Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/367

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ment à nous, puisqu’elle n’excede & n’égale même jamais, d’une maniere durable & supportable, la chaleur qui nous est naturelle. Ainsi on peut regarder le milieu dans lequel nous vivons comme étant toûjours froid, respectivement à ce que nous en sentons : ce rapport est variable, selon que ce froid s’approche ou s’éloigne plus ou moins de la chaleur animale, non-seulement pour les hommes en général, mais encore pour chacun en particulier, selon la différence du tempérament & de l’âge, à-proportion de l’intensité ou de la foiblesse de cette chaleur naturelle, dans la latitude des limites auxquelles on vient de dire qu’elle s’étend en plus ou moins : de même tous les corps dans lesquels l’action du feu peut faire monter le thermometre à un degré quelconque supérieur à ceux de la chaleur humaine, sont constamment regardés comme chauds, à-proportion de l’excès de cette action en eux sur celle qui a lieu dans nos corps : telle est l’idée que l’on peut donner en général des qualités des corps, que nous distinguons en chauds & en froids, relativement à nos sensations à cet égard.

Ainsi nous attachons toûjours l’idée d’un sentiment de froideur ou de fraîcheur à l’impression que nous sommes susceptibles de recevoir de l’application, à la surface de notre corps, de l’air renouvellé & de l’eau laissés à leur température naturelle, selon que cette température est plus ou moins éloignée de la nôtre ; ce qui fait que l’air agité par le vent, par un éventail, nous paroît froid ou frais ; que l’on trouve plus de fraîcheur en été, en se baignant dans l’eau courante ; parce que ces fluides, par le changement qui se fait continuellement de leur masse autour de notre corps, y sont toûjours appliqués avec leur propre température, & ne le sont pas assez pour participer à l’excès de chaleur de la nôtre sur la leur : il en est de même de tous les corps, qui n’ont d’autre chaleur que celle du milieu, dans lequel ils sont contenus ; ils sont réellement tous froids, c’est-à-dire moins chauds que notre corps dans son état naturel : ainsi ils nous paroissent tous en général être froids au toucher ; & ce froid est au même degré dans tous, quoiqu’il nous paroisse plus ou moins sensible, comme dans les métaux, le marbre comparé au bois & à d’autres corps. Cette différence ne vient que du plus ou moins de facilité avec laquelle notre propre chaleur se communique aux corps que nous touchons : ainsi les plus denses s’échauffent plus difficilement ; ils doivent donc nous paroître plus froids, parce qu’ils résistent, pour ainsi dire, plus long-tems à devenir chauds : la durée de la disposition à procurer la sensation du froid, nous semble être son intensité, respectivement aux corps moins denses, qui participent plus promptement à la chaleur que nous leur communiquons en les touchant, & dont le froid cesse sitôt qu’il ne nous donne pas, pour ainsi dire, le tems de le sentir, & de nous appercevoir qu’ils ont moins de chaleur que notre corps.

Cette différence de l’impression plus ou moins froide, que font sur nous ces différens corps, ne doit effectivement être attribuée qu’à cette cause ; puisque par le thermometre, on leur trouve la même température, & que c’est une chose démontrée, qu’il n’est aucun corps dans la nature qui ait plus de chaleur par lui-même qu’un autre, dans le même milieu ; une pierre à feu n’a pas plus de chaleur par elle-même, qu’un morceau de glace ; & les corps mêmes des animaux chauds, n’ont après leur mort pas plus de chaleur que tous les corps inanimés qui les environnent, à-moins que ce ne soit par l’effet de la putréfaction, ainsi qu’il arrive au foin, qui est susceptible, par les différens mouvemens intestins qui peuvent s’exciter dans sa substance, de devenir plus chaud que le milieu dans lequel il se trouve : de même l’efferves-

cence chimique fait naître de la chaleur dans l’union, le mélange de certains corps, par le rapport qu’il y a entre eux, qui séparément n’auroient que la chaleur de tous les autres corps ambians inanimés.

Il suit encore de ce qui a été établi précédemment, que nous pouvons même, sans qu’un corps change de milieu, & avec une température constamment la même, juger différemment relativement au chaud & au froid dont ce corps peut exciter en nous la sensation ; ce qu’on ne doit attribuer qu’à la différente disposition de l’organe de nos sensations. Qu’on expose en hyver une main à l’air jusqu’à ce qu’elle soit froide ; qu’on chauffe l’autre main au feu, & qu’on ait alors un pot rempli d’eau tiede : aussi-tôt qu’on plongera la main chaude dans cette eau, on dira qu’elle est froide, respectivement au degré de chaleur qu’on sent dans cette main ; qu’on plonge, après cela la main froide dans la même eau, & on jugera qu’elle est chaude, parce qu’elle a en effet plus de chaleur que cette main n’en sentoit avant d’être plongée. Voyez à ce sujet les essais de Physique de Musschenbroeck.

Nous ne jugeons donc pas, suivant la véritable disposition des corps qui sont hors de nous, à l’égard du chaud ou du froid, mais suivant que ces corps sont actuellement exposés à l’action du feu comparée avec celle qui a lieu dans notre corps, dont les organes sensitifs portent continuellement à l’ame les impressions qu’ils reçoivent, par l’effet de la chaleur vitale jointe à celle du milieu, dans lequel nous nous trouvons ; ensorte que l’ame porte ensuite son jugement par comparaison des corps plus ou moins chauds, que celui auquel elle se trouve unie.

C’est ainsi que l’on peut rendre raison pourquoi les caves nous paroissent froides en été & chaudes en hyver. Si l’on suspend un thermometre dans une cave assez profonde, pendant toute une année, on trouvera que la cave est plus chaude en été qu’en hyver ; mais qu’il n’y a pas une grande différence du plus grand chaud au plus grand froid qu’on y peut observer. Il paroît par-là que quoique les caves nous semblent être plus froides en été, elles ne le sont pourtant pas, & que cette apparence est trompeuse. Voici ce qui donne lieu à ce phénomene.

En été, notre corps se trouvant exposé au grand air, notre chaleur étant toûjours de 94 à 98 degrés, la chaleur du grand air est alors dans les climats tempérés de 80 à 90 degrés ; au lieu que l’air qui se trouve dans ce tems-là renfermé dans les caves, n’a qu’une chaleur de 45 à 50 degrés ; de sorte qu’il a beaucoup moins de chaleur que notre corps & que l’air extérieur : ainsi dès qu’on entre dans une cave, lorsqu’on a fort chaud, on y rencontre un air que l’on sent très-froid, en comparaison de l’air extérieur, qui est presque aussi chaud qu’on l’est soi-même en hyver ; au contraire, lorsqu’il gele, le froid de l’air extérieur peut augmenter depuis le trente-deuxieme degré du thermometre de Farenheit, jusqu’à zéro, tandis que la température de la cave reste encore à 43 degrés : ainsi nous trouvant exposés dans ce tems-là à l’air froid extérieur, qui fait sur notre corps une impression proportionnée, & qui le refroidit en effet, nous n’entrons pas plûtôt dans une cave, que nous trouvons chaud l’air qui nous avoit paru froid en été, lorsque la température y étoit à-peu-près la même : ce qui arrive donc par la différente disposition avec laquelle nous y entrons : d’où il résulte, que nous ne pouvons pas savoir ni juger, par la seule impression que l’air fait sur nous dans la cave, relativement au plus ou au moins de feu qu’il contient, s’il y en a effectivement davantage, ou pour mieux dire, s’il est plus en action en été qu’en hyver. Ce n’est qu’à l’aide du thermometre, que nous pouvons être assûrés qu’il y a plus de chaleur dans les