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les images ; ils tuerent aussi Mathan, sacrificateur de Bahal, devant ses autels.

Au reste, Bal, Baal, Bahal, Behel, Bel, Belus, sont une seule & même divinité, dont le nom est varié par les divers dialectes dans lesquels il est employé. Connu des Carthaginois, le nom de ce faux dieu, suivant l’usage des anciens, se remarque dans les noms de leurs princes, ou généraux ; ainsi, en langue punique, Annibal signifie exaucé ou favorisé par Bahal ; Asdrubal, recherché par Bal, Adherbal, aidé par le Dieu Bahal.

J’observe que l’Ecriture-sainte parle souvent de ce faux dieu au pluriel, les Bahals ou Bahalins, je serois donc assez porté à croire que cela est dans le génie des langues orientales ; car quelque soin que prenne l’Etre suprême de rappeller sans cesse les hommes à l’unité de son essence adorable, très-souvent les auteurs sacrés le nomment au pluriel ; peut-être aussi qu’il est parlé des Bahals ou Bahalins, suivant les diverses statues ou idoles qui avoient accrédité sa dévotion ; c’est ainsi que Jupiter reçoit les différens noms de Olympien, Dodonéen, Hammon, Feretrien, &c. Et sans aller plus loin, n’avons-nous pas la même Notre-Dame qui s’appelle en un lieu de Montferrat, ici de Liesse, là de Lorette, ailleurs des Ardilleres, d’Einselden, &c. suivant les images miraculeuses qui lui ont fait élever des autels, ou consacrer des dévotions particulieres. Mais ce qui est digne de remarque, c’est que très-souvent les 70 Interpretes désignent ce dieu Bahal, comme une déesse, aussi bien que comme un dieu, & construisent ce mot avec des articles féminins, comme S. Jean, vij. 4. περιεῖλον τὰς βααλαίν, ils détruisirent les Bahalines. Jer. ij. 18. xj. 13. xix. 5. xxxij. 33.

Au reste pour peu qu’on soit au fait de la Mythologie, on sait que les Payens croyoient honorer leurs dieux, en leur attribuant les deux sexes, & les faisant hermaphrodites, pour exprimer la vertu générative & féconde de la divinité. Aussi Arnobe remarque que dans leurs invocations, ils avoient accoutumé de dire, soit que tu sois dieu, soit que tu sois déesse ; nam consuetis in precibus dicere, sive tu deus, sive tu dea, quæ dubitationis exceptio dare vos diis sexum, disjunctione ex ipsa declarat. Arnob. contra Gent. lib. III.

Vid. Aul. Gel. lib. II. 23. Dans les hymnes attribuées à Orphée, parlant à Minerve, il dit : ἄρσην μὲν καὶ θῆλυς ἔφυς, tu es mâle & femelle. Chacun sait la Pensée de Plutarque dans son traité d’Isis & d’Osiris : ὁ δὲ νοῦς ὁ θεός ἀῤῥενόθηλυς ὤν ζωὴ καὶ φῶς ἀπεκύησε λόγον ἕτερον νοῦν δημιουργόν, or Dieu qui est une intelligence mâle & femelle, étant la vie & la lumiere, a enfanté un autre verbe qui est l’intelligence créatrice du monde.

Vénus même, la belle Vénus a été faite mâle & femelle. Macrobe, saturn. III. dit qu’un poëte nommé Cœlius, l’avoit appellée pollentemque deum Venerem, non deam, & que dans l’île de Chypre, on la peignoit avec de la barbe : sic poësis ut pictura, &c.

Comme les Peintres & les Poëtes donnent toujours à leurs héroïnes les traits & la ressemblance de leurs maîtresses, sans doute que le premier peintre Cypriot, qui s’avisa de peindre Vénus barbue, aimoit une belle au menton cotonné & velu, telles qu’on en voit qui ne laissent pas d’être appétissantes & très-aimables. Nous connoîtrons plus particulierement ce que les Orientaux adoroient sous le nom de Bahals, si nous nous rappellons que Moyse, dans l’histoire de la création, dit que Dieu fit les deux grandes lumieres, le soleil & la lune, pour dominer sur le jour & la nuit ; & c’est pour cela sans doute, que ces deux astres ont été appellés Bahalins, les dominateurs ; que Malachbelus soit le soleil, c’est ce

dont on conviendra sans peine, si considérant que les luminaires, les astres en général, les planetes en particulier ayant été les premiers objets de l’idolâtrie des anciens peuples, le soleil a dû être regardé comme le roi de ces prétendues divinités ; & certes, tant de raisons parlent en sa faveur, que l’on conçoit sans peine, j’ai presque dit, que l’on excuse le culte qu’ont pu lui rendre les peuples privés de la révélation.

