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me la supérieure ne peut remonter, parce qu’elle est assujettie par les courroies, il faut que la plaque inférieure s’enfonce & appuie sur les tampons, qui effaceront la cavité de l’artere, de façon que le sang ne pourra en sortir.

Cette compression étant faite, on desserre la pelote qui agit sur le tronc de l’artere, jusqu’à ce qu’on sente le battement au-dessous du point où il étoit comprimé.

A chaque pansement il faut avoir la précaution de tourner la vis du bandage supérieur pour empêcher le cours du sang dans la branche ouverte ; & lorsqu’on a levé & changé l’appareil, & qu’on a suffisamment comprimé l’embouchure du vaisseau, on desserre la pelote qui comprime le tronc de l’artere. C’est ainsi que les fontainiers, lorsqu’ils veulent souder un tuyau de plomb qui est percé, commencent par arrêter l’eau, en fermant un robinet au-dessus de l’endroit percé, afin que le cours de l’eau ne s’oppose point à la réparation du conduit.

Des esprits trop disposés à diminuer le mérite des inventions des autres, ont crû trouver le germe de celle-ci dans l’arsenal de Scultet, où effectivement on voit une machine proposée par cet auteur pour comprimer l’artere radiale, au moyen d’une vis. Mais qu’il y a loin de ce bandage à celui de M. Petit, qui tire un nouvel éclat des circonstances dans lesquelles il a été imaginé ! On avoit coupé la cuisse fort haut à une personne de grande distinction ; la ligature manqua au bout de quelques jours ; les styptiques, les escharrotiques, & la compression ordinaire avoient été sans effet ; le malade périssoit, & l’état du moignon ne permettoit pas qu’on fît de nouvelles tentatives de ligature. La conjoncture étoit très-délicate ; il n’y avoit qu’un instant pour reconnoître l’état des choses, & trouver les moyens d’y remédier. M. Petit fit faire une compression sur l’artere dans l’aine, & plaça à côté du malade un chirurgien qui comprimoit avec l’extrémité du doigt, l’ouverture de l’artere. Il passa la nuit à faire construire le bandage qui remplit les mêmes vûes, & il fut appliqué le lendemain matin avec le succès que M. Petit avoit prévû. Les plus célebres chirurgiens témoins d’une opération qui avoit attiré les yeux de tout Paris, ne purent s’empêcher d’admirer la présence & l’activité de l’esprit de l’auteur. Le malade doit évidemment la vie à ce bandage, fruit d’un génie heureux, & cette cure est sans contredit une de celles qui ont fait le plus d’honneur à la Chirurgie françoise.

Malgré tous les avantages de la compression méthodique imaginée par M. Petit, les chirurgiens s’en tenoient à la pratique de la ligature, lorsqu’en 1750, M. Brossard, chirurgien d’une petite ville de Berry, vint à Paris proposer un topique infaillible pour arrêter le sang des arteres. On lui permit d’en faire l’application dans une opération d’anevrysme faux consécutif, à la suite d’un coup d’épée au bras. Le topique soûtenu par une compression convenable, arrêta fort bien l’hémorrhagie, & le malade guérit sans ligature. Ce fait ne parut pas fort concluant en faveur du topique, à ceux sur-tout qui savoient que quelques années auparavant, on s’étoit dispensé de faire la ligature dans un cas semblable à l’hôpital de la Charité, & que le malade avoit été parfaitement guéri par la seule compression qui avoit été faite sous la direction de M. Petit. On employa le topique en différentes amputations ; & quoiqu’il fût possible d’affoiblir le mérite de ce remede par les heureuses expériences qu’on avoit de la simple compression, on crut devoir acheter le secret du sieur Brossard. C’est une excroissance fongueuse nommée agaric, & dont on fait l’amadoue. Quoique cet agaric croisse sur différens arbres, comme

