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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/35

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dureté : qu’on lise le chapitre xj. xij. xiij. & suiv. du liv. III. de l’institution. Cependant les Arminiens dans le sein même du Protestantisme, se sont efforcés de rapprocher son opinion de celle des Catholiques. C’est un des points de doctrine qui les divise des Gomaristes ; peut-être pourroit-on expliquer favorablement ce que Calvin a dit là-dessus. Je ne citerai que ce qu’on lit au chapitre xvj. de l’instit. liv. III. Ita liquet quam verum sit nos non sine operibus, neque tamen per opera justificari. Voy. Justification.

Enfin on divise la foi en implicite & explicite. On peut croire implicitement une vérité, ou parce qu’on croit une autre vérité qui la renferme, ou parce qu’on est soûmis à l’autorité qui l’enseigne, & disposé à recevoir d’elle cette vérité dès qu’on saura qu’elle l’enseigne. La plus grande partie des simples dans toutes les communions, croyent les dogmes de leurs églises d’une foi implicite en ces deux sens-là.

Dans l’église catholique il y a des dogmes qu’il suffit de croire d’une foi implicite, & d’autres qu’il est nécessaire pour le salut de croire explicitement. Ceci nous donne lieu d’entrer dans la question de la nécessité de la foi pour le salut. On voit bien que quoique la division de la foi implicite & explicite ne regarde la foi qu’entant qu’elle est une persuasion, la nécessité de la foi regarde aussi la grace & la vertu de la foi. Voilà pourquoi nous avons renvoyé ici cette importante question, dont l’examen terminera cet article.

Je ne me propose pas cependant de la traiter méthodiquement ; cet article est déjà trop long : je me contenterai de faire ici quelques réflexions générales sur cette matiere, & c’est peut-être ainsi que la Théologie devroit être traitée dans l’Encyclopédie, je veux dire qu’il faudroit se contenter des réflexions philosophiques qu’on peut faire sur ces objets importans, & renvoyer pour le fond aux ouvrages théologiques.

On distingue en Théologie la nécessité de précepte & la nécessité de moyen. Les différences qu’on assigne entre l’une & l’autre sont bien legeres & de peu d’utilité dans les grandes questions de la nécessité de la foi, de la grace, du baptême, &c. en effet ces deux nécessités sont également fortes, puisqu’on est également puni pour ne pas accomplir le précepte, & pour ne pas se servir du moyen.

Une des différences qu’on allegue entre l’une & l’autre, & qui mérite d’être remarquée, est que l’ignorance invincible excuse de péché dans les choses qui sont de nécessité de précepte ; au lieu qu’elle n’excuse point dans les choses qui sont de nécessité de moyen : Necessitas medii, dit Suarès de necessitate fidei, non excusatur per ignorantiam invincibilem.

Les Théologiens ne décident pas expressément que cette ignorance invincible ait lieu quelquefois, & ils n’expliquent pas bien nettement si elle est absolument & métaphysiquement invincible : mais si l’on entendoit par l’ignorance invincible de la foi, du baptême, &c. l’état d’un homme qui est dans une impossibilité absolue, qui n’a aucun moyen ni prochain ni éloigné d’arriver à la foi, d’avoir le baptême, en soûtenant que la foi, le baptême, &c. sont nécessaires pour un tel homme, on diroit une grande absurdité ; car on diroit que Dieu ordonne comme absolument nécessaires, des choses absolument impossibles.

La nécessité de la foi pour le salut, est un dogme capital dans la doctrine chrétienne : les Théologiens qui ont voulu y mettre quelques adoucissemens, & user de quelques explications, se sont toûjours écartés des principes reçûs, & sont en fort petit nombre : ainsi la foi est nécessaire d’une nécessité de moyen : de sorte que sans la foi, on n’arrive jamais au salut.

