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leurs ; & l’indiscrétion a coûté plusieurs fois la vie aux bramines épicuriens.

L’athéisme a aussi ses partisans dans le Malabare : on y lit un poëme où l’auteur s’est proposé de démontrer qu’il n’y a point de Dieu, que les raisons de son existence sont vaines ; qu’il n’y a aucunes vérités absolues ; que la courte limite de la vie circonscrit le mal & le bien ; que c’est une folie de laisser à ses piés le bonheur réel pour courir après une félicité chimérique qui ne se conçoit point.

Il n’est pas étonnant qu’il y ait des athées par-tout où il y a des superstitieux : c’est un sophisme qu’on fera par-tout où l’on racontera de la divinité des choses absurdes. Au lieu de dire Dieu n’est pas tel qu’on me le peint, on dira il n’y a point de Dieu.

Les bramines avadontes sont des especes de gymnosophistes.

Ils ont tous quelques notions de Medecine, d’Astrologie & de Mathématiques : leur medecine n’est qu’un empyrisme. Ils placent la terre au centre du monde, & ils ne conçoivent pas qu’elle pût se mouvoir autour du soleil, sans que les eaux des mers déplacées ne se répandissent sur toute sa surface. Ils ont des observations célestes, mais très imparfaites ; ils prédisent les éclipses, mais les causes qu’ils donnent de ce phénomene sont absurdes. Il y a tant de rapport entre les noms qu’ils ont imposés aux signes du zodiaque, qu’on ne peut douter qu’ils ne les aient empruntés des Grecs ou des Latins. Voici l’abrégé de leur théologie.

Théologie des peuples du Malabare. La substance suprème est l’essence par excellence, l’essence des essences & de tout ; elle est infinie, elle est l’être des êtres. Le veda l’appelle vastou : cet être est invisible ; il n’a point de figure ; il ne peut se mouvoir, on ne peut le comprendre.

Personne ne l’a vu ; il n’est point limité ni par l’espace ni par les tems.

Tout est plein de lui ; c’est lui qui a donné naissance aux choses.

Il est la source de la sagesse, de la science, de la sainteté, de la vérité.

Il est infiniment juste, bon & miséricordieux.

Il a créé tout ce qui est. Il est le conservateur du monde ; il aime à converser parmi les hommes ; il les conduit au bonheur.

On est heureux si on l’aime & si on l’honore.

Il a des noms qui lui sont propres & qui ne peuvent convenir qu’à lui.

Il n’y a ni idole ni image qui puisse le représenter ; on peut seulement figurer ses attributs par des symboles ou emblèmes.

Comment l’adorera-t-on, puisqu’il est incompréhensible ?

Le veda n’ordonne l’adoration que des dieux subalternes.

Il prend part à l’adoration de ces dieux, comme si elle lui étoit adressée, & il la récompense.

Ce n’est point un germe, quoiqu’il soit le germe de tout. Sa sagesse est infinie, il est sans tache ; il a un œil au front ; il est juste ; il est immobile ; il est immuable ; il prend une infinité de formes diverses.

Il n’y a point d’acception devant lui ; sa justice est la même sur tout. Il s’annonce de différentes manieres, mais il est toujours difficile à deviner.

Nulle science humaine n’atteint à la profondeur de son essence.

Il a tout créé, il conserve tout ; il ordonne le passé, le présent & l’avenir, quoiqu’il soit hors des tems.

C’est le souverain pontife. Il préside en tout & par tout ; il remplit l’éternité ; il est lui seul éternel.

Il est abîmé dans un océan profond & obscur qui le dérobe. On n’approche du lieu qu’il habite que

par le repos. Il faut que les sens de l’homme qui le cherche se concentrent en un seul.

Mais il ne se montre jamais plus clairement que dans sa loi & dans les miracles qu’il opere sans cesse à nos yeux.

Celui qui ne le reconnoît ni dans la création ni dans la conservation, néglige l’usage de sa raison & ne le verra point ailleurs.

Avant que de s’occuper de l’ordination générale des choses, il prit une forme matérielle ; car l’esprit n’a aucun rapport avec le corps & pour agir sur le corps il faut que l’esprit s’en revétisse.

Source de tout, germe de tout, principe de tout, il a donc en lui l’essence, la nature, les propriétés, la vertu des deux sexes.

Lorsqu’il eut produit les choses, il sépara les qualités masculines des féminines, qui confondues seroient restées stériles. Voilà les moyens de propagation & de génération dont il se servit.

C’est de la séparation des qualités masculines & féminines, de la génération & de la propagation qu’il a permis que nous fissions trois idoles ou symboles intelligibles qui fussent l’objet de notre adoration.

Nous l’adorons principalement dans nos temples sous la forme des parties de la génération des deux sexes qui s’approchent, & cette image est sacrée.

Il est émané de lui deux autres dieux puissans, le tschiven, qui est mâle : c’est le pere de tous les dieux subalternes ; le tschaidi, c’est la mere de toutes les divinités subalternes.

Le tschiven a cinq têtes, entre lesquelles il y en a trois principales, brama, isuren & wistnou.

L’être à cinq têtes est inéfable & incompréhensible ; il s’est manifesté sous ce symbole par condescendance pour notre foiblesse : chacune de ses faces est un symbole de ses attributs relatifs à l’ordination & au gouvernement du monde.

L’être à cinq têtes est le dieu gubernateur ; c’est de lui qu’émane tout le système théologique.

Les choses qu’il a ordonnées retourneront un jour à lui : il est l’abîme qui engloutira tout.

Celui qui adore les cinq têtes adore l’être suprème ; elles sont toutes en tout.

Chaque dieu subalterne est mâle, & la déesse subalterne est femelle.

Outre les premiers dieux subalternes, il y en a au-dessous d’eux trois cens trente millions d’autres ; & au-dessous de ceux-ci quarante mille. Ce sont des prophetes que ces derniers, & l’être souverain les a créés prophetes.

Il y a quatorze mondes, sept mondes supérieurs & sept mondes inférieurs.

Ils sont tous infinis en étendue, & ils ont chacun leurs habitans particuliers.

Le padalalogue, ou le monde appellé de ce nom, est le séjour du dieu de la mort, d’émen, c’est l’enfer.

Dans le monde palogue il y a des hommes : ce lieu est un quarré oblong.

Le magaloque est la cour de Wistnou.

Les mondes ont une infinité de périodes finies ; la premiere & la plus ancienne que nous appellons ananden, a duré cent quarante millions d’années ; les autres ont suivi celle-là.

Ces révolutions se succedent & se succéderont pendans des millions innombrables de tems & d’années, d’un dieu à un autre, l’un de ces dieux naissant quand un autre périt.

Toutes ces périodes finies, le tems de l’isuren ou de l’incréé reviendra.

Il y a lune & soleil dans le cinquieme monde, anges tutélaires dans le sixieme monde ; anges du premier ordre, formateur des nuées dans le septieme & le huitieme.