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chair ; quoiqu’elles en soient d’abord fort inquiétées, la pudeur les retient pendant quelque tems ; elles tâchent de ne pas manifester le sentiment honteux qui les occupe fortement ; elles sont alors d’une humeur sombre, taciturne, triste ; & il leur échappe de tems en tems des soupirs, des regards lascifs, sur-tout lorsqu’il se présente à elles des hommes, ou que l’on tient quelque propos qui a rapport aux plaisirs de l’amour ; elles rougissent, leur visage s’allume ; & si on leur touche le pouls dans ce tems-là, on le trouve plus agité, ainsi qu’il arrive dans la passion érotique. Voyez Erotique. Galien assûre qu’il n’a jamais été trompé à employer ce moyen, lorsqu’il a eu à découvrir les maladies causées par les desirs vénériens. Après ces premiers symptomes, lorsque le mal augmente, les personnes affectées paroissent perdre peu-à-peu toute pudeur ; elles deviennent babillardes ; elles ne cachent plus l’inclination qu’elles ont à s’entretenir, à jaser sur les plaisirs de l’amour ; elles s’emportent facilement contre les personnes qui les contrarient, qui tâchent de les contenir ; elles se livrent aussi quelquefois sans sujet à des accès de colere dangereuse ; elles paroissent violemment agitées ; elles font de grands cris mêlés d’éclats de rire, & passent subitement à donner des marques de chagrin, de douleur, à répandre des larmes, jusqu’à paroître desolées, desespérées ; ce qui dure peu, pour passer à un état opposé.

Enfin ces malheureuses en viennent à ne garder plus aucune mesure, à demander, à rechercher ce qui peut les satisfaire, à témoigner leur desir par les propos, les invitations, les gestes, & à se livrer pour cet effet au premier venu, s’il se trouve quelqu’un qui veuille s’y prêter ; elles ne se contentent pas de peu ; elles ne font souvent qu’irriter leur desir par ce qui sembleroit devoir suffire pour les assouvir ; ce qui a lieu surtout dans les cas où la cause n’a pas son siége dans les parties génitales, où elle n’est pas par conséquent de nature à cesser par les effets des actes vénériens, où en un mot elle dépend absolument du dérangement du cerveau, parce qu’il n’est pas susceptible d’être corrigé par le remede ordinaire de l’amour, qui est la joüissance : au contraire ce vice en devient toûjours plus considérable, attendu que l’érétisme des fibres nerveuses & l’orgasme doivent nécessairement augmenter de plus en plus par cet effet, & par conséquent l’idée de desir qui est attachée à cet état doit être de plus en plus forte & violente. C’étoit sans doute par l’effet d’un délire de cette espece porté à cet excès, que Messaline étoit plûtôt fatiguée, lassée, que rassasiée des plaisirs grossiers auxquels elle se prostituoit sans mesure avec la plus infame brutalité. Ce ne peut être aussi vraissemblablement que par cause de maladie, que Sémiramis, cette reine des Assyriens, après s’être rendue digne des plus grands éloges, tomba dans la plus honteuse & la plus excessive dissolution, jusqu’à se livrer à un grand nombre de ses soldats, qu’elle faisoit après cela périr par les moyens les plus cruels. Martial fait mention des énormes débauches d’une Cœlia, qui ne pouvoient être aussi, selon toute apparence, que l’effet d’une fureur utérine, puisqu’elle n’étoit pas une prostituée de profession ; autrement il n’y auroit rien eu de remarquable dans ses excès. Ce poëte en parle ainsi, Ep. lib. VII.

Das Cattis, das Germanis, das Cœlia Dacis,
Nec Cilicum spernis,
&c.

Le peu d’exemples que l’on peut citer de personnes atteintes de cette maladie, prouve qu’elle n’a par conséquent jamais été bien commune ; & elle est devenue toûjours plus rare, à mesure que les mœurs sont devenues plus séveres sur le commerce entre

les deux sexes, parce qu’il en résulte moins de causes occasionnelles ; mais elle se présente encore quelquefois. Il est peu d’auteurs qui ayant été grands praticiens, n’ayent eu quelques observations autoptiques à rapporter à ce sujet, avec différentes circonstances : M. de Buffon, sans être medecin (hist. nat. tom. IV. de la puberté), dit avoir eu occasion d’en voir un exemple dans une jeune fille de douze ans, très-brune, d’un teint vif & fort coloré, d’une petite taille, mais déjà formée avec de la gorge & de l’embonpoint : elle faisoit les actions les plus indécentes au seul aspect d’un homme ; rien n’étoit capable de l’en empêcher, ni la présence de sa mere, ni les remontrances, ni les châtimens : elle ne perdoit cependant pas totalement la raison ; & ses accès, qui étoient marqués au point d’en être affreux, cessoient dans le moment qu’elle demeuroit seule avec des femmes. Aristote prétend que c’est à cet âge que l’irritation est la plus grande, & qu’il faut garder le plus soigneusement les filles. Cela peut être vrai pour le climat où il vivoit : mais il paroît que dans les pays froids le tempérament des femmes ne commence à prendre de l’ardeur que beaucoup plûtard.

On observe en général que les jeunes personnes sont plus sujettes à la fureur utérine, que celles d’un âge avancé. Mais les filles brunes de bonne santé, d’une forte complexion, qui sont vierges, sur-tout celles qui sont d’état à ne pouvoir pas cesser de l’être ; les jeunes veuves qui réunissent les trois premieres de ces qualités ; les femmes de même qui ont des maris peu vigoureux, ont plus de disposition à cette maladie que les autres personnes du sexe : on peut cependant assûrer que le tempérament opposé est infiniment plus commun parmi les femmes, dont la plûpart sont naturellement froides, ou tout-au-moins fort tranquilles sur le physique de la passion qui tend à l’union des corps entre les deux sexes.

La fureur utérine est susceptible d’une guérison facile à procurer, si on y apporte remede dès qu’elle commence à se montrer, & sur-tout avant qu’elle ait dégénéré en une manie continuelle : car lorsqu’elle est parvenue à ce degré, il est arrivé quelquefois que le mariage même ne la calme point. Il y a des exemples de femmes qui sont mortes de cette maladie : cependant dans le cas même où elle est dans toute sa force, on est fondé à en attendre la cessation ; il y a même lieu de la regarder comme prochaine, lorsque les accès sont moins longs, que les intervalles deviennent plus considérables, & que l’on peut parler des plaisirs vénériens, sans que la malade paroisse en être aussi affectée, aussi portée à s’occuper de l’objet de son délire qu’auparavant. On doit être prompt à empêcher les progrès de cette maladie naissante, d’autant plus qu’elle peut non seulement avoir les suites les plus fâcheuses pour la personne qui en est affectée, mais encore elle établit un préjugé deshonorant à l’égard de la famille à qui elle appartient ; préjugé toûjours injuste, s’il n’y a point de reproche à faire aux parens concernant l’éducation & les soins qu’ils ont dû prendre de la conduite de la malade, qui d’ailleurs avec toute la vertu possible, peut être tombée dans le cas de paroître en avoir secoué entierement le joug, parce que l’ame ne se commande pas toûjours elle-même, parce que les sens lui ravissent quelquefois tout son empire, & qu’elle est réduite alors à n’être que leur esclave.

Les indications à remplir dans le traitement de la fureur utérine, doivent être tirées de la nature bien connue de la cause prochaine qui produit cette maladie, jointe à celle de ses causes éloignées, de ses causes occasionnelles, & du tempérament de la personne affectée.