Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/268

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On est heureux de n’avoir à signaler que de si réjouissants travers chez un prince auquel sa naissance, sa puissance et les traditions locales auraient pu donner de redoutables défauts.

Derrière le Çar-Pouchidèh s’étend l’andéroun réservé aux concubines de Zellè sultan, qui ne s’est pas remarié légitimement depuis la mort de sa première femme, la fille de l’émir nizam. Je n’ai point visité cette partie du palais, le prince n’étant pas là pour m’y introduire ; mais, au dire des serviteurs, j’ai vu, en compensation, des gens autrement intéressants que des femmes cette vulgaire marchandise humaine, en la personne de quatre porcs, gras, luisants et en parfait état de santé.

Les élèves du chahzaddè sont les seuls spécimens de leur espèce qui aient jamais franchi les frontières de la Perse, l’entrée du porc, vivant ou mort, étant sévèrement interdite et jamais la chair de cet animal n’ayant osé s’étaler ici comme à Constantinople sous forme de jambon et de saucisse. L’intention du prince, en construisant une porcherie dans son palais, n’a pas été de faire un essai d’acclimatation : il a voulu, en se montrant si peu respectueux des prescriptions du Koran, protester contre des préjugés religieux, et l’on raconte même que, le jour de la réception du Norouz (nouvel an), alors que tous les fonctionnaires et le clergé sont forcés de venir présenter leurs vœux de bonne année au fils du roi, celui-ci a donné l’ordre de faire passer le cortège dans la cour souillée par les animaux les plus impurs de la création.

Sultan Maçoud Mirzza. Zelle Sultan (L’OMBRE DU ROI) fils ainé de Nasr Eddin Chas, gouverneur général de l’Irak, du Parsistan, du Loristan du Khousistan etc.


Les prêtres voient avec horreur les tendances de Zellè sultan, mais ils sont bien obligés de se dire les très humbles serviteurs d’un prince qui gouverne tout le midi de la Perse et tentera, à la mort de son père, de former un royaume indépendant dans le sud en laissant provisoirement le nord à son frère le valyat, quitte à l’en déposséder plus tard, si les Russes ne se sont pas chargés de ce soin. Zellè sultan est trop ambitieux et trop courageux pour renoncer à la haute situation qu’il occupe. De son côté, le valyat, s’il monte sur le trône, cherchera à se défaire d’un si redoutable vassal. Aussi pense-t-on, sans oser le dire tout haut, que l’Iran appartiendra à celui des deux frères qui pourra faire tuer l’autre.

Le chah connaît la haine qui divise les princes depuis leur plus tendre enfance.

Dès l’âge de douze ans, Zellè sultan gravait, sur une lame de sabre faite à son intention, cette phrase significative : « C’est avec cette arme que je tuerai mon frère le valyat ». A cette époque le roi n’accordait pas à son fils aîné la considération due à un prince intelligent, bon administrateur, et qui seul de tous ses enfants lui fournit de l’argent, au lieu de lui en demander ; il n’admettait pas surtout que les lois d’hérédité faites en faveur