Aller au contenu

Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/407

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

enfant du pays, est possesseur d’une perruque rousse et de pupilles d’un vert glauque a faire envie aux bébés de porcelaine. Ce changement m’a surprise, et je suis allée aux informations. «  Les cheveux jaunes et les yeux verts, m’a-t-on répondu, sont d’autant moins rares qu’on descend davantage vers le sud. » Somme toute, le type de la population s’embellit. En voyageur véridique, je dois ajouter cependant que les femmes âgées, à Kenaré comme dans tout l’Orient, sont décrépites, repoussantes, et joignent aux infirmités, fruits amers de la vieillesse, la malpropreté particulière aux habitants des villages du Fars. Les paysannes ne peignent presque jamais leurs cheveux, se lavent rarement, portent des vêtements sans les nettoyer ni les blanchir jusqu’à ce qu’ils soient en lambeaux.

Une jupe d’indienne attachée au-dessous du ventre et tombant à peine aux genoux, une chemise flottante, largement fendue sur la poitrine, mais s’arrêtant à la ceinture, suffisent à les voiler sans les couvrir.

Si le corps est soumis à toutes les variations de la température et des saisons, la tête est, au contraire, soigneusement garantie du soleil ou de la gelée, grâce à l’épaisse couche de voiles sales et de torchons graisseux entortillés autour du crâne. Les villageoises sont bonnes mères et n’accaparent pas tous les oripeaux de la famille : les pauvres bébés, qu’il serait malsain, paraît-il, de laver avant l’âge de trois ans, sont absolument nus, été comme hiver, mais ont, eux aussi, la figure engloutie sous une telle cargaison de haillons, de perles de verre et d’amulettes, que les plus vigoureux paraissent chétifs et grotesques sous ce couvre-chef disproportionné avec leur corps. Cette interversion dans le rôle des habits, jointe à l’habitude de saigner les nouveau-nés à trois jours pour leur enlever le sang impur de leur mère, et de les nourrir dès la mamelle avec des fruits aqueux, la coutume d’attendre que la saleté se détache de la peau en longues écailles et que les mouches serrées tout le long des paupières débarrassent ces petits malheureux des matières purulentes accumulées autour de leurs yeux, expliquent l’effrayante mortalité des enfants ; aussi bien les femmes persanes, après avoir donné le jour à une douzaine de mioches, se considèrent comme très favorisées du ciel quand elles parviennent à en conserver trois ou quatre.

O Mahomet ! tu avais donc visité les villages du Fars avant d’ordonner aux sectateurs de ta religion les cinq ablutions journalières !

Les habitants de la province ne peuvent arguer pour leur défense du manque d’eau et de leur pauvreté : les environs de Persépolis, que traversent de nombreux kanots, sont d’une surprenante richesse. Des gerbes d’orge cultivées en seconde récolte et encore empilées sur les champs témoignent par leur volume et leur belle apparence de la fertilité exceptionnelle des terres irriguées. En revanche, la zone privée d’eau est inculte et abandonnée ; j’ai donc été fort surprise, en me rendant ce matin aux ruines en compagnie de nos braves toufangtchis, d’apercevoir auprès du takht six monticules de terre fraîchement remuée.

« Pourquoi creuse-t-on des silos dans ce désert ? ai-je demandé à nos guides.

— Ces tumulus recouvrent des emplâtrés, m’a répondu l’un d’eux. Ce sont les tombeaux de six brigands pris le mois dernier et suppliciés il y a peu de jours. Depuis quelques années la province était gouvernée par un frère du roi, homme pieux mais trop débonnaire. Sûrs de l’impunité, les brigands et les assassins infestaient les chemins et dévalisaient les caravanes, quand Sa Majesté s’est enfin décidée à rappeler son frère à Téhéran et à nommer à sa place son petit-fils, un enfant de douze ans. En même temps il donnait comme tuteur au jeune prince un sous-gouverneur connu dans l’Iran pour sa sévérité.

— Mais qu’est-ce donc que l’emplâtrage ?