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Lorsque ce parfum réside dans quelque substance seche, comme cela se trouve dans tous les sujets dont nous venons de parler, excepté les sucs des fruits, on l’en extrait ou par le moyen de la distillation, ou par celui de l’infusion. C’est ordinairement l’esprit-de-vin destiné à la composition de la liqueur qu’on emploie à cette extraction : on le charge d’avance du parfum qu’on se propose d’introduire dans la liqueur, soit en distillant au bain-marie de l’eau-de-vie ou de l’esprit-de-vin avec une ou plusieurs substances aromatiques, ce qui produit des esprits ardens aromatiques, voyez Esprit, soit en faisant infuser ou tirant la teinture de ces substances aromatiques. Voyez Infusion & Teinture.

Les liqueurs les plus délicates, les plus parfaites & en même tems les plus élégantes, se préparent par la voie de la distillation ; & le vrai point de perfection de cette opération consiste à charger l’esprit-de-vin autant qu’il est possible, sans nuire à l’agrément, de partie aromatique proprement dite, sans qu’il se charge en même tems d’huile essentielle : car cette huile essentielle donne toûjours de l’âcreté à la liqueur, & trouble sa transparence. Au lieu qu’une liqueur qui est préparée avec un esprit ardent aromatique qui n’est point du tout huileux, & du beau sucre, est transparente & sans couleur, comme l’eau la plus claire : telle est la bonne eau de cannelle d’Angleterre ou des îles. Les esprits ardens distillés sur les matieres très-huileuses, comme le zest de cédra ou de citron, sont presque toûjours huileux, du moins est-il très difficile de les obtenir absolument exempts d’huile. L’eau qu’on est obligé de leur mêler dans la préparation de la liqueur, les blanchit donc, & d’autant plus qu’on emploie une plus grande quantité d’eau ; car les esprits ardens huileux supportent sans blanchir le mélange d’une certaine quantité d’eau presque parties égales, lorsqu’ils ne sont que peu chargés d’huile. C’est pour ces raisons que la liqueur assez connue sous le nom de cédra, est ou louche ou très-forte : car ce n’est pas toujours par bisarrerie ou par fantaisie que telle liqueur se fait plus forte qu’une autre, tandis qu’il semble que toutes pourroient varier en force par le changement arbitraire de la proportion d’eau : souvent ces variations ne sont point au pouvoir des artistes, du moins des artistes ordinaires, qui sont obligés de réparer par ce vice de proportion un vice de préparation. Une autre ressource contre ce même vice, l’huileux des esprits ardens aromatiques, c’est la coloration : l’usage de colorer les liqueurs n’a d’autre origine que la nécessité d’en masquer l’état trouble, louche : en sorte que cette partie de l’art qu’on a tant travaillé à perfectionner depuis, qui a tant plu, ne procure au fond qu’une espece de fard qui a eu même fortune que celui dont s’enduisent nos femmes, c’est-à-dire, s’il est permis de comparer les petites choses aux grandes, qu’employé originairement à masquer des défauts, il a enfin déguisé le chef d’œuvre de l’art dans les liqueurs, la transparence sans couleur, comme il dérobe à nos yeux, sur le visage des femmes, le plus précieux don de la nature, la fraîcheur & le coloris de la jeunesse & de la santé.

Quant à l’infusion ou teinture, on obtient nécessairement par cette voie, outre le parfum, les substances solubles par l’esprit-de-vin, qui se trouvent dans la matiere infusée, & qui donnent toujours de la couleur & quelqu’âcreté, au moins de l’amertume ; l’esprit-de-vin ne touche que très-peu à l’huile essentielle des substances entieres auxquelles on l’applique, lors même qu’elles sont très-huileuses, par exemple aux fleurs d’orange ; mais si c’est à des substances dont une partie des cellules qui contiennent cette huile ayent été brisées, par exemple, du zest de citron, un esprit-de-vin digéré sur une pareille

matiere, peut à peine être employé à préparer une liqueur supportable. Aussi cette voie de l’infusion est-elle peu usitée & très imparfaite. Le ratafiat à la fleur d’orange est ainsi préparé, principalement dans la vûe médicinale de faire passer dans la liqueur le principe de l’amertume de ces fleurs, qui est regardé comme un très-bon stomachique.

