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produisent le froid de la maniere que nous l’avons expliqué, ce n’est pourtant pas lorsqu’ils soufflent avec plus de violence que le plus grand froid se fait sentir. Il ne regne d’ordinaire qu’un petit vent pendant les plus fortes gelées. Les grands vents échauffent un peu l’air par le frottement qu’ils causent. Si le vent, généralement parlant, refroidit plus nos corps qu’un air qui n’est point agité, c’est par une raison connue de tous les Physiciens. On sait que nos corps naturellement plus chauds qu’un air tranquille qui les environne, échauffent une partie de cet air, & par-là se trouvent comme plongés dans une atmosphere d’une chaleur souvent égale ou peu inférieure à celle de nos organes. Or les vents enlevent & dissipent promptement cette atmosphere chaude, pour mettre un air froid à sa place ; il n’en faut pas davantage pour qu’un air agité nous paroisse beaucoup plus froid qu’un air tranquille refroidi précisément au même degré.

L’instrument qui sert à mesurer les degrés de chaleur, comme ceux du froid, est connu sous le nom de thermometre ; il est fondé sur la propriété qu’a la chaleur de raréfier les corps, sur-tout les liqueurs, & sur celle qu’a le froid de les condenser. Voyez Thermometre.

Le thermometre nous a appris que le plus grand froid se faisoit sentir chaque jour environ une demi-heure après le soleil levé ; c’est au-moins ce qui arrive le plus souvent, & en voici, je crois, la principale raison. La chaleur imprimée à un corps ne se conservant que quelque tems, la terre & l’air se refroidissent depuis trois ou quatre heures après midi jusqu’au soir, & plus encore pendant la nuit : ce refroidissement doit continuer même après le lever du soleil, jusqu’à ce que cet astre, dont l’action est très foible à l’horison, ait acquis par son élévation assez de force pour communiquer à l’air & à la terre, plus de chaleur qu’ils n’en perdent par la cause qui tend toûjours à les refroidir. Or c’est ce qui n’arrive qu’au bout d’une demi-heure ou environ, la hauteur du soleil commençant alors à être un peu considérable. Au reste ici comme ailleurs, les vents peuvent causer d’assez grandes irrégularités. On a vû quelquefois, mais rarement, le froid de l’après-midi surpasser celui de la matinée ; ce qui venoit d’un vent qui s’étoit élevé vers le milieu du jour.

Depuis qu’on a rectifié la construction des thermometres, on a observé avec beaucoup d’exactitude certains froids excessifs en différens lieux de la Terre. La table suivante fera connoître quelques-uns des principaux résultats de ces diverses observations ; elle est tirée d’une autre table un peu plus étendue, donnée par M. de Lisle, à la suite d’un mémoire très curieux du même académicien, sur les grands froids de la Sibérie. Ce mémoire est imprimé dans le recueil de l’académie des Sciences de l’année 1749.

Table des plus grands degrés de froid observés jusqu’ici en différens lieux de la terre.
Degrés au-dessous de la congelation,
suivant la division de M. de Reaumur.
A Astracan en 1746 24
A Petersbourg en 1749 30
A Quebec en 1743 33
A Tornea° en 1737 37
A Tomsk en Sibérie en 1735 53
A Kirenga en Sibérie en 1738 66
A Yeniseik en Sibérie en 1735 70

En jettant les yeux sur cette table, on sera bientôt pleinement convaincu qu’un froid égal à celui qui se fit sentir à Paris en 1709, exprime par degrés au-dessous de la congelation, est un froid très-médiocre à beaucoup d’égards. Il suffit de comparer ce degré de 1709, avec la plûpart de ceux qu’on a marqués dans la table.

Le froid qu’on a marqué le quatrieme est celui qu’éprouverent en 1737 MM. les académiciens, qui allerent en Laponie pour mesurer un degré de méridien vers le cercle polaire. Ce froid fit descendre au trente-septieme degré les thermometres de mercure, reglés sur la division de M. de Reaumur ; les thermometres d’esprit-de-vin se gelerent. Par un tel froid, lorsqu’on ouvroit une chambre chaude, l’air de dehors convertissoit sur le champ en neige la vapeur qui s’y trouvoit, & en formoit de gros tourbillons ; lorsqu’on sortoit, l’air sembloit déchirer la poitrine. Mesure de la terre au cercle polaire, par M. de Maupertuis, & c.

Un froid qui produit de tels effets, est inférieur de 30 & de 33 degrés à certains froids qui se font quelquefois sentir en Sibérie.

On n’a point d’observations du thermometre faites à la baie de Hudson ; mais ce que les voyageurs anglois nous racontent des grands froids qu’on y éprouve, est prodigieux. Dans ces contrées, lorsque le vent souffle des régions polaires, l’air est chargé d’une infinité de petits glaçons que la simple vûe fait appercevoir. Ces glaçons piquant la peau comme autant d’aiguilles, y excitent des ampoules, qui d’abord sont blanches comme du linge, & qui deviennent ensuite dures comme de la corne. Chacun se renferme bien vîte par des tems si affreux ; mais quelque précaution qu’on prenne, on ne sauroit s’empêcher de sentir vivement le froid. Dans les plus petites chambres & les mieux échauffées, toutes les liqueurs se gelent, sans en excepter l’eau-de-vie ; & ce qui paroîtra peut-être plus étonnant, c’est que tout l’intérieur des chambres & les lits se couvrent d’une croûte de glace épaisse de plusieurs pouces, qu’on est obligé d’enlever tous les jours.

On ne croiroit pas, si l’expérience ne prouvoit le contraire, qu’un pareil froid pût laisser rien subsister de ce qui végete & de ce qui vit. Ce qui est certain, c’est que des froids bien moins considérables sont souvent nuisibles aux plantes & aux animaux.

La chaleur du soleil étant le principal agent employé par la nature dans l’ouvrage de la végétation, il est clair que quand cette chaleur diminue, les arbres & les plantes croissent avec plus de lenteur : ainsi le froid retarde par lui-même les progrès de la végétation. Il est vrai que certaines plantes exigent moins de chaleur que d’autres ; & de-là vient en grande partie la diversité des plantes selon les lieux & les climats : mais d’un autre côté il n’est pas moins constant que le froid poussé jusqu’à un certain degré est toûjours nuisible, & même pernicieux à quantité de végétaux. Voyez Végétation, Plante.

Les fortes gelées qui accompagnent les grands froids, produisent aussi sur les arbres & sur les plantes de funestes effets. Voyez Gelée & Glace.

Plusieurs auteurs ont parlé des effets du froid sur les corps des animaux. Ils nous disent qu’un air froid resserre, contracte, racourcit les fibres animales ; qu’il condense les fluides, qu’il les coagule & les gele quelquefois ; qu’il agit particulierement sur le poumon, en le desséchant, en épaississant considérablement le sang qui y coule, & c. de-là les différentes maladies causées par le froid, les catarrhes, les inflammations de poitrine, le scorbut, la gangrene, le sphacele, l’apoplexie, la paralysie, & c. Le froid tue quelquefois subitement les hommes, & plus souvent les autres animaux, qui ne peuvent pas comme l’homme se procurer des défenses contre les injures de l’air. Tout ceci est parfaitement conforme à l’idée qu’on a donnée jusqu’ici de la nature du froid. Voy. Boerhaave, instit. med. n°. 747. Arbuthnot, essai des effets de l’air sur le corps humain, &c.

Une différence essentielle entre les animaux vivans & les corps inanimés, tels que les plantes, les minéraux ; c’est que ceux-ci prennent au bout d’un