Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/325

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alors à ramener à la religion catholique, apostolique et romaine les âmes des Arméniens schismatiques de Djoulfa.

«  Ses efforts ne furent pas longtemps ignorés du prédécesseur de l’évêquc actuel. Indigné d’apprendre que les prédications d’Eugène Bourrée faisaient une vive impression sur l’esprit de ses ouailles, il surexcita contre le missionnaire la communauté schismaiique. D’après les ordres du prélat, plusieurs fanatiques tentèrent de s’emparer de votre compatriote pour le lapider et postèrent devant la maison catholique où il s’était réfugié de mauvais garnementschargés de le saisira sa première sortie. La situation devint même si critique que les personnes charitables au fover desquelles il avait trouvé asile craignirent de voir leur habitation envahie et pillée. « 

Mohammed Houssein apprit le danger que courait mon ami et n’hésita pas à lui sauver la vie. Accompagné de nombreux serviteurs, il vint à Djoulfa, passa devant la maison où l’attendait Eugène Bourrée vêtu en musulman, lui fit une place dans son escorte et gagna Ispahan ; les Arméniens se doutèrent bien que leur proie leur échappait, mais ils n’osèrent pas s’attaquer à une nombreuse troupe conduite par un des plus respectables turbans bleus du pays. Ils se contentèrent d’envoyer des hommes armés dans les plus mauvais passages des chemins de caravane conduisant soit à Chiraz, soit à Kachan, et ordonnèrent à leurs estafiers de prendre le missionnaire mort ou vif.

«  Le seïd cacha le chrétien dans sa maison pendant plus d’un mois, et. quand il apprit que les Arméniens s’étaient relâchés de leur surveillance, il le conduisit lui-même jusqu’à Kachan. De là le fugitif put gagner sans encombre un des ports de la mer Caspienne.

— Tous les Ispahaniens descendent-ils donc du Prophète ? ai-je encore demandé. Je n’ai vu aujourd’hui que des turbans bleus.

— Ils sont en effet nombreux et puissants dans la province de l’Irak. Bien que Mahomet n’ait laissé en mourant qu’une fille, Fatma, mariée à son neveu Ali, sa race, par une bénédiction spéciale du ciel, s’est multipliée avec une étonnante rapidité, au moins si l’on en juge d’après le nombre incalculable de turbans bleus ou verts portés en Orient.

«  D’ailleurs la satisfaction de s’attribuer une antique origine et d’arborer sur la tête et autour du ventre une étoffe verte ou bleue n’est pas l’unique motif qui engage beaucoup de musulmans à revendiquer la seule noblesse dont s’enorgueillissent les sectateurs de l’Islam ; les seïds ont un but bien autrement pratique. En prophète prudent, Mahomet se fit attribuer par Allah des biens et des richesses périssables.

«  S’ils t’interrogent au sujet du butin, réponds-leur : «  Le butin appartient à Dieu et à « son envoyé.». «  Sachez, dit le Koran, que.lorsque vous aurez fait un butin, la cinquième «  partie en revient à Dieu ou au Prophète, aux parents, aux orphelins, aux pauvres et aux « voyageurs. » Et plus loin : « Ce que Dieu a envoyé au Prophète des biens des habitants «  des différents bourgs appartient à Dieu, au Prophète et à ses proches ». « Prenez ce que «  le Prophète vous donne, et abstenez-vous de ce qu’il vous refuse ; craignez Dieu, il est «  terrible dans ses châtiments. »

«  Après la mort de Mahomet, ses descendants, forts de l’autorité des textes sacrés, ex igèrent le cinquième de tous les revenus des musulmans, firent peser pendant plusieurs siècles de lourdes charges sur leurs coreligionnaires et se multiplièrent en raison du temps, et surtout des avantages matériels attachés à leur sainte origine.

«  L’habitude de payer un impôt régulier aux seïds est maintenant à peu près tombée en désuétude ; mais dans les grandes villes, comme Ispahan par exemple, où les soi-disant descendants de Mahomet se sont constitués en corps nombreux, ils ont conservé une influence prépondérante et dépouillent impunément les petits négociants trop faibles pour oser leur refuser leurs marchandises ou leurs services.