On peut extraire aussi le parfum des substances seches par le moyen de l’eau, & employer encore ici la distillation ou l’infusion. Les eaux distillées ordinaires, voyez Eaux distillées, employées en tout ou en partie au lieu d’eau commune, rempliroient la premiere vûe ; mais elles ne contiennent pas communément un parfum assez fort, assez concentré, assez pénétrant, pour percer à-travers l’esprit-de-vin & le sucre. Il n’y a guere que l’eau de fleur d’orange & l’eau de cannelle appellée orgée, voyez Eaux distillées, qui puissent y être employées. On prépare à Paris, sous le nom d’eau divine, une liqueur fort connue & fort agréable, dont le parfum unique ou au-moins dominant, est de l’eau de fleur d’orange. On a un exemple de parfum extrait, par une infusion à l’eau, dans une forte infusion de fleurs d’œillet rouge qu’on peut employer à préparer un ratafiat d’œillet.

On peut encore employer l’eau & l’esprit-de-vin ensemble, c’est-à-dire de l’eau-de-vie, à extraire les parfums par une voie d’infusion. On a par ce moyen des teintures moins huileuses ; mais comme nous l’avons observé plus haut, avec de l’eau de-vie, on n’a jamais que des liqueurs communes, grossieres.

Enfin on fait infuser quelquefois la matiere du parfum dans une liqueur, d’ailleurs entierement faite, c’est-à-dire dans le mêlange, à proportion convenable d’esprit-de-vin, d’eau & de sucre. On prépare, par exemple, un très-bon ratafiat d’œillet, ou plus proprement de gérofle, en faisant infuser quelques clous de gérofle dans un pareil mélange. On fait infuser des noyaux de cerises dans le ratafiat de cerise, d’ailleurs tout fait.

Une troisieme maniere d’introduire le parfum dans les liqueurs, c’est de l’y porter avec le sucre, soit sous forme d’oleosaccharum, soit sous forme de sirop. Les liqueurs parfumées par le premier moyen sont toujours louches & âcres ; elles ont éminemment les défauts que nous avons attribués plus haut à celles qui sont préparées avec des esprits ardens, aromatiques, huileux. Le sirop parfumé employé à la préparation des liqueurs, en est un bon ingrédient : on prépare une liqueur très simple & très-bonne en mélant du bon sirop de coing, à des proportions convenables d’esprit-de-vin & d’eau.

Le simple mélange des sucs doux & parfumés de plusieurs fruits, comme abricots, peches, framboises, cerises, muscats, coings, &c. aux autres principes des liqueurs, fournissent enfin la derniere & plus simple voie de porter le parfum dans ces compositions. Sur quoi il faut observer que, comme ces sucs sont très-aqueux, & plus ou moins sucrés, ils tiennent lieu de toute eau, & sont employés en la même proportion ; & qu’ils tiennent aussi lieu d’une partie plus ou moins considérable de sucre. On prépare en Languedoc, où les cerises mûrissent parfaitement & sont très-sucrées, un ratafiat avec les sucs de ces fruits, & sans sucre, qui est fort agréable & assez doux.

La proportion ordinaire du sucre, dans les liqueurs qui ne contiennent aucune autre matiere douce, est de trois à quatre onces pour chaque livre de liqueur aqueo-spiritueuse. Dans les liqueurs très-sucrées qu’on appelle communément grasses, à cause de leur consistance épaisse & onctueuse, qui dépend uniquement du sucre ; il y est porté jusqu’à la dose de cinq & même de six onces par livres de liqueur.