le chêne, le hêtre, le frêne, le sapin, le bouleau, le noyer, M. Brossard prétend que celui qui vient aux vieux chênes qui ont été ébranchés, est le meilleur. On n’en prend que la substance fongueuse qui prete sous le doigt comme une peau de chamois ; on en fait des morceaux plus ou moins grands que l’on bat avec un marteau pour les amollir, au point d’être aisément dépecés avec les doigts. On doit conserver l’agaric ainsi préparé dans des bocaux de verre, pour que les insectes ne le mettent point en poudre. Dans l’application il faut avoir soin de s’en servir à sec sur l’orifice du vaisseau, & de le soutenir par une compression suffisante. L’agaric se colle par le moyen du sang à la circonférence du vaisseau, & est véritablement un excellent moyen pour arrêter l’hémorrhagie, qui dispensera dans beaucoup de cas, de l’usage de la ligature. Voyez Ligature.

La réputation du nouveau topique a fait rechercher les différens moyens dont on s’étoit servi dans la pratique pour éviter les inconvéniens de la ligature, que toutes les nations n’ont point adoptée aussi généralement qu’on l’a fait en France. Dionis même nous apprend que de son tems les chirurgiens de l’hôtel-Dieu de Paris ne s’en étoient pas encore servi. Van-Horne blâme la ligature des vaisseaux comme un moyen douloureux & cruel. « Nous réussissions bien mieux, dit-il, en nous servant d’une espece de champignon commun dans notre pays (en Hollande) qu’on appelle vesse-de-loup, & vulgairement bovist ». Ce remede est extrèmement recommandé par plusieurs auteurs, tels que Jean Bauhin, Nuck, &c. Verduin qui loue la ligature comme la méthode la plus suivie par les meilleurs praticiens, ajoûte qu’il y en a pourtant encore qui arrêtent le sang avec un bouton de vitriol, ou avec plusieurs morceaux de vesse-de loup, & un autre grand morceau par-dessus ; que ce fongus est un fort bon astringent, & que cette pratique est en usage en Allemagne & en Hollande.

Pierre Borel, medecin du roi à Castres, au milieu du dernier siecle, parle d’un moyen qu’il dit être un secret admirable pour arrêter le sang après l’amputation d’un membre. Un chirurgien de sa connoissance faisoit des petites chevilles d’alun, qu’il noircissoit avec de l’encre pour qu’on ne devinât point son remede. Il mettoit ces especes de tentes dans l’orifice des vaisseaux, & appliquoit par-dessus un appareil convenable. Borel assûre que ce moyen a été constamment suivi du plus grand succès ; il n’y a pas lieu d’en douter ; on pourroit encore s’en servir malgré l’efficacité de l’agaric, que l’expérience a montré n’être pas un moyen infaillible dans tous les cas, & qui n’est pas un moyen nouveau, mais simplement renouvellé. Christophe Encelius dit qu’il n’y a point de moyen qui opere plus promptement pour arrêter toute espece d’hémorrhagie, que la poudre d’uva quercina ; c’est, dit cet auteur, une espece de champignon qui se trouve au pié du chêne.

Je ne crois pas pouvoir mieux terminer cet article, qu’en rapportant la doctrine de Lanfranc, chirurgien de Milan, qui vint à Paris en 1295, & s’y fit admirer par son savoir en Chirurgie, dont il donna des leçons publiques.

On connoîtra, dit Lanfranc, que le sang vient d’une artere, parce qu’il sortira par bonds, suivant la dilatation & la constriction de l’artere. Portez le doigt dans la plaie sur l’orifice du vaisseau, & tenez-l’y pendant une grande heure : il se formera un caillot, & vous appliquerez ensuite avec plus de succès le médicament convenable, qui sera préparé avec deux gros d’encens en poudre & un gros d’aloës ; on en fera une masse en consistance de miel avec du blanc d’œuf, & on y ajoûtera des poils de lievre coupés bien menus. Il n’y a pas de meilleur