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chaque genre d’écrire a son style propre en prose & en vers. On sait assez que le style de l’histoire n’est point celui d’une oraison funebre ; qu’une dépêche d’ambassadeur ne doit point être écrite comme un sermon ; que la comédie ne doit point se servir des tours hardis de l’ode, des expressions pathétiques de la tragédie, ni des métaphores & des comparaisons de l’épopée.

Chaque genre a ses nuances différentes ; on peut au fond les réduire à deux, le simple & le relevé. Ces deux genres qui en embrassent tant d’autres ont des beautés nécessaires qui leur sont également communes ; ces beautés sont la justesse des idées, leur convenance, l’élégance, la propriété des expressions, la pureté du langage ; tout écrit, de quelque nature qu’il soit, exige ces qualités. Les différences consistent dans les idées propres à chaque sujet, dans les figures, dans les tropes ; ainsi un personnage de comédie n’aura ni idées sublimes ni idées philosophiques, un berger n’aura point les idées d’un conquérant, une épitre didactique ne respirera point la passion ; & dans aucun de ces écrits on n’employera ni métaphores hardies, ni exclamations pathétiques, ni expressions véhémentes.

Entre le simple & le sublime il y a plusieurs nuances ; & c’est l’art de les assortir qui contribue à la perfection de l’éloquence & de la poésie : c’est par cet art que Virgile s’est élevé quelquefois dans l’églogue ; ce vers

Ut vidi ! ut perii ! ut me malus abstulit error !


seroit aussi beau dans la bouche de Didon que dans celle d’un berger ; parce qu’il est naturel, vrai & élégant, & que le sentiment qu’il renferme convient à toutes sortes d’états. Mais ce vers

Castaneæque nuces mea quas Amarillis amabat.


ne conviendroit pas à un personnage héroïque, parce qu’il a pour objet une chose trop petite pour un héros.

Nous n’entendons point par petit ce qui est bas & grossier ; car le bas & le grossier n’est point un genre, c’est un défaut.

Ces deux exemples font voir évidemment dans quel cas on doit se permettre le mélange des styles, & quand on doit se le défendre. La tragédie peut s’abaisser, elle le doit même ; la simplicité releve souvent la grandeur selon le précepte d’Horace.

Et tragicus plerumque dolet sermone pedestri.

Ainsi ces deux beaux vers de Titus si naturels & si tendres,

Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois,
Et crois toûjours la voir pour la premiere fois.


ne seroient point du tout déplacés dans le haut comique.

Mais ce vers d’Antiochus

Dans l’orient desert quel devint mon ennui !


ne pourroit convenir à un amant dans une comédie, parce que cette belle expression figurée dans l’orient desert, est d’un genre trop relevé pour la simplicité des brodequins.

Le défaut le plus condamnable & le plus ordinaire dans le mélange des styles, est celui de défigurer les sujets les plus sérieux en croyant les égayer par les plaisanteries de la conversation familiere.

Nous avons remarqué déjà au mot Esprit, qu’un auteur qui a écrit sur la Physique, & qui prétend qu’il y a eu un Hercule physicien, ajoûte qu’on ne pouvoit résister à un philosophe de cette force. Un autre qui vient d’écrire un petit livre (lequel il suppose être physique & moral) contre l’utilité de l’inoculation, dit que si on met en usage la petite vérole artificielle, la mort sera bien attrapée.

Ce défaut vient d’une affectation ridicule ; il en est un autre qui n’est que l’effet de la négligence, c’est de mêler au style simple & noble qu’exige l’histoire, ces termes populaires, ces expressions triviales que la bienséance réprouve. On trouve trop souvent dans Mezeray, & même dans Daniel qui ayant écrit long-tems après lui, devroit être plus correct ; qu’un général sur ces entrefaites se mit aux trousses de l’ennemi, qu’il suivit sa pointe, qu’il le battit à plate couture. On ne voit point de pareilles bassesses de style dans Tite-Live, dans Tacite, dans Guichardin, dans Clarendon.

Remarquons ici qu’un auteur qui s’est fait un genre de style, peut rarement le changer quand il change d’objet. La Fontaine dans ses opéra employe ce même genre qui lui est si naturel dans ses contes & dans ses fables. Benserade mit dans sa traduction des métamorphoses d’Ovide, le genre de plaisanterie qui l’avoit fait réussir à la cour dans des madrigaux. La perfection consisteroit à savoir assortir toûjours son style à la matiere qu’on traite ; mais qui peut être le maître de son habitude, & ployer à son gré son génie ? Article de M. de Voltaire.

Genre, en Rhétorique, nom que les rhéteurs donnent aux classes générales auxquelles on peut rapporter toutes les différentes especes de discours ; ils distinguent trois genres, le démonstratif, le délibératif, & le judiciaire.

Le genre démonstratif a pour objet la loüange ou le blâme, ou les sujets purement oratoires ; il renferme les panégyriques, les discours académiques, &c. Voyez Démonstratif. Le délibératif comprend la persuasion & la dissuasion. Il a lieu dans les causes qui regardent les affaires publiques, comme les philippiques de Démosthene, &c. Voy. Délibératif. Le judiciaire roule sur l’accusation ou la demande & la défense. Voyez Judiciaire. (G)

Genre, en Musique. On appelloit genres dans la musique des Grecs, la maniere de partager le tétracorde ou l’étendue de la quarte, c’est-à-dire la maniere d’accorder les quatre cordes qui la composoient.

La bonne constitution de cet accord, c’est-à-dire l’établissement d’un genre régulier, dépendoit des trois regles suivantes que je tire d’Aristoxene ; la premiere étoit que les deux cordes extrèmes du tétracorde devoient toûjours rester immobiles, afin que leur intervalle fût toûjours celui d’une quarte juste ou du diatessaron. Quant aux deux cordes moyennes, elles varioient à la vérité ; mais l’intervalle du lichanos à la mése (voyez ces mots) ne devoit jamais passer deux tons, ni diminuer au-delà d’un ton ; de sorte qu’on avoit précisément l’espace d’un ton pour varier l’accord de lichanos, & c’est la seconde regle. La troisieme étoit que l’intervalle de la parhypate ou seconde corde à l’hypate, ne passât jamais celui de la même parhypate au lichanos.

Comme en général cet accord pouvoit se diversifier de trois façons, cela constituoit trois principaux genres, qui étoient le diatonique, le chromatique & l’enharmonique ; & ces deux derniers genres où les deux premiers intervalles du tétracorde faisoient toûjours ensemble une somme moindre que le troisieme intervalle, s’appelloient à cause de cela genres épais ou denses. Voyez Epais.

Dans e diatonique la modulation précédoit par un semi-ton, un ton & un autre ton, mi, fa, sol, la ; & comme les tons y dominoient, de-là lui venoit son nom. Le chromatique procédoit par deux semi-tons consécutifs, & une tierce mineure ou un ton & demi, mi, fa, fa diése, la. Cette modulation tenoit le milieu entre celles du diatonique & de l’enharmonique, y faisant pour ainsi dire sentir diverses nuances de sons, de même qu’entre deux couleurs principales on introduit plusieurs nuances intermé-