Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traits d’ouvrages trop connus pour avoir besoin d’en nommer les auteurs.

Le premier soin de Lycurgue, & le plus important, fut d’établir un sénat de 28 membres, qui, joints aux deux rois, composoient un conseil de 30 personnes, entre les mains desquels fut déposée la puissance de la mort & de la vie, de l’ignominie & de la gloire des citoyens : On nomma gérontes les 28 sénateurs de Lacédémone ; & Platon dit qu’ils étoient les modérateurs du peuple & de l’autorité royale, tenant l’équilibre entre les uns & les autres, ainsi qu’entre les deux rois, dont l’autorité étoit égale. Voyez Géronte.

Lycurgue, après avoir formé le sénat des personnes les plus capables d’occuper ce poste, & les plus initiées dans la connoissance de ses secrets, ordonna que les places qui viendroient à vaquer fussent remplies d’abord après la mort, & que pour cet effet le peuple éliroit, à la pluralité des suffrages, les plus gens de bien de ceux de Sparte qui auroient atteint 60 ans.

Plutarque vous détaillera la maniere dont se faisoit l’élection. Je dirai seulement qu’on couronnoit sur le champ le nouveau sénateur d’un chapeau de fleurs, & qu’il se rendoit dans les temples, suivi d’une foule de peuple, pour remercier les dieux. A son retour ses parens lui présentoient une collation, en lui disant : la ville t’honore de ce festin. Ensuite il alloit souper dans la salle des repas publics, dont nous parlerons, & on lui donnoit ce jour-là deux portions. Après le repas il en remettoit une à la parente qu’il estimoit davantage, & lui disoit, je vous offre le prix de l’honneur que je viens de recevoir. Alors toutes les parentes & amies la reconduisoient chez elle au milieu des acclamations. des vœux & des bénédictions.

Le peuple tenoit ses assemblées générales & particulieres dans un lieu nud, où il n’y avoit ni statues, ni tableaux, ni lambris, pour que rien ne détournât son attention des sujets qu’il devoit traiter. Tous les habitans de la Laconie assistoient aux assemblées générales, & les seuls citoyens de Sparte composoient les assemblées particulieres. Le droit de publier les assemblées & d’y proposer les matieres, n’appartenoit qu’aux rois & aux gérontes : les éphores l’usurperent ensuite.

On y délibéroit de la paix, de la guerre, des alliances, des grandes affaires de l’état, & de l’élection des magistrats. Après les propositions faites, ceux de l’assemblée qui tenoient une opinion, se rangeoient d’un côté, & ceux de l’opinion contraire se rangeoient de l’autre ; ainsi le grand nombre étant connu, décidoit la contestation.

Le peuple se divisoit en tribus ou lignées ; les principales étoient celles des Heraclides & des Pitanates, dont sortit Ménélas, & celle des Egides, différente de la tribu de ce nom à Athènes.

Les rois des Lacédémoniens s’appelloient archagètes, d’un nom différent de celui que prenoient les autres rois de la Grece, comme pour montrer qu’ils n’étoient que les premiers magistrats à vie de la république, semblables aux deux consuls de Rome. Ils étoient les généraux des armées pendant la guerre ; présidoient aux assemblées, aux sacrifices publics pendant la paix ; pouvoient proposer tout ce qu’ils croyoient avantageux à l’état, & avoient la liberté de dissoudre les assemblées qu’ils avoient convoquées, mais non pas de rien conclure sans le consentement de la nation ; enfin il ne leur étoit pas permis d’épouser une femme étrangere. Xénophon vous instruira de leurs autres prérogatives ; Hérodote & Pausanias vous donneront la liste de leur succession : c’est assez pour moi d’observer, que dans la forme du gouvernement, Lycurgue se pro-

posa de fondre les trois pouvoirs en un seul, pour

qu’ils se servissent l’un à l’autre de balance & de contrepoids ; & l’évenement justifia la sublimité de cette idée.

Ce grand homme ne procéda point aux autres changemens qu’il méditoit, par une marche insensible & lente. Echauffé de la passion de la vertu, & voulant faire de sa patrie une république de héros, il profita du premier instant de ferveur de ses concitoyens à s’y prêter, pour leur inspirer, par des oracles & par son génie, les mêmes vûes dont il étoit enflammé. Il sentit « que les passions sont semblables aux volcans, dont l’éruption soudaine change tout-à-coup le lit d’un fleuve, que l’art ne pourroit détourner qu’en lui creusant un nouveau lit. Il mit donc en usage des passions fortes pour produire une révolution subite & porter dans le cœur du peuple l’enthousiasme &, si l’on peut le dire, la fievre de la vertu ». C’est ainsi qu’il réussit dans son plan de législation, le plus hardi, le plus beau & le mieux lié qui ait jamais été conçu par aucun mortel.

Après avoir fondu ensemble les trois pouvoirs du gouvernement, afin que l’un ne pût pas empiéter sur l’autre, il brisa tous les liens de la parenté, en déclarant tous les citoyens de Lacédémone enfans nés de l’état. C’est, dit un beau génie de ce siecle, l’unique moyen d’étouffer les vices, qu’autorise une apparence de vertu, & d’empêcher la subdivision d’un peuple en une infinité de familles ou de petites sociétés, dont les intérêts, presque toujours opposés à l’intérêt public, éteindroient à la fin dans les ames toute espece d’amour de la patrie.

Pour détourner encore ce malheur, & créer une vraie république, Lycurgue mit en commun toutes les terres du pays, & les divisa en 39 mille portions égales, qu’il distribua comme à des freres républicains qui feroient leur partage.

Il voulut que les deux sexes eussent leurs sacrifices réunis, & joignissent ensemble leurs vœux & leurs offrandes à chaque solemnité religieuse. Il se persuada par cet institut, que les premiers nœuds de l’amitié & de l’union des esprits seroient les heureux augures de la fidélité des mariages.

Il bannit des funérailles toutes superstitions ; ordonnant qu’on ne mît rien dans la biere avec le cadavre, & qu’on n’ornât les cercueils que de simples feuilles d’olivier. Mais comme les prétentions de la vanité sont sans bornes, il défendit d’écrire le nom du défunt sur son tombeau, hormis qu’il n’eût été tué les armes à la main, ou que ce ne fût une prêtresse de la religion.

Il permit d’enterrer les morts autour des temples, & dans les temples mêmes, pour accoutumer les jeunes gens à voir souvent ce spectacle, & leur apprendre qu’on n’étoit point impur ni souillé en passant par-dessus des ossemens & des sépulchres.

Il abrégea la durée des deuils, & la régla à onze jours, ne voulant laisser dans les actions de la vie rien d’inutile & d’oiseux.

Se proposant encore d’abolir les superfluités religieuses, il fixa dans tous les rits de la religion les lois d’épargne & d’économie. Nous présentons aux dieux des choses communes, disoit un lacédémonien, afin que nous ayons tous les jours les moyens de les honorer.

Il renferma dans un même code politique les lois, les mœurs & les manieres, parce que les lois & les manieres représentent les mœurs ; mais en formant les manieres il n’eut en vûe que la subordination à la magistrature, & l’esprit belliqueux qu’il vouloit donner à son peuple. Des gens toujours corrigeans & toujours corrigés, qui instruisoient toujours &