Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/318

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vient nous retrouver sur la terrasse, où nous nous sommes efforcés de travailler avec calme et de faire la meilleure des contenances. «  Vous voilà débarrassés de tous ces importuns, dit-il en français ; toutefois vous agiriez en gens sages et prudents si vous abandonniez les terrasses au moment où les musulmans vont arriver en grand nombre à la prière de midi ; aurions-nous raison deux fois de la malveillance et du fanatisme de ces pieux disciples de Mahomet ? En tout cas il est prudent de ne pas s’exposer à être bousculés ou précipités par inadvertance du haut en bas de la mosquée. »

Le conseil du Père est d’autant plus sage que les pochtèbouns sont dépourvus de tout parapet. Marcel déclare donc ses éludes terminées et demande à descendre dans les galeries du premier étage, à la grande satisfaction de l’escorte, obligée, à regret, de protéger des infidèles contre des coreligionnaires dont elle approuve en secret la pieuse indignation.

Les galeries inférieures sont réservées au logement des prêtres ; nous entrons chez le plus vénérable d’entre eux. Le visage bronzé de ce beau vieillard est mis en relief par une robe et un turban blancs. Il nous fait poliment asseoir sur son lapis, ordonne d’apporter les pipes et le thé en attendant que la prière soit terminée et qu’il puisse mettre à notre disposition la loggia placée au-devant de sa cellule. De l’intérieur de la pièce je puis suivre des yeux la cérémonie religieuse.

Le croyant entre dans la mosquée ses babouchesà la main, se dirige vers le bassin à ablutions, enlève sa coiffure et laisse sa tête à nu. Elle est accommodée de deux manières différentes. Les porte-turbans abandonnent tout leur crâne au barbier ; ceux qui adoptent le bonnet d’astrakan ou de feutre se font raser depuis le front jusqu’à la nuque, en réservant de chaque côté des oreilles une grosse mèche bouclée, destinée, j’imagine, à soutenir la coiffure. Ces graves études capillaires ne peuvent être faites qu’à la mosquée ou chez les barbiers, les musulmans considérant comme la dernière des impolitesses de se montrer en public la tète découverte. Après avoir posé à terre coiffure et sandales, le fidèle tousse, crache, se mouche, le tout à grand renfort d’eau fraîche, et satisfait à toutes les exigences de la loi religieuse, minutieusement indiquée dans plusieurs versets du Koran. «  Ne priez pas quand vous êtes souillés, attendez que vous ayez fait vos ablutions, à moins que vous ne soyez en route. Si vous êtes malade ou en voyage, frottez-vous le visage et les mains avec de la poussière, à défaut d’eau. Dieu est puissant et miséricordieux. »

Les ablutions terminées, le chiite se coiffe, reprend sa chaussure, pénètre dans la salle du mihrab, se place dans la direction de la Kaaba, s’accroupit sur les tapis qui recouvrent le sol de cette partie de l’édifice, se prosterne le front contre terre, puis il se relève et, les bras tombant le long du corps, commence la prière dans l’apparence du plus profond recueillement. «  Observez avec soin les heures réservées à la prière, et pénétrez-vous de la Majesté divine. »

Si la position des bras et des mains est différente chez les Sunnites et les Chiites, les prosternations qui viennent interrompre à plusieurs reprises les oraisons sont exécutées de la même manière « Tu les verras, agenouillés et prosternés, rechercher la faveur de Dieu et sa satisfaction. Sur leur front tu verras une marque, trace de leur piété. » Ces prosternations multipliées, jointes à la nécessité de frapper la terre avec le front, obligent les musulmans à porter des coiffures sans visières. Comme il serait néanmoins très difficile à des gens habitués à prier sur des nattes ou des tapis de garder des marques visibles de leur ferveur, tout vrai croyant est muni d’un tesson de poterie de forme ronde ou carrée sur lequel il frappe son front en se prosternant. Dans tous les caravansérails on trouve un assortiment complet de ces briques de prière destinées aux voyageurs et aux tcharvadars. L’oraison terminée, chacun saisit les babouches déposées à la porte de la salle du mihrab et se dirige vers la sortie. « 

Etes-vous satisfait de votre visite à la masdjed Chah ? demande le mollah à mon mari,