, & celles des satellites de Jupiter & de Saturne autour de ces planetes, sont des phénomenes de la même espece que la révolution de la Lune autour de la terre ; comme les forces centripetes des planetes ont leur direction vers le centre du Soleil ; comme celles des Satellites tendent vers le centre de leur planete ; & enfin comme toutes ces forces sont réciproquement comme les quarrés des distances aux centres, on peut conclure que la loi de la gravité & sa cause sont les mêmes dans toutes les planetes & leurs satellites.

C’est pourquoi comme la Lune pese vers la terre, & celle-ci vers la Lune, de même tous les satellites pesent vers leurs planetes principales : & les planetes principales vers leurs satellites ; les planetes vers le Soleil, & le Soleil vers les planetes. Voyez Gravitation, Planete, &c.

Il ne reste plus qu’à savoir quelle est la cause de cette gravité universelle, ou tendance mutuelle que les corps ont les uns vers les autres.

Clarke ayant détaillé plusieurs propriétés de la gravité des corps, conclud que ce n’est point un effet accidentel de quelque mouvement ou matiere subtile, mais une force générale que le Tout-puissant a imprimée des le commencement à la matiere, & qu’il y conserve par quelque cause efficiente qui en pénetre la substance.

Gravesande, dans son introduction à la philosophie de Newton, prétend que la cause de la gravité est absolument inconnue, & que nous ne devons la regarder que comme une loi de la nature & comme une tendance que le créateur a imprimée originairement & immédiatement à la matiere, sans qu’elle dépende en aucune façon de quelque loi ou cause seconde. Il croit que les trois réflexions suivantes suffisent pour prouver sa proposition. Savoir :

1°. Que la gravité demande la présence du corps qui pese ou attire : c’est ainsi que les satellites de Jupiter, par exemple, pesent sur cette planete, quelque part qu’elle se trouve.

2°. Que la distance au corps attirant étant supposée la même, la vîtesse avec laquelle les corps se meuvent par la force de la gravité, dépend de la quantité de matiere qui se trouve dans le corps qui attire, & que la vîtesse ne change point, quelle que puisse être la masse du corps pesant.

3°. Que si la gravité ne dépend d’aucune loi connue de mouvement, il faut que ce soit quelqu’impulsion venant d’un corps étranger, de sorte que la gravité étant continuelle, elle demande aussi une impulsion continuelle.

Or s’il y a quelque matiere qui pousse continuellement les corps, il faut que cette matiere soit fluide & assez subtile pour pénétrer la substance de tous les corps : mais comment un corps qui est assez subtil pour pénétrer la substance des corps les plus durs, & assez raréfié pour ne pas s’opposer sensiblement au mouvement des corps, peut-il pousser des corps considérables les uns vers les autres avec tant de force ? Comment cette force augmente-t-elle suivant la proportion de la masse du corps vers lequel l’autre corps est poussé ? D’où vient que tous les corps, en supposant la même distance & le même corps vers lequel ils tendent, se meuvent avec la même vîtesse ? Enfin un fluide qui n’agit que sur la surface, soit des corps mêmes, soit de leurs particules intérieures, peut-il communiquer aux corps une quantité de mouvement, qui suive exactement la proportion de la quantité de matiere renfermée dans les corps ?

M. Cotes, en donnant un plan de la philosophie de Newton, va encore plus loin, & assûre que la gravité doit être mise au rang des qualités premieres de tous les corps, & réputée aussi essentielle à la matiere que l’étendue, la mobilité, & l’impénétrabilité. Pref. ad Newt. princip. Sur quoi voyez les articles Attraction & Gravitation.

Mais Newton, pour nous faire entendre qu’il ne regarde point la gravité comme essentielle aux corps, nous donne son opinion sur la cause, & il prend le parti de la proposer par forme de question, comme n’étant point encore content de tout ce qu’on en a découvert par les expériences.

Nous ajoûterons ici cette question dans les propres termes dont il s’est servi.

Après avoir prouvé qu’il y a dans la nature un milieu beaucoup plus subtil que l’air ; que par les vibrations de ce milieu, la lumiere communique de la chaleur aux corps, subit elle-même des accès de facile réflexion & de facile transmission ; & que les différentes densités des couches de ce milieu produisent la réfraction aussi-bien que la réflexion de la lumiere (voyez Milieu, Chaleur, Réfraction, &c.), il fait la question suivante.

