Page:Discours sur les révolutions de la surface du globe, et sur les changemens qu'elles ont produits dans le règne animal.djvu/53

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voueront pas, car la nature ne combine ni des pieds fourchus, ni des cornes avec des dents tranchantes.

Il y aura peut-être eu bien d’autres figures tout aussi étranges, ou dans ceux de ces monumens qui n’ont pu résister au temps, ou dans les temples de l’Éthiopie et de l’Arabie, que les Mahométans et les Abyssins ont détruits par zèle religieux. Ceux de l’Inde en fourmillent ; mais les combinaisons en sont trop extravagantes pour avoir trompé quelqu’un ; des monstres à cent bras, à vingt têtes toutes différentes, sont aussi par trop monstrueux.

Il n’est pas jusqu’aux Japonais et aux Chinois qui n’aient des animaux imaginaires qu’ils donnent comme réels, qu’ils représentent même dans leurs livres de religion. Les Mexicains en avaient. C’est l’habitude de tous les peuples, soit aux époques où leur idolâtrie n’est point encore raffinée, soit lorsque le sens de ces combinaisons emblématiques a été perdu. Mais qui oserait prétendre trouver dans la nature ces enfans de l’ignorance ou de la superstition ?

Il sera arrivé cependant que des voyageurs, pour se faire valoir, auront dit avoir observé ces êtres fantastiques, ou que, faute d’attention, et trompés par une ressemblance légère, ils auront pris pour eux des êtres réels. Les grands singes auront paru de vrais cynocéphales, de vrais sphinx, de vrais hommes à queue ; c’est ainsi que Saint-Augustin aura cru avoir vu un satyre.

Quelques animaux véritables, mal observés et mal décrits, auront aussi donné naissance à des idées monstrueuses, bien que fondées sur quelque réalité ; ainsi l’on ne peut douter de l’existence de l’hyène, quoique cet animal n’ait pas le cou soutenu par un seul os[1], et qu’il ne change pas chaque année de sexe, comme le dit

  1. J’ai même vu, dans le cabinet de feu M. Adrien Camper, un squelette d’hyène où plusieurs des vertèbres du cou étaient soudées ensemble.il est probable que c’est quelque individu semblable qui aura fait attribuer en général ce caractère à toutes les hyènes. Cet animal doit être plus sujet que d’autres à cet accident, à cause de la force prodigieuse des muscles de son cou et de l’usage fréquent qu’il en fait. Quand l’hyène a saisi quelque chose, il est plus aisé de l’attirer toute entière que de lui arracher ce qu’elle tient ; et c’est ce qui en a fait pour les Arabes l’emblème de l’opiniâtreté invincible.