Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/267

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et présente beaucoup d’analogie avec celle des Tcheel-Soutoun. Chacun des quatre supports octogones de la toiture s’appuie sur un groupe de quatre demoiselles court vêtues ; elles-mêmes soutiennent des têtes de lion qui vomissent des jets d’eau dans une vasque placée au centre de la pièce. Au seul examen de ces sculptures, on reconnaît que les artistes persans n’ont pas l’habitude de modeler des figures humaines ; ces statues, les seules que j’aie vues en Perse, ne sont pas dépourvues néanmoins d’une certaine grâce naïve.

Un passage ménagé tout autour du bassin permet d’accéder aux appartements disposés sur chaque côté de la salle. La pièce la plus vaste est meublée à l’européenne et munie d’une psyché que le prince fait habituellement placer devant lui quand il désire suivre des yeux ses mouvements et juger s’ils sont empreints de la grâce, jointe à la majesté, qui siéent à un descendant des Kadjars. Si Allah s’est montré généreux envers Zellè sultan en lui accordant une brillante intelligence, il l’a peut-être moins gâté au point de vue des avantages physiques. À en juger d’après ses nombreux portraits, le fils du roi est petit et un peu gros ; à la suite d’un coup reçu sur l’œil pendant son enfance, une de ses paupières est restée abaissée, et il aurait peu sujet, il me semble, de se montrer coquet. Mais un prince, et surtout un prince oriental, ne court jamais le risque de s’apprécier à sa juste valeur ; d’ailleurs, s’il avait quelque velléité de voir la vérité toute nue, ses flatteurs aux aguets ne laisseraient point pénétrer cette impudique personne sans l’avoir auparavant soigneusement voilée.

PALAIS DU ÇAU-POUCHIDÈH

Le prince Zellè sultan se croit donc proche parent d’Apollon : aussi bien le soin de sa personne et de ses costumes est-il une de ses préoccupations favorites. Il a dans sa garde-robe les uniformes de tous les souverains de l’Europe, les met à tour de rôle, et disait dernièrement au représentant de la maison Holtz, en voyant une charmante photographie du duc de Connaught en uniforme de général anglais :

« Je désire avoir un costume pareil à celui-là.

— Altesse, la couleur rouge signale tous les défauts d’une coupe défectueuse, et, si vous désirez que cet habit aille tout à fait bien, il serait utile que je prisse quelques mesures.

Lazem nist (cela n’est pas nécessaire) », reprend le prince avec horreur, car, à l’exemple de son auguste père, il n’a jamais toléré qu’un de ses inférieurs osât lui manquer de respect jusqu’à le toucher ; « prévenez seulement le tailleur que cet uniforme est destiné à un jeune homme bien fait, dont les formes sont plus majestueuses que celles du duc de Connaught. »

Le commissionnaire, ayant recommandé à ses correspondants de rêver d’un tonneau de bière en promenant les ciseaux dans l’étoffe, a eu néanmoins le regret de voir arriver un habit trop étroit pour son client.