« Ce milieu n’est-il pas beaucoup plus raréfié dans les corps denses du Soleil, des étoiles, des planetes, & des cometes, que dans les espaces célestes qui sont vuides, & qui se trouvent entre ces corps ? & ce milieu, en passant de là à des distances considérables, ne se condense-t-il pas continuellement de plus en plus, & ne devient-il pas ainsi la cause de la gravité que ces grands corps exercent les uns sur les autres, & de celle de leurs parties, puisque chaque corps s’efforce de s’éloigner des parties les plus denses du milieu vers ses parties les plus raréfiées ?

» Car si l’on suppose que ce milieu est plus raréfié dans le corps du soleil que dans sa surface, & plus à la surface qu’à une distance très-petite de cette même surface, & plus à cette distance que dans l’orbe de Saturne ; je ne vois pas, dit M. Newton, pourquoi l’accroissement de densité ne seroit pas continué dans toute la distance qu’il y a du soleil à Saturne, & au-delà.

» Et quand même cet accroissement de densité seroit excessivement lent ou foible à une grande distance, cependant si la force élastique de ce milieu est excessivement grande, elle peut être suffisante pour pousser les corps depuis les parties les plus denses du milieu, jusqu’à l’extrémité de ses parties les plus raréfiées, avec toute cette force que nous appellons gravité.

» La force élastique de ce milieu est excessivement grande, comme on en peut juger par la vîtesse de ses vibrations : car d’un côté les sons se répandent environ à 180 toises dans une seconde de tems : de l’autre la lumiere vient du soleil jusqu’à nous dans l’espace de sept ou huit minutes, & cette distance est environ de 33000000 lieues ; & pour que les vibrations ou impulsions de ce milieu puissent produire les secousses alternatives de facile transmission & de facile réflexion, il faut qu’elles se fassent plus promptement que celles de la lumiere, & par conséquent environ 700000 fois plus vîte que celles du son ; de sorte que la vertu élastique de ce milieu, toutes choses d’ailleurs égales, doit être plus de 700000 × 700000, c’est-à-dire plus de 490000000000 fois plus grande que n’est la vertu élastique de l’air : car les vîtesses des pulsions des milieux élastiques, toutes choses d’ailleurs égales, sont en raison sous-doublée de la directe des élasticités de ces milieux.

» Comme la vertu magnétique est plus considérable dans les petites pierres d’aimant que dans les grandes à proportion de leur volume, & que l’attraction électrique agit plus vivement sur les petits corps que sur les grands : de même la petitesse des rayons de lumiere peut contribuer infiniment à la force de l’agent, ou de la puissance qui leur fait subir les réfractions. Et si on suppose que l’éther (comme l’air que nous respirons) contienne des particules qui s’efforcent de s’éloigner les unes des autres, & que ces particules soient infiniment plus petites que celles de l’air, ou même que celles de la lumiere, leur petitesse excessive peut contribuer à la grandeur de la force par laquelle elles s’éloignent les unes des autres, rendre le milieu infiniment plus rare & plus élastique que l’air, & par conséquent infiniment moins propre à résister aux mouvemens des projectiles, & infiniment plus propre à causer la pesanteur des corps par l’effort que font ses particules pour s’étendre. Optic. p. 325. » &c. Voyez Lumiere, Elasticité, &c.

