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à la mesure du parallelépipede rectangle ; la seule difficulté se réduira à prouver qu’une pyramide est le tiers d’un parallelépipede de même base & de même hauteur. Pour cela on fera voir d’abord, ce qui est très-facile par la méthode d’exhaustion, que les pyramides de même base & de même hauteur sont égales ; ensuite, ce qui se peut faire de différentes manieres, comme on le peut voir dans divers élémens de Géométrie, on prouvera qu’une certaine pyramide déterminée est le tiers d’un prisme de même base & de même hauteur ; & il ne restera plus de difficulté. Par ce moyen on aura la mesure de tous les solides terminés par des figures planes. Il ne restera plus qu’à appliquer à la surface & à la solidité de la sphere les propositions trouvées sur la mesure des surfaces & des solides ; c’est dequoi on viendra aisément à-bout par la méthode d’exhaustion, comme on a fait pour la mesure du cercle ; peut-être même pourroit-on, pour plus d’ordre & de méthode, traiter de la surface sphérique dans la géométrie des surfaces.

Nous ne devons pas oublier ici une observation importante. Le principe de la méthode d’exhaustion est simple (voyez Exhaustion) ; mais son application peut quelquefois rendre les démonstrations longues & compliquées. Ainsi il ne seroit peut-être pas mal-à-propos de substituer le principe des infiniment petits à celui d’exhaustion, après avoir montré l’identité de ces deux principes, & avoir remarqué que le premier n’est qu’une façon abregée d’exprimer le second ; car c’est en effet tout ce qu’il est, n’y ayant dans la nature ni infinis actuels, ni infiniment petits. Voyez Infini, Différentiel, Exhaustion, & Limite. Par ce moyen la facilité des démonstrations sera plus grande, sans que la rigueur y perde rien.

Voilà, ce me semble, le plan qu’on peut suivre en traitant de la géométrie élémentaire. Ce plan, & les réflexions générales que nous avons faites à la fin du mot Élémens des Sciences, suffisent pour faire sentir qu’il n’y a aucun géometre au-dessus d’une pareille entreprise ; qu’elle ne peut même être bien exécutée que par des mathématiciens du premier ordre ; & qu’enfin pour faire d’excellens élémens de Geométrie, Descartes, Newton, Leibnitz, Bernoulli, &c. n’eussent pas été de trop. Cependant il n’y a peut-être pas de science sur laquelle on ait tant multiplié les elémens, sans compter ceux que l’on nous donnera sans doute encore. Ces élémens sont pour la plûpart l’ouvrage de mathématiciens médiocres, dont les connoissances en Géométrie ne vont pas souvent au-delà de leur livre, & qui par cela même sont incapables de bien traiter cette matiere. Ajoûtons qu’il n’y a presque pas d’auteur d’élémens de Géométrie, qui dans sa préface ne dise plus ou moins de mal de tous ceux qui l’ont précéde. Un ouvrage en ce genre, qui seroit au gré de tout le monde, est encore à faire ; mais c’est peut-être une entreprise chimérique que de croire pouvoir faire au gré de tout le monde un pareil ouvrage. Tous ceux qui étudient la Géométrie ne l’étudient pas dans les mêmes vûes : les uns veulent se borner à la pratique ; & pour ceux-là un bon traité de géométrie-pratique suffit, en y joignant, si l’on veut, quelques raisonnemens qui éclairent les opérations jusqu’à un certain point, & qui les empêchent d’être bornées à une aveugle routine : d’autres veulent avoir une teinture de géométrie élémentaire spéculative, sans prétendre pousser cette étude plus loin ; pour ceux-là il n’est pas nécessaire de mettre une si grande rigueur dans les élémens ; on peut supposer comme vraies plusieurs propositions, dont la vérité s’apperçoit assez d’elle-même, & qu’on démontre dans les élémens ordinaires. Il est enfin des étudians qui n’ont pas la

force d’esprit nécessaire pour embrasser à-la-fois les différentes branches d’une démonstration compliquée ; & il faut à ceux-là des démonstrations plus faciles, dûssent-elles être moins rigoureuses. Mais pour les esprits vraiment propres à cette science, pour ceux qui sont destinés à y faire des progrès, nous croyons qu’il n’y a qu’une seule maniere de traiter les élémens ; c’est celle qui joindra la rigueur à la netteté, & qui en même tems mettra sur la voie des découvertes par la maniere dont on y présentera les démonstrations. Pour cela il faut les montrer, autant qu’il est possible, sous la forme de problemes à résoudre plûtôt que de théorèmes à prouver, pourvû que d’un autre côté cette méthode ne nuise point à la généalogie naturelle des idées & des propositions, & qu’elle n’engage pas à supposer comme vrai, ce qui en rigueur géométrique a besoin de preuve.

On a vû au mot Axiome de quelle inutilité ces sortes de principes sont dans toutes les Sciences ; il est donc très-à-propos de les supprimer dans des élémens de Géométrie, quoiqu’il n’y en ait presque point où on ne les voye paroître encore. Quel besoin a-t-on des axiomes sur le tout & sur la partie, pour voir que la moitié d’une ligne est plus petite que la ligne entiere ? A l’égard des définitions, quelque nécessaires qu’elles soient dans un pareil ouvrage, il nous paroît peu philosophique & peu conforme à la marche naturelle de l’esprit de les présenter d’abord brusquement & sans une espece d’analyse ; de dire, par exemple, la surface est l’extrémité d’un corps, laquelle n’a aucune profondeur. Il vaut mieux considérer d’abord le corps tel qu’il est, & montrer comment par des abstractions successives on en vient à le regarder comme simplement étendu & figuré, & par de nouvelles abstractions à y considérer successivement la surface, la ligne, & le point. Ajoûtons ici qu’il se trouve des occasions, sinon dans des élémens, au-moins dans un cours complet de Géométrie, où certaines définitions ne peuvent être bien placées qu’après l’analyse de leur objet. Croit-on, par exemple, qu’une simple définition de l’Algebre en donnera l’idée à celui qui ignore cette science ? Il seroit donc à-propos de commencer un traité d’Algebre par expliquer clairement la marche, suivant laquelle l’esprit est parvenu ou peut parvenir à en trouver les regles ; & on finiroit ainsi l’ouvrage, la science que nous venons d’enseigner est ce qu’on appelle Algebre. Il en est de même de l’application de l’Algebre à la Géométrie, & du calcul différentiel & intégral, dont on ne peut bien saisir la vraie définition, qu’après en avoir compris la métaphysique & l’usage.

Revenons aux élémens de Géométrie. Un inconvénient peut-être plus grand que celui de s’écarter de la rigueur exacte que nous y recommandons, seroit l’entreprise chimérique de vouloir y chercher une rigueur imaginaire. Il faut y supposer l’étendue telle que tous les hommes la conçoivent, sans se mettre en peine des difficultés des sophistes sur l’idée que nous nous en formons, comme on suppose en méchanique le mouvement, sans répondre aux objections de Zenon d’Elée. Il faut supposer par abstraction les surfaces planes & les lignes droites, sans se mettre en peine d’en prouver l’existence, & ne pas imiter un géometre moderne, qui par la seule idée d’un fil tendu croit pouvoir démontrer les propriétés de la ligne droite, indépendamment du plan, & qui ne se permet pas cette hypothèse, qu’on peut imaginer une ligne droite menée d’un point à un autre sur une surface plane ; comme si l’idée d’un fil tendu, pour représenter une ligne droite, étoit plus simple & plus rigoureuse que l’hypothèse en question ; ou plûtôt comme si cette idée n’avoit pas l’in-