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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/517

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nos parties soient exposées à un froid trop vif, pour que les liqueurs s’arrêtent. Les repercussifs employés indiscretement sur une partie enflammée, y causent la gangrene. Plusieurs personnes ont été attaquées d’une esquinancie gangreneuse, pour avoir bû de l’eau fraîche étant fort échauffées. Ambroise Paré rapporte qu’il a vû un si grand froid, que des malades couchés à l’Hôtel-Dieu eurent le nez mortifié sans aucune pourriture. Il le coupa à quatre, deux guérirent. Ce n’étoit point l’amputation de la partie gelée qu’il falloit faire dans ce cas ; il falloit avoir recours à l’expédient dont se servent les habitans des pays septentrionaux, où ces sortes de maux sont assez fréquens. Fabrice de Hilden dit qu’en retournant le soir à leur maison, ils se frottent d’abord les mains de neige, les extrémités du nez & les oreilles, avant que d’approcher du feu ; s’ils se chauffoient sans cette précaution, les parties saisies du froid tomberoient en pourriture. C’est ce qu’on voit arriver aux pommes gelées ; si on les approche du feu & qu’on les laisse geler une seconde fois, elles perdent tout leur goût & se corrompent bien-tôt : si au contraire on les plonge à plusieurs reprises dans de l’eau très froide, étant ensuite bien essuyées & bien séchées, elles jouissent encore de leur premiere saveur, & peuvent être long-tems conservées. L’application de la neige ou de l’eau froide fait sortir les particules frigorifiques que la chaleur mettroit en mouvement, & qui détruiroit par-là le tissu des vaisseaux de la partie dans laquelle elles ont pénétré.

Fabrice de Hilden raconte qu’un voyageur qui étoit tombé roide de froid dans un chemin, ayant été porté à une hôtellerie comme un homme presque mort, fut sur le champ plongé par l’aubergiste dans de l’eau froide. Ayant après cela avalé un grand verre d’hydromel, avec de la canelle, du maïs & du gérofle, réduits en poudre, on le mit au lit pour provoquer la sueur. Il recouvra la santé, ayant cependant perdu les dernieres phalanges des piés & des mains. On peut donc espérer de revivifier une partie actuellement saisie de froid ; & l’expérience a découvert une voie à laquelle la théorie n’auroit peut-être jamais conduit. Suivant le grand axiome que les maladies guérissent par leur contraire, la chaleur auroit paru seule capable de dissiper un mal que produit un froid actuel : mais toutes les voies de la circulation étant fermées, la raréfaction des sucs retenus trop étroitement romproit les vaisseaux, & feroit périr la partie qu’on voudroit dégeler, avant que les sucs fussent en état de passer librement dans les vaisseaux voisins.

La brûlure un peu profonde attire une inflammation fort vive autour des parties que le feu a détruites, & un engorgement, que le défaut d’action dans les solides ne peut pas faire suppurer. Les sucs arrêtés se dépravent, & deviennent sort susceptibles de pourriture. Il faut dans ce cas, à raison de la vive douleur, joindre aux remedes adoucissans des anodyns volatils & un peu actifs, comme le camphre, les fleurs de sureau. Les oignons cuits corrigent la suppuration putride ; l’esprit-de-vin est employé utilement pour résister à la pourriture. On suit d’ailleurs dans ces cas les indications générales, qui sont de faire dégorger par les scarifications, les sucs arrêtés dans les chairs mortes, ou prêtes à tomber en mortification ; de procurer la séparation des escarres, en excitant une suppuration purulente dans les chairs vives.

La pourriture qui précede la gangrene humide, en est la principale cause. Lorsqu’elle vient de la dissolution putride de la masse des humeurs, les malades périssent en peu de jours. Les sucs vicieux & putrides que fournissent les vieux ulceres cacoethes, sont aussi une cause de gangrene, qu’on reprime par des

détersifs irritans, lorsqu’ils dependent du vice local. L’eau phagedénique, l’ægyptiac, le sublimé corrosif, détruisent les chairs gangrenées. Les anciens avoient recours au feu pour cautériser les mauvaises chairs.

Les ulceres scorbutiques sont fort sujets à la gangrene. Les remedes anti-scorbutiques doivent être pris intérieurement pour corriger le vice de la masse du sang ; & l’on panse aussi avec grand succès les ulceres, dont on touche les chairs gangreneuses avec l’esprit ardent des plantes anti-scorbutiques, & les couvrant ensuite de remedes anti-putrides ordinaires.

Nous parlerons des hernies avec gangrene au mot Hernie.

La gangrene seche est celle qui n’est point accompagnée d’engorgement, & qui est suivie d’un desséchement, qui préserve la partie morte de tomber en dissolution putride ; la partie commence à devenir froide ; la chaleur cesse avec le jeu des arteres ; ces vaisseaux se resserrent par leur propre ressort ; les chairs mortifiées deviennent plus fermes, plus coriaces, & plus difficiles à couper que les chairs vives. Les parties sont mortes bien auparavant qu’elles ne se dessechent. J’ai vû emporter plusieurs membres beaucoup plus haut que ce qui en paroissoit gangrené. Les malades ne sentoient rien ; les chairs étoient sans pourriture, comme celles d’un homme récemment mort ; il ne sortit qu’un peu de sang noirâtre. Les malades éprouvent quelquefois un sentiment de chaleur brûlante, quoique la partie soit actuellement froide ; quelquefois ils sentent un froid très-douloureux ; & il y a des gangrenes seches qui s’emparent d’une partie sans y causer de douleur. Les malades s’apperçoivent seulement d’un sentiment de pesanteur & d’engourdissement. Cette maladie peut venir de la paralysie des arteres. M. Boerhaave parle d’un jeune homme qui avoit eu l’artere axillaire coupée. Son bras étoit devenu sec & aride, ensorte qu’il étoit en tout semblable à une momie d’Egypte.

Le progrès des gangrenes seches est ordinairement fort lent : quelquefois il est très-rapide. Il y a des gangrenes seches critiques ; elles sont salutaires, lorsqu’elles se placent avantageusement & qu’elles ne s’étendent pas trop ; car il est impossible d’en arrêter le progrès. L’amputation ne peut avoir lieu qu’après que toute la cause morbifique est déposée, que la mortification s’est fixée, & qu’on en connoît manifestement les bornes.

Parmi les causes qui éteignent l’action organique des vaisseaux artériels, & qui par cette extinction causent ensuite la perte de la partie, il y en a qui s’introduisent par la voie des alimens ; tel est l’usage du blé ergoté : le virus vénérien & le scorbutique produisent assez souvent de pareilles gangrenes. Les causes des maladies aiguës en se portant sur une partie, peuvent la faire tomber subitement en mortification, sans y causer aucun engorgement ni inflammation précédente.

Cette maladie présente trois indications générales : prévenir le mal, en arrêter les accidens, le guérir lorsqu’il est arrivé.

L’épuisement & la caducité qui donnent lieu à cette maladie dans les vieillards, n’empruntent de la Medecine que quelques remedes fortifians, presque toûjours assez inutiles. On peut opposer au vice vénérien le spécifique connu, & l’on peut combattre avec avantage les causes qui dépendent de tout autre vice humoral, qui éteint immédiatement l’action organique des vaisseaux artériels d’une partie ; j’entends parler de l’usage du quinquina. Des auteurs respectables assûrent que les essais qu’on a faits en France de ce remede, n’ont que confirmé les