Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/92

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donner à la loi de Mahomet un développement semblable à celui que ce dernier avait déjà apporté à la loi du Christ. »

Il n’engageait point les fidèles à se lancer dans la recherche stérile de la vérité, et leur conseillait d’aimer Dieu, de lui obéir, sans s’inquiéter de rien autre au monde. Afin de compléter l’effet de ses premières prédications, le Bab publia bientôt deux livres célèbres écrits en langue arabe : le Journal du pèlerinage à la Mecque, et un Commentaire de la sourate du Koran intitulée : Joseph. Ces ouvrages se faisaient remarquer par la hardiesse de l’interprétation des textes sacrés et la beauté du style.

Cependant les attaques violentes dirigées par le Bab contre les vices du clergé ne tardèrent pas à ameuter contre lui tous les prêtres du Fars. Ceux-ci se plaignirent amèrement au roi et, entre-temps, engagèrent une discussion avec un adversaire qui les eut bientôt réduits au silence.

Mohammed chah montra peu d’émotion en apprenant les événements survenus dans le Fars. Doué d’un caractère mou et d’un esprit sceptique, il vivait en outre sous la tutelle d’un premier ministre plus porté à approuver en secret les attaques dirigées contre le clergé qu’à augmenter l’autorité des prêtres en prenant chaudement leur défense. Le roi se contenta d’interdire aux deux parties de disputer en public sur les nouvelles doctrines, et ordonna au Bab de s’enfermer dans sa demeure et de n’en jamais sortir.

Cette tolérance inattendue enhardit les Babys : ils s’assemblèrent dans la maison de leur chef et assistèrent en nombre toujours croissant à ses prédications. Celui-ci leur déclara alors qu’il n’était point le Bab, c’est-à-dire la « porte de la connaissance de Dieu », comme on l’avait cru jusqu’alors, comme il l’avait supposé lui-même, mais une sorte de précurseur, un envoyé d’Allah. En conséquence, il prit le titre d’ Altesse Sublime » et transmit celui de « Bab » à un de ses disciples les plus fervents, Mollah Houssein, qui devint, à partir de ce moment, le grand missionnaire de la foi nouvelle.

Muni des œuvres de son maître, le Journal du pèlerinage à la Mecque et le Commentaire sur la sourat du Koran, ouvrages qui résumaient alors les théories religieuses du réformateur, le nouveau Bab partit pour lspahan et annonça au peuple enthousiasmé que l’Altesse Sublime était le douzième imam, l’imam Meddy. Après avoir réussi, au delà de toute espérance, à convertir non seulement les gens du peuple, mais même un grand nombre de mollahs et d’étudiants des médressès célèbres de la capitale de l’Irak, il se dirigea sur Téhéran, demanda une audience à Mohammed chah, et fut autorisé à lui soumettre ses doctrines et à lui présenter les livres babys. C’était un triomphe moral d’une portée considérable.

Pendant que le Bab prêchait dans la capitale et déterminait de très nombreux adeptes à s’enrôler sous sa bannière, l’agitation gagnait les andérouns. Dès son apparition, la nouvelle religion avait su intéresser à son succès les femmes, si annihilées par le Koran, en leur promettant l’abolition de la polygamie, considérée à juste titre par l’Altesse Sublime comme une source de vice et d’immoralité, en les engageant à rejeter le voile, et en leur attribuant auprès de leur mari la place honorée et respectée que l’épouse et la mère doivent occuper dans la famille. Toutes les Persanes intelligentes apprécièrent les incontestables avantages de cette révolution sociale, embrassèrent avec ardeur les croyances du réformateur et se chargèrent de propager le babysme dans les andérouns, inaccessibles aux hommes.

L’une d’elles, douée d’une éloquence entraînante et d’une surprenante beauté, devait soulever la Perse entière. Elle se nommait Zerrin Tadj (Couronne d’or), mais dès le commencement de son apostolat elle adopta le nom de Gourret el-Ayn (Consolation des yeux).