Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

insuccès des Afghans devant Yezd et Kirman, prétendait que les ennemis ne réussiraient jamais à s’emparer de la capitale, puisqu’ils avaient échoué sous les murs de villes mal défendues, et donnait le sage conseil de ne point mettre l’armée persane, levée à la hâte et composée d’une population peu belliqueuse, en présence de soldats aguerris, audacieux et rompus aux dangers et aux fatigues. Le chef des tribus arabes au service de la Perse, le valy d’Arabie, proposait un plan de campagne fort différent. Plein de violence, il s’emportait avec fureur contre la lâcheté du premier ministre. « Si un brigand comme Mahmoud, disait-il, peut, à la tête de quelques misérables soldats, insulter à la majesté du trône de Perse et assiéger la capitale de l’empire, si nous devons nous morfondre derrière nos remparts, au lieu de porter le fer et le feu dans le camp ennemi, nous ferons bien d’abandonner la tête et le cœur d’un pays dont nous n’avons pas le courage de prendre la défense. Condamnons-nous à cette terrible extrémité, ou marchons sur-le-champ contre les Afghans et vengeons notre honneur en détruisant de vils ennemis. Ils ne doivent leur vie qu’à notre honteuse prudence. » Cette explosion de vanité, si bien en harmonie avec l’orgueil des Persans, devait fatalement entraîner le faible chah Houssein. Après avoir goûté d’abord les sages conseils de son premier ministre, il se rangea, en définitive, à l’avis présomptueux du valy, et donna l’ordre de livrer bataille ; mais il compromit le succès militaire de ses troupes en les mettant sous les ordres de deux hommes hostiles l’un à l’autre et dont les avis au conseil avaient été diamétralement opposés. L’armée persane, forte de soixante mille hommes magnifiquement équipés, quitta Ispahan dans ces conditions défavorables.

Les troupes royales étaient fraîches et montées sur des chevaux somptueusement harnachés, tandis que les Afghans, vêtus de haillons et hâlés par le soleil, observaient avec emphase que les sabres et les lances brillaient seuls dans leur camp.

La droite, commandée par Roustem khan, général des gardes royaux, s’appuyait sur le village d’ispahanec, situé dans la plaine, vis-à-vis du takhtè Soleïman ; le valy d’Arabie à la tête de ses troupes la secondait. Le premier ministre dirigeait l’aile gauche, renforcée par le valy du Loristan, sous les ordres duquel marchait un corps de cinq mille cavaliers. Au centre se massaient l’infanterie et l’artillerie.

Le chef afghan avait partagé sa petite armée en quatre divisions : entouré de guerriers éprouvés, il commandait le centre, avait placé la droite sous les ordres d’Aman Ullah khan, l’un de ses généraux, et mis à la gauche, qui était composée exclusivement de Guèbres révoltés, un de leurs chefs religieux ; au quatrième corps était confié l’honneur de soutenir l’artillerie, cachée a dessein derrière l’aile droite. Avant le combat, Mahmoud monta sur un éléphant et parcourut les rangs de son armée, encourageant ses soldats, leur rappelant leurs exploits, leur représentant que le pillage d’Ispahan serait le prix de la victoire, tandis que la honte et la mort ignominieuse deviendraient leur partage s’ils étaient vaincus et réduits à battre en retraite dans un pays ennemi. Il fit comprendre aux Guèbres révoltés que les Persans vainqueurs exerceraient sur eux les plus terribles représailles ; puis il attendit le choc des Ispahanais. L’action fut engagée par l’aile droite persane ; l’ardeur avec laquelle l’attaque fut conduite jeta d’abord la confusion dans les rangs des ennemis. Le valy d’Arabie, tournant brusquement une division désorganisée, tomba sur le camp des envahisseurs, mais ses Arabes restèrent si longtemps occupés à le piller qu’on ne put les réunir de la journée et les ramener au combat.

Pendant ce temps le premier ministre, à la tête de l’aile gauche, chargeait la droite des Afghans. Aman lllah khan donna l’ordre à ses troupes de prendre la fuite ; les Persans, tout joyeux, les poursuivirent avec ardeur, mais se trouvèrent bientôt devant les cent canons portés sur les chameaux agenouillés. I n feu nourri, dirigé avec justesse, vint abattre les