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par rapport aux noms, les genres ne sont que les différentes classes dans lesquelles on les a rangés assez arbitrairement, pour servir à déterminer le choix des terminaisons des mots qui ont avec eux un rapport d’identité ; & dans les mots qui ont avec eux ce rapport d’identité, les genres sont les diverses terminaisons qu’ils prennent dans le discours relativement à la classe des noms leurs corrélatifs. Ainsi parce qu’il a plu à l’usage de la langue latine, que le nom vir fût du genre masculin, que le nom mulier fût du genre féminin, & que le nom carmen fût du genre neutre ; il faut que l’adjectif prenne avec le premier la terminaison masculine, vir pius ; avec le second, la terminaison féminine, mulier pia ; & avec le troisieme, la terminaison neutre, carmen pium : pius, pia, pium, c’est le même mot sous trois terminaisons différentes, parce que c’est la même idée rapportée à des objets dont les noms sont de trois genres différens.

Il nous semble que cette distinction des noms & des adjectifs est absolument nécessaire pour bien établir la nature & l’usage des genres : mais cette nécessité ne prouve-t-elle pas que les noms & les adjectifs sont deux especes de mots, deux parties d’oraison réellement différentes ? M. l’abbé Fromant, dans son supplément aux ch. ij. iij. & jv. de la II. partie de la Grammaire générale, décide nettement contre M. l’abbé Girard, que faire du substantif & de l’adjectif deux parties d’oraison différentes, ce n’est pas là poser de vrais principes. Ce n’est pas ici le lieu de justifier ce système ; mais nous ferons observer à M. Fromant, que M. du Marsais lui-même, dont il paroît admettre la doctrine sur les genres, a été contraint, comme nous, de distinguer entre substantif & adjectif, pour poser de vrais principes, au-moins à cet égard. On ne manquera pas de répliquer que les substantifs & les adjectifs étant deux especes différentes de noms, il n’est pas surprenant qu’on distingue les uns des autres ; mais que cette distinction ne prouve point que ce soient deux parties d’oraison différentes. « Car, dit M. Fromant, comme tout adjectif uniquement employé pour qualifier, est nécessairement uni à son substantif, pour ne faire avec lui qu’un seul & même sujet du verbe, ou qu’un seul & même régime, soit du verbe soit de la préposition : comme on ne conçoit pas qu’une substance puisse exister dans la nature sans être revêtue d’un mode ou d’une propriété : comme la propriété est ce qui est conçû dans la substance, ce qui ne peut subsister sans elle, ce qui la détermine à être d’une certaine façon, ce qui la fait nommer telle ; un grammairien vraiment logicien voit que l’adjectif n’est qu’une même chose avec le substantif ; que par conséquent ils ne doivent faire qu’une même partie d’oraison ; que le nom est un mot générique qui a sous lui deux sortes de noms, savoir le substantif & l’adjectif ».

Un logicien attentif doit voir & avoüer toutes les conséquences de ses principes ; mettons donc à l’épreuve la fécondité de celui qu’on avance ici. Tout verbe est nécessairement uni à son sujet, pour ne faire avec lui qu’un seul & même tout ; il exprime une propriété que l’on conçoit dans le sujet, qui ne peut subsister sans le sujet, qui détermine le sujet à être d’une certaine façon, & qui le fait nommer tel : un grammairien vraiment logicien doit donc voir que le verbe n’est qu’une même chose avec le sujet. On l’a vû en effet, puisque l’un est toûjours en concordance avec l’autre, & sur le même principe qui fonde la concordance de l’adjectif avec le substantif, le principe même d’identité approuvé par M. Fromant : le verbe & le substantif ne doivent donc faire aussi qu’une même partie d’oraison. Conséquence absurde qui dévoile ou la fausseté ou l’abus du principe d’où elle est déduite ; mais elle en est déduite par les mêmes voies que

celle à laquelle nous l’opposons, pour détruire, ou du-moins pour contre-balancer l’une par l’autre ; ce qui suffit actuellement pour la justification du parti que nous avons pris sur les genres. Nous renverrons à l’article Nom, les éclaircissemens nécessaires à la distinction des noms & des adjectifs. Reprenons notre matiere.

C’est à la grammaire particuliere de chaque langue, à faire connoître les terminaisons que le bon usage donne aux adjectifs, relativement aux genres des noms leurs corrélatifs ; & c’est de l’habitude constante de parler une langue qu’il faut attendre la connoissance sûre des genres auxquels elle rapporte les noms mêmes. Le plan qui nous est prescrit ne nous permet aucun détail sur ces deux objets. Cependant M. du Marsais a donné de bonnes observations sur les genres des adjectifs. Voyez Adjectif. Nous allons seulement faire quelques remarques générales sur les genres des noms & des pronoms.

Parmi les différens noms qui expriment des animaux ou des êtres inanimés, il y en a un très-grand nombre qui sont d’un genre déterminé : entre les noms des animaux, il s’en trouve quelques-uns qui sont du genre commun d’autres qui sont du genre épicene : & parmi les noms des êtres inanimés, quelques-uns sont douteux, & quelques autres hétérogenes. Voilà autant de termes qu’il convient d’expliquer ici pour faciliter l’intelligence des grammaires particulieres où ils sont employés.

I. Les noms d’un genre déterminé sont ceux qui sont fixés déterminément & immuablement, ou au genre masculin, comme pater & oculus, ou au genre féminin, comme soror & mensa, ou au genre neutre, comme mare & templum.

II. A l’égard des noms d’hommes & d’animaux, la justesse & l’analogie exigeroient que le rapport réel au sexe fût toûjours caractérisé ou par des mots différens, comme en latin aries & ovis, & en françois bélier & brebis ; ou par les différentes terminaisons d’un même mot, comme en latin lupus & lupa, & en françois loup & louve. Cependant on trouve dans toutes les langues des noms, qui, sous la même terminaison, expriment tantôt le mâle & tantôt la femelle, & sont en conséquence tantôt du genre masculin, & tantôt du genre féminin : ce sont ceux-là que l’on dit être du genre commun, parce que ce sont des expressions communes aux deux sexes & aux deux genres. Tels sont en latin bos, sus, &c. on trouve bos mactatus & bos nata, sus immundus & sus pigra ; tel est en françois le nom enfant, puisqu’on dit en parlant d’un garçon, le bel enfant ; & en parlant d’une fille, la belle enfant, ma chere enfant.

On voit donc que quand on employe ces noms pour désigner le mâle, l’adjectif corrélatif prend la terminaison masculine ; & que quand on indique la femelle, l’adjectif prend la terminaison féminine : mais la précision qu’il semble qu’on ait envisagée dans l’institution des genres n’auroit elle pas été plus grande encore, si on avoit donné aux adjectifs une terminaison relative au genre commun pour les occasions où l’on auroit indiqué l’espece sans attention au sexe, comme quand on dit l’homme est mortel ? Il ne s’agit ici ni du mâle ni de la femelle exclusivement, les deux sexes y sont compris.

III. Il y a des noms qui sont invariablement du même genre, & qui gardent constamment la même terminaison, quoiqu’on les employe pour exprimer les individus des deux sexes. C’est une autre espece d’irrégularité, opposée encore à la précision qui a donné naissance à la distinction des genres ; & cette irrégularité vient apparemment de ce que les caracteres du sexe n’étant pas, ou étant peu sensibles dans plusieurs animaux, on a décidé les genre de leurs noms, ou par un pur caprice, ou par quelque raison