Page:Discours sur les révolutions de la surface du globe, et sur les changemens qu'elles ont produits dans le règne animal.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle était fondée sur l’idée que l’ibis était essentiellement un oiseau ennemi des serpens, et sur cette conclusion bien naturelle, qu’il fallait pour dévorer les serpens un bec tranchant et plus ou moins analogue à celui de la cigogne et du héron : cette idée est même la seule bonne objection qu’on puisse faire contre l’identité de notre oiseau avec l’ibis. Comment, dira-t-on, un oiseau à bec faible, un courlis, pouvait-il dévorer ces reptiles dangereux ?

On pouvait répondre que des preuves positives, telles que des descriptions, des figures et des momies, doivent toujours l’emporter sur des récits d’habitudes trop souvent imaginés sans autre motif que de justifier les différens cultes rendus aux animaux ; on pouvait ajouter que les serpens dont les ibis délivraient l’Égypte nous sont représentés comme très-venimeux, mais non pas comme très-grands. Je croyais même avoir obtenu une preuve directe que les oiseaux momifiés qui avaient un bec absolument semblable à celui de notre oiseau, étaient de vrais mangeurs de serpens ; car j’avais trouvé dans une de leurs momies des débris non encore digérés de peau et d’écailles de serpens que je conserve dans nos galeries anatomiques.

Mais aujourd’hui M. Savigny, qui a observé vivant, et plus d’une fois disséqué, notre numenius blanc, l’oiseau que tout prouve avoir été l’ibis, assure qu’il ne mange que des vers, des coquillages d’eau douce et d’autres petits animaux de cette sorte. En supposant que ce fait n’ait pas d’exception, tout ce que l’on peut en conclure, c’est que les Egyptiens, comme cela est arrivé plus d’une fois à eux et à d’autres, avaient inventé pour un culte absurde une raison fausse. Il est vrai qu’Hérodote dit avoir vu dans un lieu des bords du désert[1] près de Buto, une gorge étroite où étaient amoncelés une infinité d’os et d’arêtes, qu’on lui assura être les restes de ces serpens ailés qui cherchent à pénétrer en Égypte au commencement du printemps, et que les ibis arrêtent au passage ; mais il ne nous

  1. Euterpe, cap. LXXV. Hérodote dit un lieu d’Arabie ; mais on ne voit pas comment un lieu d’Arabie aurait pu être près de la ville de Buto, qui était dans la partie occidentale du Delta.