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magnifiques indevanehs (pastèques) qui composent pendant l’été la nourriture des habitants de l’Irak.

« Les gens d’Ispahan ne mangent que des ordures », dit avec mépris un vieil auteur, sujet sans doute à des douleurs d’entrailles.

Les meilleurs melons ne viennent pourtant pas à force d’engrais. Les plus estimés poussent sur la limite du désert, dans des terres légèrement salées, et doivent leur délicieux parfum au terroir. Au dire des lins connaisseurs, on peut à peine une fois chaque trente ans cultiver le précieux cucurbitacée sur le même emplacement. C’est au moins dans ces conditions que sont récoltés les melons servis au chah.

La grande chaleur commence à tomber ; en sortant des jardins, Mirza Taghuy khan nous propose d’aller visiter une ancienne construction élevée au sommet d’un affleurement rocheux situé au centre de la vallée du Zendèroud.

Un belvédère cylindrique, recouvert autrefois d’une coupole et percé à sa base de huit ouvertures symétriquement disposées sur sa circonférence, couronne le point culminant. On reconnaît à la forme des arcatures que cette construction a été restaurée à une époque relativement récente, mais on ne trouve à l’intérieur du pavillon ni une moulure ni un profil permettant de lui assigner un âge certain. Au-dessous de l’édifice central s’étendent les ruines de maisons écroulées, et autour de ces habitations un mur bâti en briques carrées ayant quarante centimètres de côté sur douze centimètres d’épaisseur. Les lits de matériaux sont séparés par des couches de roseaux semblables à celles que l’on trouve dans les vieux monuments de la Babylonie.

L’origine et la destination de ces ruines sont mal connues des Ispahaniens, qui les désignent cependant sous le nom d’Atecharga (autel du feu).

Il est possible que, dans des temps très reculés, des pyrées guèbres aient été élevés sur la montagne, mais leur présence en ce lieu n’expliquerait pas celle des épaisses murailles de terre bâties sur la cime du pic, les adorateurs du soleil n’ayant jamais construit de temple et ayant toujours, au dire d’Hérodote, entretenu le feu sacré en plein air. Il semble plutôt résulter de l’étude attentive des ruines de l’Atechaga que les plus anciennes constructions sont les débris d’une forteresse sassanide destinée à défendre le cours du Zendèroud ou à permettre au gouverneur du Djeï de se retirer en temps de guerre derrière les murailles d’une place à peu près inexpugnable.

À la nuit, Marcel se décide enfin à rejoindre les voitures du prince, arrêtées auprès d’un village voisin. Je monte avec Mirza Taghuy khan dans un coupé attelé de six chevaux. Le P. Pascal, mon mari et plusieurs autres personnes s’emparent d’une calèche. Fouette cocher ! nous voilà partis accompagnés des salams (saints) et des témoignages de respect des villageois, ébahis à l’aspect des équipages princiers.

Bientôt nous gagnons la campagne et nous roulons sur des chaussées étroites comprises entre des murs de clôture et des canaux à ciel ouvert, peu profonds il est vrai, mais assez creux pour me faire craindre que voiture, chevaux et voyageurs ne fassent une vilaine salade s’ils ont la malchance d’y tomber. Pour comble de bonheur, trente cavaliers galopent en tête du cortège et soulèvent de tels nuages de poussière, que nous ne pouvons, mon compagnon de route et moi, ouvrir la bouche et les yeux, de peur d’être asphyxiés ou aveuglés ; mais tout cela n’est rien auprès de la gymnastique à laquelle nous condamnent les bosselures de la route.

Le carrosse, lancé au galop, bondit comme une balle, accrochant les murailles de terre, qui s’écorchent non sans dommage pour les roues, franchit les fossés et les canaux dépourvus de ponts, tandis que, les doigts crispés sur les portières, nous nous efforçons de ne pas défoncer aux dépens de nos crânes le capotage de la voiture.