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la langue, imaginé par M. Pibrac, & décrite dans une dissertation qu’il a donnée à l’académie royale de Chirurgie, sur l’abus des sutures, tome. III.

Les sutures ont prévalu dans presque tous les cas sur les autres moyens de réunion, parce qu’il a toujours été plus facile d’en faire usage, que d’appliquer son esprit dans des circonstances difficiles à imaginer un bandage qui remplît, par un procédé nouveau, toutes les intentions de l’art & de la nature. Ambroise Paré, le premier auteur qui ait parlé expressément du traitement des plaies de la langue, rapporte trois observations de plaies à cette partie, auxquelles il a fait la suture avec succès. Elle avoit été coupée entre les dents à l’occasion de chûtes sur le menton. Ce grand praticien prescrit la précaution de tenir la langue avec un linge, de crainte qu’elle n’échappe dans l’opération. La suture est très-difficile, quelque précaution qu’on prenne, sur-tout pour peu que la division soit éloignée de l’extrémité. Ambroise Paré ne désespéroit pas qu’on ne réussît à trouver un meilleur moyen : M. Pibrac l’a imaginé. Une demoiselle, dans un accès d’épilepsie, se coupa la langue obliquement entre les dents : la portion divisée qui ne tenoit plus que par une petite quantité de fibres sur un des côtés, étoit pendante hors de la bouche ; en attendant qu’on avisât aux moyens les plus convenables, M. Pibrac crut devoir retenir cette portion par un morceau de linge en double qu’il mit transversalement en forme de bande entre les dents. Le succès avec lequel la portion de langue coupée fut retenue dans la bouche, suggéra à M. Pibrac l’invention d’une petite bourse de linge fin pour loger exactement la langue, voyez Pl. XXXVI. fig. 1 & 2 ; il trouva le moyen de l’assujettir, en l’attachant à un fil d’archal aa replié sous le menton, & qu’il étoit facile de fixer par deux rubans b, b, b, liés derriere la tête : ce qui représente assez bien un bridon. La langue est vûe dans la bourse, fig. 2, & la machine en place, fig. 3.

Rien n’est plus commode que cet instrument pour réunir les plaies de la langue & maintenir cette partie sans craindre le moindre dérangement. Il suffit de fomenter la plaie à-travers la poche avec du vin dans lequel on a fait fondre du miel rosat. S’il s’amasse quelqu’espece de limon dans le petit sac, il est aisé de le nettoyer avec un pinceau trempé dans le vin miellé, & d’entretenir par ce moyen la plaie toujours nette.

Ce bandage est extrémement ingénieux & d’une utilité marquée : cette invention enrichit réellement la Chirurgie ; c’est un présent fait à l’humanité, cet éloge est mérité. L’inconvénient de notre siecle, c’est qu’on loue avec un faste imposant des inventions superflues ou dangereuses comme utiles & admirables, & que le suffrage public instantané est pour ceux qui se vantent le plus, & dont la cabale est la plus active. Le bandage lingual a été placé sans ostentation dans les mémoires de l’académie royale de Chirurgie, & ne sera vu dans tous les tems qu’avec l’approbation qui lui est dûe. (Y)

Linguale, adj. f. (Gram.) Ce mot vient du latin lingua la langue, lingual, qui appartient à la langue, qui en dépend.

Il y a trois classes générales d’articulations, les labiales, les linguales & les gutturales. (Voyez H & Lettres.) Les articulations linguales, sont celles qui dépendent principalement du mouvement de la langue ; & les consonnes linguales sont les lettres qui représentent ces articulations. Dans notre langue, comme dans toutes les autres, les articulations & les lettres linguales sont les plus nombreuses, parce que la langue est la principale des parties organiques, nécessaires à la production de la parole. Nous en avons en françois jusqu’à treize, que

les uns classifient d’une maniere, & les autres d’une autre. La division qui m’a paru la plus convenable, est celle que j’ai déja indiquée à l’article Lettres, où je divise les linguales en quatre classes, qui sont les dentales, les sifflantes, les liquides & les mouillées.

J’appelle dentales celles qui me paroissent exiger d’une maniere plus marquée, que la langue s’appuie contre les dents pour les produire : & nous en avons cinq ; n, d, t, g, q, que l’on doit nommer ne, de, te, gue, que, pour la facilité de l’épellation.

Les trois premieres, n, d, t, exigent que la pointe de la langue se porte vers les dents supérieures, comme pour retenir le son. L’articulation n le retient en effet, puisqu’elle en repousse une partie par le nez, selon la remarque de M. de Dangeau, qui observa que son homme enchifrené, disoit, je de saurois, au lieu de je ne saurois : ainsi n est une articulation nasale. Les deux autres d & t sont purement orales, & ne different entr’elles que par le degré d’explosion plus ou moins fort, que reçoit le son, quand la langue se sépare des dents supérieures vers lesquelles elle s’est d’abord portée ; ce qui fait que l’une de ces articulations est foible, & l’autre forte.

Les deux autres articulations g & q ont entr’elles la même différence, la premiere étant foible & la seconde forte ; & elles différent des trois premieres, en ce qu’elles exigent que la pointe de la langue s’appuie contre les dents inférieures, quoique le mouvement explosif s’opere vers la racine de la langue. Ce lieu du mouvement organique a fait regarder ces articulations comme gutturales par plusieurs auteurs, & spécialement par Wachter. Glossar. germ. Proleg. sect. 2. §. 20. & 21. Mais elles ont de commun avec les trois autres articulations dentales, de procurer l’explosion au son & en augmentant la vîtesse par la résistance, & d’appuyer la langue contre les dents ; ce qui semble leur assurer plus d’analogie avec celles-là, qu’avec l’articulation gutturale h, qui ne se sert point des dents, & qui procure l’explosion au son par une augmentation réelle de la force. Voyez H. Mais voici un autre caractere d’affinité bien marqué dans les événemens naturels du langage ; c’est l’attraction entre le n & le d, telle qu’elle a été observée entre le m & le b (Voyez Lettres), & la permutation de g & de d. « Je trouve, dit M. de Dangeau (opusc. pag. 59.), que l’on a fait.... de cineris, cendre ; de tenor, tendre ; de ponere, pondre ; de veneris dies, vendredi ; de gener, gendre ; de generare, engendrer ; de minor, moindre. Par la même raison à peu près, on a changé le g en d, entre un n & un r ; on a fait de fingere, feindre ; de pingere, peindre ; de jungere, joindre ; de ungere, oindre ; parce que le g est à peu près la même lettre que le d ». On voit dans les premiers exemples, que le n du mot radical a attiré le d dans le mot dérivé ; & dans les derniers, que le g du primitif est changé en d dans le dérivé ; ce qui suppose entre ces articulations une affinité qui ne peut être que celle de leur génération commune.

Les articulations linguales que je nomme sifflantes, different en effet des autres, en ce qu’elles peuvent se continuer quelque-tems & devenir alors une espece de sifflement. Nous en avons quatre, z, s, j, ch, qu’il convient de nommer ze, se, je, che. Les deux premieres exigent une disposition organique toute différente des deux autres ; & elles different du fort au foible ; ainsi que les deux dernieres. On doit bien juger que ces lettres sont plus ou moins commuables entr’elles, à raison de ces différences. Ainsi le changement de z en s est une regle générale dans la formation du tems, que je nommerois présent postérieur, mais que l’on appelle communément le futur des verbes en ζω de la quatrieme con-