Aller au contenu

Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/408

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— A en juger d’après les soubresauts du patient, ce doit être un supplice affreux ! Les valets du bourreau creusent d’abord un puits dans la terre et posent en travers de l’excavation une barre au milieu de laquelle ils attachent les pieds du condamné, de façon que sa tête touche a peu près le fond de la fosse ; puis le bourreau gâche du plâtre et le coule lentement autour du corps. Quand l’opération est terminée, et lorsque le plâtre atteint le niveau du sol, on rejette sur la tombe la terre extraite du puits et l’on forme les monticules que vous venez d’apercevoir. »

Bien que la sensibilité s’émousse vite en voyage, je ne puis cependant, en écoutant ce simple récit, réprimer un geste d’horreur. «  Vous désapprouvez peut-être la manière d’agir du gouverneur ? reprend le toufangtehi.

— Oui, certes.

— Vous avez raison. Il est fort dommage de perdre dans ces exécutions une grande quantité de plâtre, quand il serait si peu coûteux de faire périr les assassins sous le bâton ; mais vous ne regretteriez pas cette dépense si vous saviez combien est salutaire l’impression produite par un pareil supplice.

»

Tout en écoutant les sages réflexions de mon guide, j’arrive au pied d’une terrasse de dix mètres de hauteur, construite en blocs de pierre soigneusement dressés. Cet immense soubassement, connu en Perse sous le nom de Takhtè Djemchid, s’appuie sur une chaîne de montagnes sauvages et rappelle comme ensemble la plate-forme de Maderè Soleïman, dont il est certainement une copie. La hauteur de la terrasse n’est pas uniforme ; les constructions qu’elle supporte sont élevées sur trois étages différents. lTn magnifique escalier il double volée, formé de cent six marches et coupé par deux larges paliers symétriques, conduit de la plaine il l’étage intermédiaire. Les volées sont parallèles au muret prises dans l’épaisseur de la maçonnerie. Quant aux degrés, ils sont si doux qu’il est aisé de les monter ou de les descendre à cheval, et si larges que dix hommes placés sur la même ligne peuvent les gravir en même temps. Je m’élève par cette rampe et j’entre dans Persépolis. Nous avons visité les vieilles forteresses de Bagès, de Véramine et de Sourmek ; nous avons parcouru le champ de bataille où les Perses inaugurèrent, en écrasant les armées d’Astyagc, le règne glorieux de Cyrus ; naguère encore nous pénétrions dans les tombeaux des rois achéménides : mais de tous les souvenirs de la grandeur passée de l’Iran il n’en est pas un qui nous ait plus vivement impressionnés que les squelettes décharnés des palais persépolitains.

L’histoire traditionnelle de la Perse, telle qu’elle nous est rapportée parles poètes épiques, n’est pas d’un grand secours quand on veut étudier les origines de Persépolis. Mieux vaudrait encore consulter les auteurs grecs, si la lecture presque récente des textes cunéiformes gravés sur les pierres des palais ne venait substituer la certitude scientifique aux douteuses légendes et nous apprendre que le Takhtè Djemchid (Trône de Djemchid) est l’œuvre de Darius fils d’ifystape et de ses premiers successeurs.

Comment, dans les traditions persanes, Djemchid a-t-il usurpé la gloire des Darius et des Xerxès ? C’est un problème difficile à résoudre. D’après les légendes anciennes recueillies par Firdouxi, Djemchid aurait été le premier et le plus grand des législateurs de Dran. L’auteur de l’épopée persane lui attribue la division du peuple en quatre classes : celles des prêtres, des écrivains, des guerriers et des artisans. C’est également à Djemchid qu’il faut faire remonter l’usage de compter le temps par années solaires. Le souverain fixa le commencement de l’année au jour précis où le soleil entrait dans la constellation du Bélier et ordonna de célébrer cet anniversaire par la grande fête du Norouz, ou nouvel an, dont la tradition s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Pas plus que les simples mortels, les princes légendaires ne sont