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de ces deux intervalles feront entre elles un intervalle qui sera la différence des deux précédens, ou la douzieme partie d’un ton.

5. Cet article me mene à une petite disgression. Les Aristoxeniens prétendoient avoir bien simplifié la Musique par leurs divisions égales des intervalles, & se moquoient fort de tous les calculs de Pythagore. Il me semble cependant que toute cette prétendue simplicité n’étoit guere que dans les mots, & que si les Pythagoriciens avoient un peu mieux entendu leur maître & la Musique, ils auroient bientôt fermé la bouche à leurs adversaires.

Pythagore n’avoit point imaginé les rapports des sons qu’il calcula le premier. Guidé par l’expérience, il ne fit que tenir registre de ses observations. Aristoxène, incommodé de tous ces calculs, bâtit dans sa tête un système tout différent, & comme s’il avoit pu changer la nature à son gré, pour avoir simplifié les mots, il crut avoir simplifié les choses ; mais il n’en étoit pas ainsi. Comme les rapports des consonnances étoient simples, ces deux Philosophes étoient d’accord là-dessus. Ils l’étoient même sur les premieres dissonances, car ils convenoient également que le ton étoit la différence de la quarte à la quinte ; mais comment déterminer déjà cette différence autrement que par le calcul ? Aristoxène partoit pourtant de-là, & sur ce ton, dont il se vantoit d’ignorer le rapport, il bâtissoit, par des additions & des retranchemens, toute sa doctrine musicale. Qu’y avoit-il de plus aisé que de lui montrer la fausseté de ses opérations, & de les comparer avec la justesse de celles de Pythagore ? Mais, auroit-il dit, je prends toujours des doubles, ou des moitiés, ou des tiers, cela est plutôt fait que tous vos comma, vos limma, vos apotomes. Je l’avoue, eût répondu Pythagore ; mais dites-moi, comment les prenez-vous ces moitiés & ces tiers ? L’autre eût répliqué qu’il les entonnoit naturellement, ou qu’il les prenoit sur son monocorde. Hé bien, eût dit Pythagore, entonnez-moi juste le quart d’un ton. Si l’autre eut été assez charlatan pour le faire, Pythagore eût ajoûté, maintenant entonnez-moi le tiers de ce même ton ; puis prouvez-moi que vous avez fait exactement ce que je vous ai démandé : car cela est indispensable pour la pratique de vos genres. Aristoxène l’eût mené apparamment à son monocorde. Si l’autre lui eût encore demandé : mais est-il bien divisé votre monocorde ? montrez moi, je vous prie, de quelle méthode vous vous êtes servi : comment êtes-vous venu à bout d’y prendre le quart ou le tiers d’un ton ? J’avoue qu’il m’est impossible de voir ce qu’il auroit eu à répondre : car de dire que l’instrument avoit été accordé sur la voix, outre que c’eût été faire le cercle vicieux, cela ne pouvoit jamais convenir à Aristoxène, puisque lui & ses sectateurs convenoient qu’il falloit exercer long-tems la voix avec un instrument de la derniere justesse, pour venir à bout de bien entonner les intervalles du chromatique mol, & du genre enharmonique.

Tous les intervalles de Pythagore sont rationnels, & déterminés dans toute leur justesse avec la derniere précision ; mais les moitiés, les tiers & les quarts de ton d’Aristoxene bien examinés, se trouvent être des rapports incommensurables qu’on ne peut déterminer ; des intervalles qu’on ne peut accorder qu’avec le secours de la Géométrie. C’est donc avec raison que sans être dupes des termes spécieux des Aristoxéniens, Nicomaque, Boëce, & plusieurs autres hommes savans en Musique, ont préféré des calculs faciles & justes, à des figures embrouillées & toujours infidelles dans la pratique.

Il faut remarquer que ces raisonnemens qui conviennent à la musique des Grecs, ne serviroient pas également pour la nôtre, parce que tous les sons de

notre système s’accordent par des consonnances, ce qui ne pouvoit se faire également dans le leur, que pour le seul genre diatonique.

Il s’ensuit de tout ceci qu’Aristoxène distinguoit avec raison les intervalles en rationnels & irrationnels, puisque, quoiqu’ils fussent tous rationnels dans le système de Pythagore, la plûpart des dissonances étoient irrationnelles dans le sien.

Dans la musique moderne on considere les intervalles de plusieurs manieres ; savoir, ou généralement comme l’espace ou la distance quelconque des deux sons qui composent l’intervalle, ou seulement comme celles de ces distances qui peuvent se noter, ou enfin comme celles qu’on peut exprimer en notes sur des degrés différens. Selon le premier sens, toute raison numérique ou sourde peut exprimer un intervalle musical. Tel est le comma ; tels seroient les dièses d’Aristoxène. Le second s’applique aux seuls intervalles reçus dans le système de notre musique, dont le moindre est le semi ton mineur, exprime sur le même degré par un diese ou par un bémol. Voyez Semi-ton. Le troisieme sens suppose nécessairement quelque différence de position, c’est-à dire, un ou plusieurs degrés entre les deux sons qui forment l’intervalle. C’est le dernier sens que ce mot reçoit dans la pratique, de sorte que deux intervalles égaux, tels que sont la fausse quinte & le triton, portent pourtant des noms différens, si l’un a plus de degrés que l’autre.

Nous divisons, comme faisoient les anciens, les intervalles en consonnans & dissonans. Les consonnances sont parfaites ou imparfaites. Voyez Consonance. Les dissonances sont telles par leur nature, ou le deviennent par accident. Il n’y a que deux intervalles dissonans par leur nature, savoir la seconde & la septieme, en y comprenant leurs octaves ou repliques ; mais toutes les consonances peuvent devenir dissonances par accident.

De plus, tout intervalle est simple ou redoublé. L’intervalle simple est celui qui est renfermé dans les bornes de l’octave ; tout intervalle qui excede cette étendue, est redoublé, c’est à dire, composé d’une ou plusieurs octaves, & de l’intervalle simple dont il est la replique.

Les intervalles simples se peuvent encore diviser en directs & renversés. Prenez pour direct un intervalle simple quelconque ; son complément à l’octave en est toujours le renversé, & réciproquement.

Il n’y a que six especes d’intervalles simples, dont trois sont les complémens des trois autres à l’octave, & par conséquent aussi leurs renversés. Si vous prenez d’abord les moindres intervalles, vous aurez pour directs la seconde, la tierce & la quarte ; & pour leurs renversemens, la septieme, la sixte & la quinte. Que les derniers soient directs, les autres seront renversés ; tout est réciproque.

Pour trouver le nom d’un intervalle quelconque, il ne faut qu’ajoûter l’unité au nombre des degrés qui le composent ; ainsi l’intervalle d’un degré donnera la seconde, de deux la tierce, de quatre la quinte, de sept l’octave, de neuf la dixieme, &c. Mais ce n’est pas assez pour bien déterminer un intervalle, car sous le même nom il peut être majeur ou mineur, juste ou faux, diminué ou superflu.

Les consonnances imparfaites & les deux dissonances naturelles peuvent être majeures ou mineures, ce qui, sans changer le degré, fait dans l’intervalle la différence d’un semi-ton. Que si d’un intervalle mineur on ôte encore un semi-ton, il devient diminué ; si l’on augmente d’un semi-ton un intervalle majeur, il devient superflu.

Les consonnances parfaites sont invariables par leur nature ; quand leur intervalle est ce qu’il doit être, elles s’appellent justes ; que si l’on vient à alté-