Cette proposition, la foi est nécessaire au salut, est

synonyme de celle ci, hors l’Eglise point de salut, parce qu’on n’est dans l’Eglise que par la foi ; & si-tôt qu’on a la foi, on est dans l’Eglise.

Le sens de cette proposition, la foi est nécessaire au salut, est qu’il y a des vérités particulieres dont la foi explicite est nécessaire pour être sauvé : autrement cette proposition seroit vague & ne signifieroit rien.

Un dogme quelconque est crû d’une foi explicite ; lorsqu’il est directement l’objet de la persuasion que renferme la foi, lorsque la proposition qui l’exprime est présente à l’esprit de celui qui croit ; & ce même dogme sera crû d’une foi implicite, si on croit généralement ou à l’autorité de Dieu qui le révele, ou à celle de l’Eglise qui le professe, sans avoir d’idée distincte de ce que Dieu révele. Les simples qui croyent tout ce que l’Eglise croit, ont une foi implicite de beaucoup de dogmes que les personnes plus instruites croyent explicitement.

Tous les dogmes que l’Eglise présente aux fideles comme révélés, sont l’objet d’une persuasion que Dieu exige d’eux lorsqu’ils connoissent & le dogme & la définition de l’Eglise : & en ce sens, la foi de tous les dogmes, même de ceux qui paroissent moins essentiels, est nécessaire au salut : mais comme on peut sans danger ignorer en beaucoup de points & ces dogmes & la définition, & qu’il suffit de croire en général ce que l’Eglise enseigne, on peut dire qu’il n’y a qu’un certain nombre de vérités, dont la foi est nécessaire au salut.

On demande quels sont les dogmes dont la foi explicite est nécessaire au salut. Les Théologiens demeurent communément d’accord qu’outre l’existence & les attributs de Dieu, il est nécessaire de croire en Dieu comme l’auteur de la grace ; en J. C. comme médiateur entre Dieu & les hommes, & Dieu lui-même ; au mystere de l’Incarnation & à celui de la Trinité des Personnes.

Cependant leur doctrine n’est pas sur cela absolument constante & uniforme ; l’Eglise même n’a pas décidé cette grande question. Cela est clair par la liberté qu’on s’est donné d’augmenter ou de restraindre le nombre des articles qu’il faut croire de foi explicite, sous peine de damnation. Suarès, Soto, Vega, Maldonat, Hugues de Saint-Victor, Alexandre de Halès, Albert-le-Grand, Scot, Gabriel Biel, &c. ont regardé la foi implicite en Jesus-Christ comme suffisante pour le salut.

C’est sur le même principe que Payva d’Andrada, quest. orthodox. Robert Holcots ; Erasme, præfat. in tuscul. Collius, de animabus Paganorum, ont érigé en foi suffisante pour le salut la bonne foi & les vertus des Payens.

Juenin remarque que l’opinion de Suarès n’a pas été condamnée expressément, mais qu’il ne faut pas la suivre dans la pratique : je ne sais pas ce qu’il entend par la pratique de cette opinion ; mais il est clair que Suarès est en opposition avec la plûpart des peres, avec la doctrine la plus reçûe dans l’Eglise.

Quant à l’opinion des autres théologiens que nous avons cités, on sent bien que c’est abuser des termes, que de dire que ces honnêtes payens avoient une foi implicite, puisque leurs opinions, quoique conformes à la doctrine chrétienne sur l’unité de Dieu, lui étoient opposées dans plusieurs autres non moins nécessaires à croire.

Il y a beaucoup de choses nécessaires au salut d’une nécessité de moyen : le baptême ; la foi infuse ; la foi explicite en Dieu, comme l’auteur de la nature ; la foi explicite en Dieu, comme auteur de la grace ; la foi explicite des mysteres de la trinité & de l’incarnation ; & par conséquent la foi explicite en J. C. la justification ; la grace en général, &c.

De toutes ces choses, celle qui est de premiere nécessité, est la grace de la justification, à laquelle