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Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/163

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mettent d’abord leur main devant leurs yeux, puis se jettent la face contre terre et se glissent sous la table.

À Véramine on mange avec les doigts, préalablement lavés au-dessous d’une aiguière. Tous les convives, maîtres et serviteurs, s’agenouillent en rond autour du plateau, relèvent leur manche droite jusqu’au coude, appuient le bras gauche sur leur poitrine de manière à retenir les vêtements et portent la main au plat avec une égale précipitation. Chacun prend autant de pilau que la paume de sa main peut en contenir, serre le riz en le pétrissant, saisit ensuite dans tous les plats les morceaux de viande qu’il préfère, les fait glisser avec le pilau, forme de ce mélange une boule, qu’il trempe parfois dans du lait aigre, et, quand elle est à point, ouvre une large bouche et engloutit cet étrange amalgame, presque sans le diviser avec les dents. Si la boule est trop volumineuse, on voit les dîneurs allonger le cou à la manière des chiens qui s’étranglent afin de comprimer l’œsophage et de faire glisser la pâtée au fond de l’estomac. Il n’est pas dans les habitudes de causer ou de boire pendant les repas. Que deviendrait la part du bavard ou du paresseux ?

Tour décapitée à Véramine

Quand le dîner, dont la durée n’a pas dépassé dix minutes, est fini, les bassins et le plateau sont emportés, et l’on fait passer un saladier rempli de serkadjebin (vinaigre aromatisé avec de l’eau de roses), que l’on prend dans de profondes cuillers de bois délicatement travaillées, puis chacun lave ses mains, fume un kalyan, fait la prière, étend ses couvertures à terre, s’allonge et s’endort. Qu’un doux sommeil et des songes heureux soient le partage des juges de Véramine !

18 juin. — Ce matin nous avons visité l’imamzaddè Yaya, un des monuments les plus intéressants de la contrée, mais aussi le seul qui soit fermé et gardé.

Il est lambrissé à l’intérieur de belles faïences à reflets métalliques. Quelques parties de ce revêtement ont été dérobées et vendues à Téhéran à des prix très élevés ; à la suite de ces vols, l’entrée du petit sanctuaire a été interdite aux chrétiens, et cette défense est d’autant mieux observée que les chapelles sanctifiées par les tombeaux des imams sont, aux yeux des Persans, revêtues d’un caractère plus sacré que les mosquées elles-mêmes. Nous faisons exception à la loi commune, le chah ayant bien voulu, dans l’intérêt des études de Marcel, nous autoriser à franchir le seuil du sanctuaire. À la vue de l’ordre royal, le ketkhoda a chargé son frère de nous accompagner ; sa présence n’a pas été inutile. Au moment où nous sommes arrivés, la garde de la porte était confiée à des paysans armés de bâtons, entourant un mollah coiffé du turban blanc réservé aux prêtres.

L’imamzaddè Yaya a été construit à trois époques différentes ; la mosquée est seljoucide et date du douzième siècle, mais elle comprend dans son ensemble un petit pavillon très ancien