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Page:Dodge Stahl - Les Patins d argent.djvu/156

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regarder des jeunes gens faire un trou dans la glace, afin de plonger dans l’eau leurs harpons de pêche. Au moment où il se disposait à continuer sa route, il se sentit tout à coup lancé sur les genoux d’une vieille dame dont la chaise arrivant par derrière l’avait frappé au-dessus des mollets. La douairière cria ; le domestique qui la poussait fit entendre un sifflement aigu, et Ben se trouva, sans savoir comment, chapeau bas et faisant des excuses à… l’air ambiant. La vieille dame irritée était déjà loin.

Mais cet accident n’était rien à côté du danger sérieux qui le menaçait : un gigantesque bateau-traîneau arrivait à pleines voiles sur lui. Il n’avait pas soupçonné son approche. Il se sentit comme paralysé à la pensée soudaine que sa dernière heure était arrivée. La proue dorée était sur lui, il entendait les cris de gare ! du patron ; l’ébranlement imprimé à la glace par le monstre qui le menaçait se communiquait à toute sa personne. Tout à coup, il devint tout à la fois sourd, muet et aveugle. Quand il rouvrit les yeux une seconde après, il était roulant encore à dix mètres de l’immense gouvernail, en forme de patin, du navire ailé. La voile avait effleuré son épaule et cela avait suffi pour lui faire faire cette glissade fantastique. Grâce à Dieu, il était sain et sauf ! Il reverrait l’Angleterre et pourrait embrasser encore les chers visages qui lui étaient apparus tous ensemble dans la minute qui venait de s’écouler. Père, mère, Robby et Jenny ; le danger en une seconde les avait évoqués ; le souffle de ces grandes voiles menaçantes avait fait entrer subitement leur image au plus profond de son cœur. En vérité il ne savait pas, auparavant, combien il les aimait. Son étonnement fut grand de voir les regards de colère qui lui furent jetés par tous les patineurs du canal. L’écolier étourdi, qui venait d’échapper à la mort, n’était pour ces gens-là qu’un trouble-fête qui n’aurait jamais dû sortir de l’école.