Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/256

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— Je m’appelle Dooulet (Fortune).

— La fortune est aveugle.

— Certainement : si elle ne l’était point, accompagnerait-elle un boiteux comme vous ? »

Timour Lang fut ravi de la hardiesse de cette réponse et fit faire de beaux présents au derviche.

À partir de l’invasion mogole, la Perse entre dans une période de guerres et de troubles pendant laquelle Ispahan occupe dans l’histoire un rang des plus modestes. Mais en 1585 chah Abbas, avant transporté la capitale sur les bords du Zendèroud, enrichit sa résidence favorite de palais, de mosquées et de bazars et augmenta l’importance de la cité souveraine en obligeant les Arméniens de Djoulfa à venir s’établir dans l’Irak. La cruauté de ses successeurs Séfi 1er et Abbas II s’exerça sur les courtisans, compagnons des débauches royales, ou sur les chrétiens, sans nuire au prodigieux accroissement de la capitale, dont la population s’éleva bientôt à six cent mille Cimes, nombre égal à celui des habitants de Paris sous Louis XIV. Les excès, le luxe raffiné des rois sofis, la richesse de leur cour et la splendeur de leurs palais étonnèrent à cette époque l’Asie et l’Europe.

Pendant la durée des règnes suivants, Ispahan s’embellit encore. Chah Soliman fait élever, dans une gorge d’où l’on embrasse tout le panorama de la ville, un pavillon connu sous le nom de takhtè Soleïman, tandis que chah Houssein bâtit au-dessus de Djoulfa l’immense palais de Farah-Abad (Séjour-de-la-Joie). Sous le règne de ce prince, livré aux mains des mollahs et des eunuques, un fléau encore plus terrible que l’invasion mogole s’abat sur la capitale des sofis.

Depuis de longues années la Perse possédait dans l’Afghanistan la province de Kandahar. Des gouverneurs inhabiles administraient cette contrée lointaine et persécutaient la population, composée de musulmans sunnites. Poussés à bout, les Afghans se révoltèrent ; ils furent vaincus à grand’peine.

Leur chef, Mir Weis, fait prisonnier, fut amené à Ispahan. Pendant sa captivité il vécut assez près du souverain pour constater la faiblesse du pouvoir royal, devenu le jouet des intrigants et des eunuques ; l’Iran était une proie offerte à tout homme audacieux. Mir Weis comprit la gravité de cette situation ; à peine rendu à la liberté et de retour à Kandahar, il prépara un nouveau soulèvement. Ses troupes étaient rassemblées, les ordres de marche transmis, quand la mort vint le frapper : Allah réservait au fils du révolté l’honneur de conquérir la Perse. Mahmoud, décidé à porter la guerre au cœur même de l’Iran, l’envahit par le désert de Seistan et vint mettre le siège devant Yezd et Ivirman (1721).

Abandonnant ces deux places fortes après plusieurs assauts infructueux, le général afghan se dirigea vers la capitale de la Perse et n’hésita pas à planter ses tentes à Golnabad. De longues marches et divers combats avaient décimé son armée. Au moment où elle arriva en vue d’Ispahan, elle ne comptait guère plus de vingt mille hommes. Une centaine de petits canons portés à dos de chameaux et propres à lancer des boulets d’une à deux livres composaient une artillerie insuffisante pour faire brèche dans les murailles d’une ville munie de plus de quatre cents pièces de gros calibre. La cité, mise en communication avec ses deux faubourgs de la rive droite, Djoulfa et Abbas-Abad, au moyen de deux ponts bien défendus, était garantie contre les surprises par la rivière qui coulait au pied de ses murailles. Il semblait donc que les efforts d’ennemis peu nombreux, coupés de leurs communications par les troupes de Yezd et de Kirman, dussent misérablement échouer.

Chah Houssein avait abandonné la direction des affaires à deux hommes de caractères bien différents. Le premier ministre, Mohammed Ivouly khan, alléguant avec raison les