Voilà un précis des idées générales que Newton paroît avoir eues sur la cause de la gravité : cependant si on examine d’autres endroits de ses ouvrages, on est tenté de croire que cette explication générale qu’il donne dans son Optique, étoit destinée principalement à rassûrer quelques personnes que l’attraction avoit revoltées. Car ce philosophe, en avoüant que la pesanteur pourroit être produite par l’impulsion, ajoûte qu’elle pourroit aussi être produite par quelqu’autre cause : il fait mouvoir les planetes dans un grand vuide, ou du-moins dans un espace qui contient très-peu de matiere ; il remarque que l’impulsion d’un fluide est proportionnelle à la quantité de surface des corps qu’il frappe, au lieu que la gravité est comme la quantité de matiere, & vient d’une cause qui pénetre pour ainsi dire les corps ; ainsi il n’étoit pas, ce me semble, fort éloigné de regarder la gravité comme un premier principe, & comme une loi primordiale de la nature. En un mot toute cette explication est bien foible, pour ne rien dire de plus, bien vague, & bien peu conforme à la maniere ordinaire de philosopher de son illustre auteur ; & nous ne pouvons croire qu’il l’ait proposée bien sérieusement. D’ailleurs Newton parut donner son approbation à la préface que M. Cotes a mise à la tête de la seconde édition de ses Principes, & dans laquelle cet auteur soûtient, comme nous l’avons dit, que la gravité est essentielle à la matiere. Voyez aux articles Attraction & Gravitation les réflexions que nous avons faites sur cette derniere opinion.

La partie de la Méchanique qui traite du mouvement des corps en tant qu’il résulte de la gravité, s’appelle quelquefois statique. Voyez Statique.

On distingue la gravité en absolue & relative.

La gravité absolue est celle par laquelle un corps descend librement sans éprouver aucune résistance. Voyez Résistance.

Les lois de la gravité absolue se trouvent aux articles Accélération & Descente.

La gravité relative est celle par laquelle un corps descend après avoir consumé une partie de son poids à surmonter quelqu’obstacle ou résistance. Voyez Résistance.

Telle est la gravité par laquelle un corps descend le long d’un plan incliné, où une partie de sa force est employée à surmonter la résistance ou le frottement du plan. Telle est encore la gravité par laquelle un corps descend dans un fluide. Voyez Frottement, & pour les lois de la gravité relative, consultez les articles Plan incliné, Descente, Fluide, Resistance, &c.

Centre de Gravité, voyez Centre.

La formule que nous avons donnée au mot Force centrifuge, page 120 de ce Volume, col. 1. peut servir à trouver le rapport de la force centrifuge des corps terrestres à la gravité ; car on peut connoître par les lois des pendules (voyez Pendule) le tems θ d’une vibration d’un pendule, dont la longueur seroit égale au rayon de la terre ; & on peut connoître de plus l’espace A, où la partie de la circonférence de l’équateur qu’un point quelconque de la surface de la terre décrit dans ce même tems ; & comme π est le rapport de la demi-circonférence au rayon, & AB le diametre de la terre, on aura donc en nombres très-approchés le rapport de 2 A à πAB ou de A à c’est-à-dire de l’arc A à la demi-circonférence de la terre. Or, achevant le calcul, on trouve que ce rapport est d’environ 1 à 17. Voyez le discours de M. Huyghens sur la cause de la pesanteur. Donc le rapport de la force centrifuge à la gravité sous l’équateur, est égal au quarré de , c’est-à-dire .

Les lois de la gravité des corps qui pesent dans les fluides, sont l’objet de l’Hydrostatique. Voyez Hydrostatique.

Dans cette science on divise la gravité en absolue & spécifique.

La gravité absolue est la force avec laquelle les corps tendent en embas. Voyez le commencement de cet article.

La gravité spécifique est le rapport de la gravité d’un corps à celle d’un autre de même volume. Voy. Specifique.

Pour les lois de la gravité spécifique avec les manieres de la trouver, ou de la déterminer dans les solides & dans les fluides, consultez l’article Balance hydrostatique. (O)

Gravité, voyez ci-dev. l’article Grave, (Gram. & Morale.)

Gravité, en Musique, est cette modification du son, par laquelle on le considere comme grave, ou bas par rapport à d’autres sons qu’on appelle hauts ou aigus. Voyez Son grave. C’est une des bisarreries de notre langue, qu’il n’y ait point pour opposer à ce mot de substantif propre aux sons aigus : celui d’acuité que quelques-uns ont voulu introduire, n’a pû passer.

La gravité des sons dépend de la grosseur, longueur, tension des cordes, de la longueur des tuyaux, & en général du volume & du poids des corps sonores : plus ils ont de tout cela, & plus leur gravité est grande ; car il n’y a point de gravité absolue, & aucun son n’est grave ou aigu que par comparaison. Voyez Corde & Fondamental. (S)