Unique & brillant soleil, s’écrie Zaphy) manuscript. Lugd. in Batavis, Zaphy), poëte arabe, unique & brillant soleil, source de vie, de chaleur & de lumiere, je n’adorerois que toi dans l’univers, si je ne te considérois comme l’esclave d’un maître plus grand que toi, qui a su t’assujettir à une route de laquelle tu n’oses t’écarter ; mais tu es & seras toujours le miroir dans lequel je vois & connois ce maître invisible & incompréhensible. Nous trouvons dans Sanchoniaton, le théologien des anciens Phéniciens, une preuve sans réplique que Malachbelus étoit le soleil. Les Phéniciens, dit-il, c’est-à dire ceux de Tyr, de Sidon & de la côte, regardoient le soleil comme l’unique modérateur du ciel ; ils l’appelloient Beelsamein ou Baal-samen, qui signifie, seigneur des cieux. Sur quoi j’observe que l’Ecriture ne parle presque jamais de l’idole Bahal, qu’elle n’y joigne Astoreth, & toute l’armée des cieux ; c’est ainsi qu’il est dit de Josias, II. Rois, xxiij. 5. qu’il abolit aussi ceux qui faisoient des encensemens à Bahal, à la lune, aux astres, & à toute l’armée des cieux, c’est-à-dire au soleil, à la lune & aux étoiles.

Servius, sur le premier livre de l’Enéide, dit que le Bahal des Assyriens est le soleil : Linguâ punicâ deus dicitur Bal, apud Assyrios autem Bel dicitur, quadam sacrorum ratione & saturnus & sol.

La ville de Tyr étoit consacrée à Hercule, c’étoit la grande divinité de cette ville célebre dans l’antiquité. Or, si on consulte Hérodote, & si l’on doit & peut l’en croire, on ne peut raisonnablement douter que cet Hercule tyrien ne soit le Bahal des Orientaux, c’est-à-dire le soleil même. Hérod. liv. II. pag. 120. Hérodote dit s’être transporté à Tyr tout exprès pour connoître cet Hercule ; qu’il y avoit trouvé son temple d’une grande magnificence, & rempli des plus riches dons, entr’autres une colonne d’émeraudes qui brilloit de nuit, & jettoit une grande lumiere. Si le fait est vrai, ne seroit-ce point parce que les sacrificateurs avoient ménagé dans le milieu de la colonne, un vuide pour y placer un flambeau ? Quoi qu’il en soit, cela étoit visiblement destiné à représenter la lumiere du soleil, qui brille en tout tems. Hérodote ajoute que par les entretiens qu’il eut avec les sacrificateurs, il fut persuadé que cet Hercule tyrien étoit infiniment plus ancien que l’Hercule des Grecs ; que le premier étoit un des grands dieux, que l’Hercule grec n’étoit qu’un héros, ou demi-dieu.

Le nom même d’Hercule prouveroit que c’est le soleil ; ce mot est pur Phénicien. Heir-coul signifie, dans cette langue, illuminat omnia. Je ne voudrois cependant pas décider que jamais le soleil ait porté à Tyr ou Carthage, le nom d’Hercule ; je pense même que non, & qu’on l’appelloit Baal ou Moloch, ou, à l’imitation de ceux de Tadmor, Malachbelus ; mais je ne doute point que parmi les éloges ou attributs de Bahal, on ait mis celui de Heir-coul, c’est-à-dire, illuminant toutes choses.

Les Romains, fort portés à adopter tous les dieux étrangers, avec lesquels ils faisoient connoissance, voyant que les Carthaginois donnoient à leur Baal le titre & l’éloge de Heir-coul, en ont fait leur exclamation, me Hercle ! & me Hercule ! & même leur Hercule ; & de-là est venu que celui que les Tyriens, & leurs enfans les Carthaginois, appelloient Bahal, les Latins l’ont appellé Hercules.